Réinventer la bibliothèque : espaces et services en révolution
Journées d’étude annuelles de l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt
Claire Roche-Moigne
Là où certains s’interrogent sur l’opportunité de construire encore des bibliothèques, l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt (ADBDP) a choisi de dépasser la question et d’orienter ses journées d’études annuelles, qui se sont tenues à Valence du 28 au 30 septembre, vers un sujet plus technique : comment doit-on construire désormais les bibliothèques ? L’association avait fait le choix de n’aborder que marginalement la question du projet de réforme territoriale, dans un atelier optionnel.
Certes, le débat sur cette réforme a été repoussé par le Président après les élections régionales, et la fronde des élus locaux sur la suppression programmée de la taxe professionnelle occupe actuellement le devant de la scène. Néanmoins, il faut bien constater que les tenants de la rationalisation du mille-feuille territorial sont confortés par la réticence générale à l’accroissement de la pression fiscale pour combler le déficit public grandissant.
Est-ce la réflexion sur l’élargissement vers de nouveaux usages techniques, sociaux et culturels de la bibliothèque qui, par capillarité, s’est étendue à la structure même des journées d’études ? Pour la première année, l’après-midi de forum était ouverte aux participants de toutes catégories, notamment à la quarantaine de membres de la BDP de la Drôme présents aux journées.
Territoire et société dématérialisée
L’introduction de Corinne Sonnier, présidente de l’ADBDP, a invité les bibliothèques à prendre en compte l’évolution de leur environnement, et à faire de la satisfaction des usagers le fil rouge de leur action. Le sociologue Denis Merklen, à propos des récents incendies d’équipements en Seine-Saint-Denis, a souligné la distance entre les représentations collectives des professionnels et des usagers. Il en a conclu l’impasse d’une gestion uniquement techniciste de la bibliothèque, espace public, et donc politique par nature.
La nécessité de prendre en compte les évolutions des attentes des élus a été illustrée par le compte rendu d’expérience à double voix de Catherine Groud, ancienne adjointe à la culture de Signy l’Abbaye, et d’Émilie Dauphin, responsable de la partie médiathèque du centre social de cette petite intercommunalité rurale. Le projet n’a pu voir le jour qu’à condition que tous les agents de la structure, bibliothécaire comprise, répondent aussi bien, dans le cadre d’un relais de service public, aux questions des usagers pour la Caisse d’allocation familiale, la Sécurité sociale, les services fiscaux, Pôle emploi, que pour la médiathèque. De plus, les agents organisent l’accueil périscolaire le mercredi et un point tourisme l’été. La « Maison » est dirigée par un animateur socioculturel. Est-ce encore une bibliothèque ? La salle a fait part de nombreuses réactions à cet exposé, notamment sur les thèmes de la polyvalence du personnel, et de la difficulté de garantir la confidentialité de l’accueil des usagers des services sociaux.
Alain Rouxel, de la Fédération nationale des collectivités pour la culture, a présenté son action de sensibilisation des élus en faveur de la construction de bibliothèques, conçues à la fois comme point public d’accès au numérique et équipement culturel de proximité. On aurait aimé connaître la position des élus de l’Association des départements de France, dont le représentant s’était décommandé.
L’intervention de l’économiste Olivier Badot sur le commerce dématérialisé a permis la présentation synthétique des évolutions de fond des usages. La crise actuelle du « vouloir » d’achat, constatée par la grande consommation est, selon lui, autant liée à la fragmentation des besoins et à la multiplication de microfacteurs plus influents que le déterminisme des catégories socioprofessionnelles qu’à la crise économique. La revendication du pouvoir du consommateur contre les institutions génère le développement de canaux alternatifs de consommation et d’échanges (réseau virtuel de voisinage, brocantes, etc.).
Dans ce contexte, se pose de façon aiguë la question centrale du consentement du consommateur de biens culturels, et de l’usager, à se déplacer hors de chez lui et, par construction, jusqu’à la bibliothèque. À cette interrogation sur l’évolution des usages, les interventions répondaient sur le plan de la construction plus que sur celui des services. Ainsi, la table ronde suivante réunissait deux responsables locaux, Corinne Diaz et Sandro Duca, le conseiller livre et lecture de la Drac Rhône-Alpes, Gilles Lacroix, l’urbaniste du CAUE (Conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement) de la Drôme, Robert Pleynet et Catherine Thillet, bibliothécaire, qui ont exposé leur démarche pour prendre en compte la dématérialisation des documents dans la programmation du projet d’Étoile-sur-Rhône. Selon les intervenants, la mission de conseil technique de la BDP pour la construction d’équipement resterait d’actualité dans ce département fortement rural.
L’avenir des bibliothèques départementales de prêt et le projet de réforme territoriale
Le sujet crucial de l’avenir de la compétence lecture publique des départements n’a donc été abordé qu’au titre d’un des cinq ateliers de la deuxième journée d’étude, parmi lesquels figuraient aussi les thèmes techniques de la construction des bibliothèques départementales de prêt aujourd’hui, du développement durable, de la prise en compte des usages et de la parole des usagers 1, et des outils de conseils aux communes.
À l’issue de cet atelier sur la réforme Balladur débutant par un exposé de Georges Perrin et réunissant une forte audience, les participants ont identifié trois enjeux majeurs du projet de la réforme : l’extension généralisée de l’intercommunalité, une nouvelle répartition des compétences entre niveaux de collectivités, et la restriction des financements croisés. Plusieurs recommandations ont été formulées 2 : l’intercommunalité est un cadre pertinent de développement des réseaux de lecture publique. « Le rôle du département est de favoriser ce développement intercommunal, notamment en suscitant les prises de compétence. » Le groupe de travail a noté que le transfert éventuel de compétence en terme de lecture publique vers la région « ne doit pas se faire au détriment de l’acquis des BDP en matière d’expertise territoriale et de soutien à un développement de la lecture publique ». Enfin, le maintien des financements croisés et du concours particulier est conseillé. L’avenir montrera l’impact des recommandations de l’ADBDP sur le débat public.
D’ores et déjà, l’association se félicite d’avoir pu mieux faire prendre en compte l’ampleur du travail accompli par les BDP par une amélioration du recensement des bibliothèques dans les prochaines statistiques du ministère de la Culture et de la Communication.
Les journées d’étude ont conclu leurs réflexions par une ouverture vers les services et expériences étrangères, notamment allemandes, avec l’intervention documentée de Wolfram Henning, de l’école de bibliothécaires de Stuttgart, sur le thème de la construction verte 3. Le dernier intervenant, Arnold Van der Leden, spécialiste hollandais de la relation à la clientèle, a invité les bibliothèques à « freiner les évolutions matérielles et libérer l’émotion pour plus d’énergie en bibliothèque ».
Quel avenir pour les bibliothèques départementales de prêt face au développement du numérique et dans un environnement institutionnel mouvant ? Rendez-vous après les élections régionales.