Va savoir
Yves Desrichard
On sait qu’en Grèce, ou tout au moins dans la langue grecque, le terme σοφία, ou σοφια comme on l’écrit maintenant, désignait tout à la fois le savoir et la sagesse. In consequo, si on pardonne cette transition linguistique, les bibliothèques, lieux par excellence d’accumulation des savoirs, seraient aussi les plus sages des institutions. Est-ce, à l’aune contemporaine, nécessaire, suffisant, voire raisonnable ? Ne faut-il pas aller plus loin ? Autrement dit, ne devons-nous pas transformer nos collections en gisements et nos métiers en extractions (de savoirs) ?
Beaucoup d’arguments nous y pousseraient. Ainsi (ce qui serait, bien sûr, faux), on pourrait inférer que l’effondrement progressif mais de plus en plus voyant du système scolaire à la française, les transformations de plus en plus rapides des apprentissages universitaires ou vaguement supérieurs vers des formes plus ludiques, plus interactives, mais presque nécessairement à distance, laissent nombre d’écoliers, de collégiens, de lycéens, d’étudiants perplexes, voire sur le carreau, offrant à la bibliothèque de récupérer ces publics pour les amener, à sa manière, aux savoirs.
Ainsi encore (ce qui serait, bien sûr, tout aussi faux), l’abêtissement généralisé offert par nombre de pratiques télévisuelles, audiovisuelles, radiophoniques, cinématographiques, internautiques, les pertes de repères induites par des transformations de plus en plus rapides de l’esprit critique individuel si cher à une France se réclamant encore des Lumières, si on voulait bien les combattre, trouveraient dans les bibliothèques le fortin humble et idéal à partir duquel amorcer la reconquête.
Enfin (ce qui, bien sûr, serait vrai), le goût étonnant mais obstiné de certains de nos concitoyens pour les outils de transmission des savoirs, conférences, débats, émissions diverses et variées, et même, pourquoi pas, livres, DVD, CD et autres impedimenta, pourrait nous encourager à leur proposer non plus seulement d’assouvir leurs faims et soifs, mais de les accompagner dans leurs appétences, en se proposant à son tour comme fabrique de savoirs, comme révélateur d’éruditions, comme engrais de connaissances. En somme, en simple, repenser notre exploitation de nos collections et nos offres aux publics – stipula, on en conviendra.Pour embrasser ce champ, ce numéro du Bulletin des bibliothèques de France interroge les productions possibles, les valorisations nécessaires, avant que de laisser place à quelques réalisations qu’on voudra bien considérer, en toute subjectivité, comme exemplaires, ce dont ne s’offusqueront pas mais se nourriront ceux et celles qui s’en sentiront exclus, afin d’offrir là façons et malfaçons multiples et variées d’interroger la valorisation et la production des savoirs en bibliothèque.