Quel modèle de bibliothèque ?
Postface de Michel Melot
Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2008, 183 p., 23 cm
Coll. Papiers, série Généalogies
ISBN 978-2-9102-2773-9 : 34 €
Le modèle de bibliothèque publique « à la française », en cours depuis les années 1970, est-il obsolète ? Il n’est pas trop tard pour s’interroger sur les fondements de l’identité de la bibliothèque publique en France. À l’heure où l’Angleterre prend la décision de fermer une trentaine de bibliothèques, dépassées et trop coûteuses (!), où elle efface le terme « bibliothèque » et migre vers les Idea Stores (boîtes à idées), présentées officiellement en ces termes : « Les meilleures bibliothèques sont sans aucun doute celles où, quand vous y entrez, vous ne savez pas si vous marchez dans une agence pour l’emploi, un café internet, un bar à fruits ou une bibliothèque », c’est bien d’une crise identitaire qu’il s’agit, là et ailleurs. Partir du « modèle à la française », conceptuellement bien identifié dans l’histoire, permet de scruter sa permanence et son évolution. Une étape significative est franchie avec le passage du « modèle de bibliothèque publique » au « modèle démocratique de bibliothèque qui prend forme dans la “médiathèque” » (Anne-Marie Bertrand). Bibliothèque publique, médiathèque, Idea Store ? La question du modèle méritait bien l’anamnèse réalisée par les dix contributeurs de l’ouvrage, chacun s’accordant sur la nécessité de réactualiser l’identité et la légitimité d’un univers bibliothéconomique devenu flou.
Les oppositions fondatrices
Trois contributions sont consacrées à l’élaboration du modèle et au repérage de ses invariants, avec quelques constantes. D’abord la prégnance du modèle d’origine : la « bibliothèque publique à la française » serait-elle irrévocablement liée à sa vocation patrimoniale ? Toute l’histoire est-elle fondée sur ce seul paradigme qui semble plus propice à cristalliser les invariants du modèle qu’à favoriser leur évolution ? Autre constante : l’opposition récurrente avec le modèle anglo-saxon, bien résumée par David-Georges Picard, alors qu’il faut bien constater (au-delà des invariants qui fondent les modèles) que les influences sont nombreuses et fructueuses… En l’admettant, cela enlève-t-il quelque chose à la « valeur » du modèle français ? On pourrait le croire… Enfin, l’essoufflement du modèle dont Catherine Clément scrute les symptômes et les causes : prééminence de la fonction de prêt ; ambiguïtés de l’action culturelle, du rôle social et des relations aux publics ; incompatibilité entre culture et éducation…
La quadrature du cercle
La bibliothèque reste écartelée entre loisir et savoir (Thierry Ermakoff) et les bibliothécaires continuent à entretenir une relation paradoxale avec leurs publics, une « relation de guichet » (Christophe Evans). Placés en théorie au centre, les publics sont rejetés à la périphérie d’une institution qui leur offre peu (voire pas) de canal de participation. Cristina Ion scrute, à la lumière des sciences sociales, une démocratisation culturelle qui peine à s’imposer vraiment. Avec une légitimité sociale qui s’effrite, une impuissance à intégrer la multiculturalité, la bibliothèque doit aussi tenter d’être une institution culturelle à part entière face à l’offre de la cité. Le public est donc bien un des enjeux majeurs de l’identité professionnelle du bibliothécaire et la pierre d’achoppement du modèle. Un modèle dont on peut sortir : l’Espagne et l’Italie l’ont fait (Émilie Bettega). Valérie Tesnière écorne le modèle pérenne (patrimonial) : il va falloir faire avec « l’état gazeux » de la bibliothèque, de ses collections… Et de ses bibliothécaires ? Avec la modification du rapport du public aux collections (numérisation et internet obligent), si le bibliothécaire ne trouve pas à s’insérer comme médiateur et producteur de services, il pourrait bien passer de l’état gazeux à l’état létal…
Des services qui pourraient ressembler à ceux des BMVR – l’état le plus abouti du modèle à la française selon Livia Rapatel ? Cependant, une question continue à tarauder l’observatrice étrangère que je suis : mais où est donc passé le réseau de proximité dans le modèle à la française ? Son évanescence est troublante alors que Catherine Clément voit la « réorientation vers la proximité comme un enjeu pour le futur des bibliothèques publiques ». Mais sans doute y reviendra-t-on dans les deux volumes à suivre, consacrés à la comparaison entre les modèles américain et français et à un exercice de prospective fort attendu.
La postface réunificatrice
Quelle magistrale postface de Michel Melot qui remet en place les enjeux de cette recherche : la notion de « modèle » de bibliothèque n’est peut-être plus si évidente ou nécessaire ! Par contre, on « peut rêver que finalement, une bibliothèque n’est ni un édifice ni un ensemble de collections ou de services : c’est une compétence et un état d’esprit ». Une postface propice à rasséréner le lecteur un peu choqué par une étude qui met en avant les lignes de rupture – exercice oblige – plutôt que les lignes de force qui sont, elles, bien perceptibles – je peux vous l’assurer – à l’étranger. Mais c’est là un autre débat…