L’universitaire dans tous ses états
André Cabanis
Michel Louis Martin
Coll. Hourvari
ISBN 978-2-252-03782-9 : 17 €
Récemment paru aux éditions Klincksieck, dans la collection Hourvari 1, l’ouvrage des professeurs André Cabanis et Michel Louis Martin mérite le détour. Pour comprendre le propos des auteurs, il suffit de se rapporter à la présentation de la collection : « Toute action, au départ habile ou avisée, peut produire de la bêtise. Toute pensée, si intelligente soit-elle, peut, en se pétrifiant, en se répétant et déclinant, devenir bête. Car la bêtise n’est pas une essence : elle est potentiellement incluse dans tout geste et toute posture, à l’état latent, finalement réveillée par on ne sait quoi : la répétition ? le seuil d’incompétence ? la volonté de plaire ? la mauvaise foi ? Peut-être simplement par ce moment où, paresse ou habitude, on arrête de penser ce qu’on fait, ce qu’on croit. Dans cette collection, des écrivains nous rappellent qu’il n’existe pas de remède à la pétrification de la pensée et que tenir la bêtise à distance exige de constants exercices de vigilance. Leurs essais sont moins des pamphlets que des avertissements et des appels à la responsabilité intellectuelle. Des sortes de “coins” dans la pensée contemporaine. De stimulants éloges de la liberté d’esprit. »
Pour présenter ce livre, l’éditeur indique à juste titre que cet essai rappelle Un tout petit monde de David Lodge 2, qui a dépeint avec beaucoup d’ironie certains travers de la jet-society universitaire.
Il ne s’agit pas, ainsi, d’une analyse ethnographique du monde universitaire actuel, ni d’une étude critique des nouveaux modes d’évaluation des performances universitaires mais, plutôt, d’un livre d’humeur, et d’humour, où se côtoient l’agacement, l’amusement, la compassion, parfois la condescendance, et surtout les délices de croquer certains caractères du milieu universitaire dans lequel les deux auteurs ont baigné durant plus de trente ans.
Le style, leste et souvent précieux, et le texte, truffé de mots rares et d’expressions latines peu usitées, relèvent probablement d’une certaine coquetterie de la part de ces universitaires juristes rompus au maniement expert de la langue française. Tout ceci peut rendre la lecture peu aisée à un public non averti. Mais ne s’adressent-ils pas avant tout à leurs pairs ? Lesquels, avec un peu d’humour et de distance, devraient apprécier l’exercice.
Pour qui a eu l’occasion de fréquenter les facultés de droit françaises, l’on ne pourra s’empêcher de penser que les figures décrites sont issues directement de l’environnement immédiat des auteurs. Mais les types représentés dépassent largement ce cadre, qu’ils concernent les collègues, les manies, la typologie des directeurs de thèses et des responsables de l’administration universitaire, le rôle de l’expert-évaluateur à l’heure de l’idéologie du h-index 3 et des classements internationaux, ou bien encore les habiles demandes de report de délai formulées par le rédacteur d’un ouvrage ou d’un article. Le trait caricatural en agacera certains, et tous les collègues universitaires ne se retrouveront pas dans l’ouvrage, ce qui serait dommage. La cible des auteurs est suffisamment générale pour englober tout le monde sans heurter quiconque, et la lecture, par l’enseignant-chercheur, s’apparente à une mini-évaluation de ses propres travers, invitant à s’améliorer sans doute plus efficacement qu’avec n’importe quelle autre méthode.
Pour qui est extérieur aux corps des enseignants-chercheurs, l’on découvrira un monde professionnel à la fois enviable et nostalgique, plein de grandeur et de vicissitudes, bourré de rites et de symboles, empli de jalousies et de mesquineries, soumis à des pressions jugées souvent insupportables de la part des autorités de tutelle, mais qui, malgré tout, s’acquitte honorablement de ses deux missions principales et indissociables : l’élaboration et la transmission du savoir.