Télécharger, écouter, voir : les enjeux des nouvelles technologies dans les bibliothèques
Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2009, 163 p., 22 cm
Coll. Lecteurs – Bibliothèques– Usages nouveaux
ISBN 978-2-86781-579-9 : 20 €
Parce que la musique a précocement et massivement été dématérialisée sur les réseaux, interroger sa place, aujourd’hui, dans les médiathèques publiques, constitue un exercice de prospective dont on peut espérer qu’il aura une utilité pour les autres secteurs culturels. Tel est du moins le postulat parfois explicite qui semble avoir présidé à la publication du dixième titre de la collection « Lecteurs – Bibliothèques – Usages nouveaux » des PUB. En effet, l’ouvrage, qui constitue les actes du colloque du 5 avril 2007 organisé par la filière Bibliothèques – Médiathèques du Pôle des métiers du livre de l’IUT de l’université de Bordeaux 3, traite, malgré son titre, presque exclusivement du secteur musical, et ne s’interroge guère sur une différenciation des usages du numérique en fonction de l’objet culturel concerné : imprimé, image ou son.
Qu’importe le flacon…
Le premier article 1 de la publication constitue de ce point de vue une exception, puisqu’il se penche également sur le domaine audiovisuel (et souligne qu’effectivement les motivations du téléchargement varient selon les types de documents). Due à Benoît Michel et Alban Pichon, Ater à l’IUT Michel de Montaigne de l’université Bordeaux 3, cette première contribution a l’immense mérite de dresser un état de l’art des résultats obtenus suite aux différentes enquêtes concernant les pratiques de téléchargement et de consultation en ligne des internautes français, et plus largement européens. Ces données, même si elles ont beaucoup circulé, sont généralement recouvertes par l’intense activité de lobbying conduite par les industries culturelles, voire par des études concurrentes commanditées par les mêmes et, l’article le souligne, sujettes à caution, au point de mettre à mal certaines évidences pourtant familières des professionnels de la médiation culturelle. Notamment celle-ci : si la pratique intensive du téléchargement et de la consultation en ligne est évidemment liée à l’âge et à la catégorie socioprofessionnelle 2, elle n’est pas exclusive, loin de là, de pratiques culturelles plus traditionnelles. L’amateur de musique ira tout aussi volontiers au concert qu’il continuera à acheter des disques, en même temps qu’il téléchargera sur internet, aucune de ces pratiques n’étant entièrement substitutive à l’autre, et chacune ne faisant qu’étendre le champ des possibles pour une jouissance musicale démultipliée. Où l’on constate même que plus il télécharge, plus le mélomane ou le cinéphile achète de supports physiques…
Voilà qui donne (ou devrait donner) bien à penser à nos zélés législateurs.
Reste que, les auteurs le soulignent, les études par eux décortiquées laissent de côté tout un continent puisque (signe des temps ?) elles ne s’intéressent pas du tout à l’impact du téléchargement et de la consultation en ligne sur la fréquentation et le prêt en bibliothèque-médiathèque.
Un état de l’art situé
La suite de l’ouvrage entend faire le point sur l’état du droit, avec une présentation, par Marie Dinclaux, maître de conférences en droit de la propriété littéraire, de la fameuse Dadvsi (suivie d’une lecture critique de la loi par Gérald Elbaze, directeur de Médias-Cité). Présentation où l’on relève une erreur pour le moins surprenante sous la plume d’une spécialiste, lorsqu’il est dit p. 59 que l’exception pédagogique n’est assortie du versement d’aucun droit (l’article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle dit exactement le contraire). Surtout : depuis, l’Hadopi est passée par là, modifiant substantiellement l’exception dite « de conservation », ce qui aurait pu justifier, au moins en note, une actualisation de l’information délivrée.
Après ce point juridique, s’ensuivent trois aperçus sur l’état de l’offre et de la technique (présentation de Polyphonie par Thierry Aznar, qui passe sous silence les questions juridiques soulevées par cet outil, de l’offre VOD d’Arte par Agnès Lanoé, de l’extranet de la médiathèque de la Cité de la musique par Marie-Hélène Serra) et, en guise de clôture ouvrante, une longue contribution d’Arsène Ott, président de l’Acim 3, joliment intitulée « La fiancée du pirate », qui appelle à se recentrer sur les fonctions de médiation propres au médiathécaire et à faire preuve d’inventivité, en investissant les outils du web 2.0.
L’ensemble amène premièrement à dresser le constat, dont la banalité n’épuise pas le caractère surprenant, que, décidément, dans le domaine du numérique, tout va vraiment très vite ; deuxièmement à s’interroger, dans ce contexte, sur la pertinence à publier en 2009 les actes d’un colloque tenu en 2007 (une publication en ligne, sur ces matières, n’aurait-elle pas été plus appropriée ?) ; finalement à conclure que cet ouvrage tend déjà à constituer un document historique, relativement à un moment particulier de la réflexion professionnelle sur ces sujets, plutôt que, comme le laisserait entendre de prime abord son (sous-) titre, une réflexion à valeur prospective, ouvrant pour aujourd’hui à des horizons nouveaux.