Les bibliothèques, actrices de la citoyenneté
Béatrice Pedot
Si de plus en plus de professionnels des bibliothèques sont désormais convaincus de leurs responsabilités en matière de cohésion sociale et de construction des valeurs citoyennes, force est de constater que la littérature professionnelle sur le sujet reste relativement parcellaire 1. Le BBF consacre précisément le no 2 de sa livraison 2009 au rôle des bibliothèques en matière de formation et d’insertion et ouvre le débat, avant même sa parution, par cette rencontre.
Alors que la formation tout au long de la vie est devenue un enjeu politique majeur, dans un contexte de mobilité professionnelle (souvent subie, parfois voulue) croissant, les services proposés par les bibliothèques de lecture publique et universitaires sont-ils en phase avec les besoins de la population en termes d’intégration, de formation et d’insertion ?
Lecture publique
Dominique Gillot, maire d’Éragny-sur-Oise, vice-présidente en charge de la culture du conseil général du Val-d’Oise et ancienne secrétaire d’État à la Santé sous le gouvernement Jospin, plaide en faveur d’une conjugaison active des missions culturelles et sociales des bibliothèques. Les bibliothèques par leur offre culturelle « attirante, ludique, plaisante » permettent de « progresser dans la connaissance de soi, des autres et d’en tirer un bénéfice en termes d’insertion professionnelle ». Pour que la bibliothèque puisse être « un deuxième chez soi », ses collections doivent correspondre aux attentes multiples du public, mais elle doit aussi rompre avec sa conception traditionnelle au profit d’une ouverture plus sociale. La bibliothèque devient ainsi un « centre social à vocation culturelle » et contribue à la « requalification et à la reconstruction de la dignité des personnes qui viennent y chercher un accompagnement social ». Pour Dominique Gillot, il n’existe aucune incompatibilité entre ces deux missions puisque c’est bien autour des différentes pratiques culturelles proposées par la bibliothèque que se construiront des règles communes et un sentiment d’appartenance à une communauté.
En écho à ces propos, Dominique Tabah, directrice de la bibliothèque municipale de Montreuil lance un défi : « 100 % de la population peut avoir besoin à un moment ou à un autre de sa bibliothèque et doit donc pouvoir bénéficier de ses services. » Ce défi pose avec acuité la question de l’offre proposée aux populations issues de l’immigration, particulièrement nombreuses en région parisienne. La bibliothèque, lieu de mixité et intergénérationnel par excellence, doit accompagner ces populations dans leur intégration mais, aussi, en valorisant la modernité de leur propre histoire. Une attention particulière doit être accordée à la constitution de collections généralistes dans les langues d’origine pour permettre aux populations migrantes de garder une attache avec leurs pays et pour mieux connaître et appréhender le nôtre (guides de Paris ou grands auteurs français, traduits dans les langues concernées). La coopération (aux différents échelons territoriaux) entre établissements pour la constitution et le traitement de ces fonds est une véritable nécessité pour pallier les difficultés linguistiques et de sélection des documents.
Bibliothèques universitaires
Olivier Chourrot, chef du bureau des réseaux d’information scientifique et technique au ministère de l’Enseignement supérieur, revient sur le rôle des bibliothèques en matière d’insertion professionnelle et sur la légitimité des bibliothèques à intervenir dans le champ social. Il souligne, au passage, l’opposition entre la conception française de la formation, qui n’est pas fondée sur le sujet mais sur une institution qui « formate », et la conception anglo-saxonne du « learning », centrée sur l’individu apprenant. Ce décalage se retrouve, bien entendu, dans la mise en pratique des missions. Il n’est pas étonnant alors que nos bibliothèques aient encore de gros efforts à déployer pour apporter des réponses aux publics les plus défavorisés comme le font les Idea Stores londoniens. Pas étonnant non plus que la BPI ait rencontré tant de difficultés pour faire reconnaître l’intérêt de son laboratoire de langues, si peu dupliqué dans d’autres établissements. Olivier Chourrot pointe l’hiatus, à l’université, entre enseignement/recherche et formation professionnelle et souligne la place des services communs de la documentation, non seulement pour la formation à la recherche documentaire, mais aussi pour l’acquisition de compétences en recherche d’emploi.
Sandrine Malotaux, directrice du SCD de l’Institut polytechnique de Toulouse, rebondit sur ces propos en rappelant que l’insertion professionnelle est au cœur de la réforme actuelle des universités afin de faire progresser le niveau de réussite des étudiants (20 % des étudiants sortent de l’université sans aucun diplôme, 11 % des diplômés sont encore au chômage trois ans après leur sortie), leur permettre une meilleure intégration dans le contexte universitaire et améliorer la recherche d’emploi. De toute évidence, les SCD ont un rôle à jouer dans ce dispositif, d’autant plus que le plan de développement des bibliothèques universitaires, U3M, les a dotés d’outils professionnels et d’offres de services adaptés. Du matériel informatique, des collections en quantité, des formations à la recherche documentaire, mais aussi la mise à disposition d’espaces de détente (BD, films), des espaces d’auto-apprentissage (langues étrangères…), de sensibilisation et de rédaction de contenus (sur Wikipédia…), jusqu’à l’aide à la réalisation de CV et de lettres de motivation, sans négliger, y compris dans les BU de sciences, le renforcement de la culture générale par des animations culturelles, les bibliothèques universitaires sont un outil extraordinaire pour « permettre aux étudiants d’apprendre à apprendre ».
Cette diversification de l’offre de services, autant dans les bibliothèques municipales qu’universitaires, implique, comme le suggère Thierry Giappiconi depuis la salle, de renforcer la coopération entre BM et BU pour mener une réflexion conjointe sur la formation des usagers à la recherche documentaire.
Dans un autre débat, sur le même salon, Christian Thorel, de la librairie Ombres blanches à Toulouse, plaidait pour le maintien en centre-ville de librairies qui, aux côtés des cafés, restent, selon lui, les seuls lieux de rencontre citoyenne pour la population. N’oublions pas d’y adjoindre les bibliothèques…