Rencontres des professionnels de l'IST 2009
Isabelle Mauger Perez
Émilie Romand-Monnier
Les 7es Rencontres des professionnels de l’IST (information scientifique et technique) organisées par l’Inist (Institut de l’information scientifique et technique)-CNRS à Nancy du 22 au 24 juin 2009 ont rassemblé environ trois cents personnes 1.
L’organisation de ces journées témoigne de la volonté de rapprochement qui anime aujourd’hui les acteurs du paysage de l’IST en France : ouvertes par Raymond Duval, directeur de l’Inist-CNRS, ces journées étaient animées par Raymond Bérard, directeur de l’Abes (Agence bibliographique de l’enseignement supérieur). Depuis le début 2009, ces deux opérateurs de l’IST en France relèvent d’une tutelle commune : la MISTRD (Mission de l’information scientifique et technique et des réseaux documentaires). La parole a donc été donnée à Michel Marian pour exposer le cadre d’action et les priorités de l’administration centrale en matière d’IST. Il a souligné que la MISTRD, « structure à égale distance de l’enseignement supérieur et de la recherche » aspire à jouer un « rôle médian » et un « rôle de mixité ».
Les interventions suivantes correspondaient au premier axe des rencontres : les relations documentaliste-chercheur. Annaïg Mahé 2, puis Claude Puech, Laurent Bouvier-Ajam et Kumar Guha 3, et enfin Hervé Le Crosnier 4 ont tenté de répondre à la question qui taraude tous les professionnels de l’IST : comment fonctionnent les chercheurs ?
Quelques idées couramment répandues ont été battues en brèche : le prisme disciplinaire ne suffit pas à expliquer la diversité de leurs pratiques de recherche ; l’effet générationnel n’est pas aussi fort que ce que l’on pourrait croire ; certes, les chercheurs veulent tout et tout de suite, mais la qualité de l’information prime sur la vitesse d’accès ; les chercheurs ne lisent pas moins sous prétexte qu’ils fréquentent moins les bibliothèques, au contraire, le volume de sources disponibles explose.
A contrario, les intervenants ont souligné la permanence de constats désormais classiques : les chercheurs ont besoin d’accès nomade et d’outils de travail collaboratif ; les pairs sont les premiers prescripteurs non seulement d’articles à lire, mais aussi d’outils à utiliser ; les chercheurs s’aventurent aux frontières de leurs disciplines pour accroître le corpus consulté et favoriser la découverte fortuite, la « sérendipité ».
Puisque le chercheur rassemble et organise sa documentation « tel un écureuil organise sa tanière », quelle est la place du documentaliste ? Si ce dernier conçoit des outils pour les chercheurs sans les associer, il ira droit à l’échec ; l’ère est désormais aux services « légers » intégrés dans l’environnement du chercheur.
Les interventions d’Olivier Ertzscheid 5 et Dominique Cardon 6 ont mis en évidence l’importance de l’identité numérique des chercheurs et leur contribution grandissante aux réseaux sociaux. Des conversations privées entrent dans l’espace public ; c’est l’avènement du « privassionnel ». Sur les réseaux sociaux, les chercheurs usent du « pseudonymat » en naviguant dans un entre-deux qui n’est ni la personne, ni le scientifique. Selon Dominique Cardon, il faut en finir avec l’idée que le web est un monde de la transparence et de l’ouverture, c’est un monde « entre liquidité et viscosité ». Les acteurs du web social jouent avec leur identité numérique, cette collection de traces laissées consciemment ou non sur le web, qu’il s’agit de cloisonner ou pas ; l’enjeu est de rendre telle information plus liquide et telle autre plus visqueuse.
En devançant le thème du dernier jour des rencontres, la problématique de l’édition et la relation documentaliste-éditeur, Olivier Ertzscheid a pris « le pari que ces réseaux sociaux vont assumer toute la chaîne de publication ».
L’intervention de Rémi Bilbault 7 a confirmé cette interpénétration des rôles : les éditeurs commerciaux s’inspirent du modèle économique des réseaux sociaux (100 % gratuit pour l’usager car le financement vient de la publicité). Certes, la crise économique actuelle freine le développement de cette tendance, mais elle ne la remet pas en cause.
La dernière intervention, une table ronde 8 animée par Christophe Pérales 9 rassemblant des représentants des acheteurs (consortium Couperin, CEA, CNRS), une agence d’abonnement (Ebsco) et des éditeurs (Springer et OIP) s’est ouverte sur une typologie des pratiques de négociation :
- la négociation classique : un service documentaire/un éditeur ;
- la commande groupée : un regroupement de services documentaires/un éditeur ;
- le groupement de commandes : un regroupement de services documentaires identifie un porteur qui gère la facturation/un éditeur ;
- le consortium : un regroupement de services documentaires mutualise des moyens financiers et ses compétences pour aboutir soit à une commande groupée soit à un groupement de commandes/un éditeur ;
- la licence nationale : un porteur national négocie au nom d’une communauté d’utilisateurs finals indépendamment de leurs affiliations institutionnelles/un éditeur ;
- l’« open consortium » : variante du consortium, le porteur est un tiers mandaté par le consortium/un éditeur.
Chaque technique de négociation a ses avantages et ses inconvénients. Comme l’a fait remarquer Grégory Colcanap, certains modes de négociation (l’« open consortium » par exemple) sont peu adaptés au contexte français, caractérisé par un paysage institutionnel et une législation en matière de marchés publics complexes. L’avenir verra sans doute la fin du modèle du « Big Deal », responsable d’une homogénéisation de l’offre documentaire, au profit du modèle de licences nationales. Celles-ci garantissent en effet plus de souplesse (achat pérenne ou abonnement) et une meilleure adéquation avec les besoins des communautés (produits destiné à un large public et/ou produits « de niche »). Selon Christine Weil-Miko, l’enjeu n’est pas la réduction des coûts mais l’équité d’accès sur le territoire, indépendamment de l’affiliation institutionnelle des chercheurs.
Pour conclure, le programme de ces journées a été parfaitement couvert. Au nom d’un meilleur service aux usagers, le rapprochement des opérateurs de l’IST semble en marche. Mais la route sera longue, comme le prouve la composition des participants à ces journées : s’il est vrai que les conditions d’inscription favorisaient la participation d’agents relevant du CNRS, ce n’est sans doute pas la seule explication à la très faible représentation du monde de l’enseignement supérieur. Espérons que les 8es Rencontres attireront un public plus divers.