Festivités de clôture du Short Title Catalogue Netherlands
La bibliographie nationale rétrospective des Pays-Bas
Rémi Mathis
Mettre un terme à un projet lancé depuis près de trente ans, cela fait toujours quelque chose. Quand il s’agit en plus d’un projet d’ampleur nationale dans son organisation, qui possède une importance intellectuelle et patrimoniale qui s’étend bien au-delà des frontières du pays et qui a abouti à un résultat digne des espérances mises en lui, on comprend que l’achèvement possède une importance toute particulière et que cela vaille bien l’organisation de la journée d’étude qui a eu lieu à la Bibliothèque royale des Pays-Bas (KB), à la Haye, le 25 juin dernier.
Le Short Title Catalogue Netherlands (STCN) constitue la bibliographie nationale des Pays-Bas (actuels, les Provinces-Unies d’alors) jusqu’en 1800 *. Ce pays est l’une des plaques tournantes du commerce de livres à l’époque moderne, la patrie des Elzevier et de Blaeu, un refuge huguenot, un endroit de liberté éditoriale dans l’Europe des Lumières ; on comprend donc toute l’importance de ce projet mené par la KB, en collaboration avec la plupart des grandes bibliothèques du pays et la British Library.
Un outil de recherche de première importance
Il serait certes présomptueux de considérer que tous les livres publiés aux Pays-Bas ou en langue néerlandaise sans exception ont été décrits dans et intégrés à la base de données – des sondages laissent plutôt penser à un taux voisin de 90 à 95 % –, mais il faut compter avec des impératifs budgétaires et la volonté politique des tutelles. Quoi qu’il en soit, la réussite est déjà impressionnante : en ouverture de la journée, Jan Bos, dernier responsable du projet, rappelle que ce sont 191 000 émissions et plus de 500 000 exemplaires issus de 25 grandes bibliothèques qui ont été catalogués de manière scientifique, c’est-à-dire avec une collation complète, la présence d’une empreinte d’une grande précision, d’autorités sujets et d’une photo de la page de titre. On peut ainsi affirmer que les Pays-Bas – certes un petit pays – sont la seule nation à posséder une description fiable de l’ensemble de son patrimoine imprimé.
Au fil de cette journée qui a alterné présentations, communications scientifiques et réflexions sur l’usage de l’outil, les divers orateurs ont tenté de montrer que ce travail n’est pas seulement une fin en soi, mais constitue un point de départ pour de très nombreux projets ne pouvant se développer sans lui et qui intéressent un public beaucoup plus large. Ainsi, si plusieurs historiens du livre sont intervenus pour parler de certains de leurs travaux effectués à partir du STCN, la discussion est allée bien au-delà de cela.
Jan Bos voit à ce projet plusieurs utilités, en rapport avec des questions de citoyenneté (rapport au patrimoine national), avec la sauvegarde du patrimoine, avec la connaissance (au sens le plus large, les sujets des livres étant des plus divers) et sa diffusion, avec la numérisation (qui ne peut être intelligemment faite que si l’on sait ce qu’on a et de quoi on a besoin). Et, peut-être, avec le prestige (notion apparemment bien française pour un Néerlandais), pour un pays, de posséder un outil de recherche de première importance et de mettre en valeur son passé.
Un point de départ pour de très nombreux projets
Une table ronde, réunissant à la fois éditeurs, chercheurs et bibliothécaires, a ensuite permis de discuter certains points. Tous étaient d’accord pour considérer le projet comme un préalable afin d’entamer de nouveaux projets et considérer qu’il s’agit, en réalité, plus d’une ouverture que d’une clôture. En particulier, Herman Pabbruwe, directeur de l’éditeur Brill, souligne que le STCN prend parfaitement place dans le grand mouvement des digital humanities en ce qu’il propose des métadonnées d’une grande précision, principale richesse de l’internet des années qui viennent. Ce catalogage, qui pouvait paraître suranné à certains, se place ainsi à la pointe des problématiques actuelles : on ne dira jamais assez combien patrimoine et nouvelles technologies sont liés.
Comme le STCN est voué à être également une base pour la diffusion des connaissances, plusieurs initiatives ont été prises pour marquer la fin du projet, en particulier la publication d’un ouvrage sur les utilisations variées qui peuvent être faites du STCN à travers les expériences de personnes d’horizons divers. Une grande exposition sur le livre néerlandais vient d’ouvrir ses portes au musée Meermanno de La Haye. Enfin, un nouveau site internet, offrant une interface moins austère que l’actuelle et des nouvelles ressources (dont des expositions virtuelles), sera mis en ligne d’ici quelques semaines.
La clôture est donc toute relative. Elle est en tout cas plus administrative que scientifique : on passe d’une équipe de plus de vingt personnes à 60 heures de travail hebdomadaire réparties entre trois personnes. Cela permettra de poursuivre l’achèvement et aux bibliothèques qui le désireront de continuer à ajouter leurs exemplaires à la base.
Surtout, maintenant que cette gigantesque base de données sur le livre néerlandais est mise en ligne, il reste à l’exploiter. D’un point de vue scientifique, bien sûr, mais également d’un point de vue pratique. Les liens noués avec le Consortium of european research libraries (Cerl) permettent déjà d’enrichir l’Heritage of the Printed Book Database (HPB), tandis que le portail Bibliopolis se nourrit des autorités auteurs du STCN. La KB a compris tout l’intérêt de la chose, couplée à une numérisation de ses fonds.
Restent bien d’autres usages à développer, voire à imaginer. Un tel projet montre l’intérêt renouvelé de la bibliographie scientifique dans le cadre des digital humanities. C’est pourquoi il y a beaucoup à attendre de projets ayant partie liée avec le STCN, en particulier le Universal Short Title Catalogue de l’université Saint-Andrews, dont nous ne pouvons que souhaiter le rapide achèvement.