Concevoir et construire une bibliothèque, du projet à la réalisation
Laure Collignon
Colette Gravier
Paris, Le Moniteur, 2011, 340 p., 24,6 cm
Coll. Architecture
ISBN-13 : 978-2281115017 : 75 €
L’ouvrage Concevoir et construire une bibliothèque, du projet à la réalisation paru cette année aux Éditions du Moniteur succède au bien connu Bibliothèques dans la cité, publié en 1996. Il ne s’agit pas d’une réédition revue et corrigée, mais d’un ouvrage totalement nouveau.
En quinze ans, la conception des bibliothèques a largement évolué : l’ouvrage ancien faisait une large place à une conception normative, liée à la démographie, même si Martine Blanc-Montmayeur soulignait déjà dans son texte introductif que les enjeux sociaux constitueraient le moteur du développement des bibliothèques. Aujourd’hui, il ne peut plus être question de modèle, mais plutôt, comme le souligne Georges Perrin dans le texte introductif, « Mutations des bibliothèques », de prototype, tant est devenu prioritaire l’analyse des attentes et des besoins des usagers, chaque contexte étant singulier, et donc singulière la réponse apportée en termes de collections, de services et de confort.
L’État a totalement abandonné son rôle normatif, au profit de conditions minimales d’obtention des aides. Ces conditions minimales sont d’ailleurs développées au chapitre 3 intitulé « Partenariats », ce qui indique bien à quel point un projet de bibliothèque est avant tout celui d’une collectivité territoriale, pleinement maîtresse du programme culturel et architectural.
Les deux premières parties (chapitres 1 à 8) proposent un grand nombre de réflexions, de retours d’expériences, mais aussi de données factuelles et réglementaires. Les très nombreux exemples issus du « vécu » de chaque auteur constituent autant de sources précieuses, depuis les analyses préalables jusqu’aux « chantiers parallèles ». La multiplicité des auteurs enrichit considérablement le propos, au prix de certaines divergences d’analyse, voire de contradictions : clairement, cette très riche partie de l’ouvrage doit surtout inciter le bibliothécaire lecteur à la réflexion, à la confrontation des idées et des méthodes. Si un auteur écrit par exemple « le projet culturel en bibliothèque se conçoit autour des collections et des services organisés par le personnel de l’établissement pour tous les publics », et n’envisage dans l’étude de l’environnement que les milieux culturels et éducatifs, un autre proposera dans l’étude de préprogrammation la prise en compte beaucoup plus large du contexte urbain et socio-économique. Tel autre auteur préconise la mise en place d’une centrale d’achats comme aux Pays-Bas ou en Allemagne, effectuant le choix et le traitement des collections sur la base d’un cahier des charges d’acquisitions, quand tel autre souligne au contraire que c’est « en associant les méthodes scientifiques et leur propre subjectivité que [les bibliothécaires chefs de projet] donneront à leur collection saveur et lisibilité ».
Certains tableaux et paragraphes hors texte (sur fond gris) constituent d’excellents outils, non répertoriés en tant que tels : il faut donc que le lecteur les traque ! Par exemple le hors-texte de la page 116, schéma méthodologique d’analyse populations missions collections conception du lieu ; ou bien le tableau des pages 129 à 134 « Visiter un bâtiment de bibliothèque », inclus dans un chapitre concernant les BDP (bibliothèques départementales de prêt) mais valable pour tous les types de bibliothèque ; ou bien le hors-texte de la page 77, « Ouvrir 7 jours sur 7 ». Une préconisation fondamentale n’apparaît qu’au détour d’un texte, page 82 : « Selon quelques référentiels, on estime à 30 documents physiques au m² [SU] le taux souhaitable [des collections] ». Dans les tableaux chiffrés du chapitre 9, outils pour la programmation, il est en effet surtout question de la surface nécessaire par quantité de volumes, ou par place assise : un autre ratio très utile en phase de préprogrammation, le nombre de places pour la surface du bâtiment, n’apparaît pas non plus : on peut préconiser 0,1 place par m² SU. Il est fréquent en effet que la surface soit imposée comme une donnée de départ, et conditionne donc la taille des collections et le nombre de places !
Les parties 3 et 4 constituent de manière plus linéaire un guide précieux, allant de la programmation à la conception, puis à la construction et à l’aménagement de la bibliothèque. Toutes les étapes sont disséquées, accompagnées ici encore d’exemples, de tableaux, de schémas, de hors-textes éclairant tel ou tel aspect particulier (pratiques urbaines et lecture, terminologie du programme détaillé, qualité environnementale, etc.). Le réalisme et le pragmatisme dominent, appuyés ici encore sur des exemples nombreux : plans (qui auraient peut-être gagnés à être commentés), photographies, et même d’excellents dessins. La cinquième et dernière partie est ainsi entièrement consacrée à des photographies : libre au lecteur d’y puiser des exemples reproductibles ou au contraire d’en faire une lecture critique !
Cet ouvrage essentiel est très riche de données et de méthodes, exprimées avec prudence, les mises en garde contre une utilisation trop normative étant fréquentes : « L’évolution rapide des pratiques et des usages, des besoins des populations auxquelles s’adressent les bibliothèques, l’irruption des nouvelles technologies de l’information et de la communication avec toutes les possibilités, non épuisées et non épuisables vraisemblablement qu’offre Internet, auront suffi à faire voler en éclat ces cadres et à rendre vaine toute tentative de normalisation » (p. 158). Cet ouvrage est une illustration parfaite de la méthode expérimentale !