« Je lègue ma bibliothèque à... » : dons et legs dans les bibliothèques publiques. Actes de la journée d'études annuelle « Droit et patrimoine » organisée le 4 juin 2007...
[Gap] : Atelier Perrousseaux ; Arles, Centre de conservation du livre, 2010, 1 vol. (222 p.) 23 cm
ISBN 2-911220-33-3 : 35 €
Il n’a pas manqué, dans l’histoire des bibliothèques, d’aimables collectionneurs pour gratifier la puissance publique, au soir de leur existence, des collections prestigieuses qu’ils avaient rassemblées. C’est même l’origine de certaines institutions toujours bien actives, et dont le fonctionnement dépend largement des conditions initiales posées par le généreux donateur – que serait en effet le don, s’il n’était accompagné de ces fameuses conditions par lesquelles de riches particuliers s’arrogent le droit de substituer leur volonté, sinon leur fantaisie, aux règles communes du service public ?
Ce petit recueil bien illustré présente le détail de quelques dons et legs historiques, en France et en Europe ; il fourmille d’anecdotes, ce qui n’est pas surprenant si l’on pense qu’il s’agit à chaque fois d’un cas spécifique, à travers lequel s’exprime une personnalité curieuse ou pittoresque. Un vaste et passionnant développement de Raphaële Mouren sur l’origine et l’histoire de la bibliothèque Méjanes, qui pourrait fournir la matière d’un émouvant thriller administratif, montre bien le caractère individuel de cette libéralité consentie par un « commis d’Ancien Régime ». Il pose également la question cruciale de prendre en compte sur la durée l’esprit, sinon toujours la lettre de la donation, et témoigne assez que, pour une société qui ne cesse d’évoluer dans ses pratiques, la fidélité réelle aux principes se distingue au besoin de leur stricte observance.
Y font écho les tribulations des collections d’Esprit Calvet, dont la bibliothèque est physiquement réunie aux collections de la médiathèque municipale d’Avignon, quoique sans préjudice d’une gestion particulière dont Stéphane Ipert explore méthodiquement les contours. Il est frappant de noter que, dans un cas comme dans l’autre, la projection de soi qu’effectue le donateur sur son bien devenu public s’exprime de préférence par des clauses conservatoires, dans l’espoir sous-jacent d’une immortalité personnelle qui s’incarnerait dans les objets : traitement spécifique des fonds, interdiction des prêts à l’extérieur par exemple.
Le contrepoint de quelques fondations étrangères – la bibliothèque Berio de Gênes, évoquée par Laura Malfatto, ou différents dons reçus par la Burgerbibliothek de Berne, représentée par Patrick Andrist –, atteste qu’il ne s’agit pas d’un particularisme hexagonal : dans les autres pays d’Europe, nos collègues rencontrent les mêmes difficultés lorsqu’il faut articuler aux missions de service public les exigences personnelles formulées dans une autre époque, en contrepartie d’enrichissements considérables.
Ce n’est pas la faute aux bibliothécaires, mais de nos jours les ducs d’Aumale se font rares pour léguer à l’Institut de France, comme l’expose Emmanuelle Toulet, tous les trésors accumulés dans le domaine de Chantilly, et sans doute n’existe-t-il plus de mécènes inspirés comme le fut Jacques Doucet, dont Martine Poulain nous rappelle une fois encore la double donation. Notre conjoncture économique les découragerait sans doute, et l’hypothèse que demain l’un d’entre nous soit à même d’affronter un dossier d’une telle envergure ne paraît guère crédible.
Les dons plus modestes sont néanmoins fréquents dans les bibliothèques, et la plupart des professionnels manquent de connaissances juridiques pour les accepter en pleine orthodoxie : l’initiative conjointe de l’Enssib et du Centre de conservation d’Arles était donc tout à fait positive de consacrer à ce phénomène la première de leurs journées d’étude « Droit et patrimoine » (dont on espère bien la poursuite au cours des prochaines années, tant les sujets de ce genre sont à la fois récurrents et complexes). Confronter les retours d’expérience des bibliothécaires aux positions rigoureuses d’un juriste – ici Marie Cornu, dont on pourrait presque lire l’intervention d’emblée – replace théoriquement l’exemple dans son cadre et provoque un échange éclairant, dont chacun sortira plus savant.La formule a cependant besoin d’un rodage complémentaire : bien qu’il soit très instructif, et peut-être justement pour ce motif, ce livre juxtapose des contributions dont la richesse est un obstacle paradoxal au dégagement d’une problématique homogène et concrète, à laquelle répondrait un ultime discours juridique sur mesure, comme l’exposé classique du détective clôt un roman d’énigme en résolvant successivement tous ses mystères. Chacun des intervenants présente son affaire sans manifester vraiment le souci d’une correspondance avec les autres, et le propos très général de Marie Cornu paraît lui-même un peu décalé, puisqu’il ne fait aucune référence directe aux divers exemples qui le précèdent. Sans vouloir sous-estimer les difficultés réelles de l’entreprise, il nous faut souhaiter en conclusion que les prochaines publications de ce cycle annuel se proposent plus résolument de soutenir et d’inspirer, sur le registre pratique, la gestion quotidienne des collections patrimoniales.