Bibliothèques sans frontières : naviguer vers une compréhension globale
Vu et entendu au 74e Congrès de l’Ifla
Corinne de Munain
Monique Pujol
Placé sous le signe de la diversité culturelle et linguistique, le 74e Congrès Ifla 1 a réuni environ 4 000 professionnels, du 10 au 14 août 2008 à Québec, au Canada. De nombreux professionnels français ont fait le déplacement et près de vingt communications françaises ont été présentées.
L’espace Exposition a enregistré une fréquentation assez moyenne. Cette année, francophonie oblige, les quatorze principales institutions et associations françaises s’étaient regroupées autour du Comité français Ifla pour créer un pavillon France.
Au cours du Congrès ont été présentés le nouveau portail internet du Réseau francophone des bibliothèques nationales numériques 2 ainsi que le nouvel ouvrage Rayonner et partager : l’innovation dans les bibliothèques canadiennes 3. De manière générale, l’activité internationale de valorisation des bonnes pratiques en lecture publique se développe avec la base de données Libraries Success Stories Database 4 de l’Ifla.
Plusieurs prix ont été décernés, dont l’un à Hélène Kudzia, de la médiathèque de l’Association Valentin-Haüy (AVH) par la fondation Ulverscroft et la section « Bibliothèques pour aveugles » de l’Ifla.
Commencent à se dessiner les réactions aux trois principales données de contexte : des contraintes économiques croissantes ; la sophistication des outils des moteurs de recherche grand public pour la recherche d’information ; une obsolescence accrue des innovations technologiques. Ce congrès a donné l’impression que les bibliothèques du « Nord » attaquent le « deuxième cercle » de leur adaptation à l’environnement numérique omniprésent, et ce, dans de nombreux domaines.
Elles évaluent davantage leur offre à l’aune des demandes a priori et réactions a posteriori des usagers 5, quantitativement (30 indicateurs de l’ISO pour les bibliothèques nationales, comme l’a rappelé Roswitha Poll, bibliothèque de l’université de Munster, Allemagne) mais aussi qualitativement, non plus seulement en termes d’enquête de satisfaction des usagers mais bien à travers l’élaboration de méthodes scientifiques d’évaluation.
Elles se recentrent sur leurs missions de service public : la préservation et l’accessibilité au patrimoine à un coût raisonnable, d’une part, le volet social, d’autre part. Le numérique n’est pas tout (15 % seulement de la population mondiale a accès à internet) et les bibliothèques qui intègrent dans leurs missions le volet social ont été confortées par certaines analyses de chercheurs, comme au Danemark à l’examen des usages dans 40 bibliothèques 6.
Elles adoptent une démarche active de promotion de leur action auprès de la population et des décideurs politiques 7.
Les comportements des internautes changeant, les bibliothèques s’adaptent pour la signalisation et la fourniture en ligne de documents. Il s’agit aujourd’hui d’atteindre les usagers dans leurs propres espaces virtuels. Ainsi, la responsable de la bibliothèque nationale de Singapour dégage trois modèles de signalisation : du « restaurant », modèle classique de recherche dans le catalogue de la bibliothèque, à laquelle on se rend ensuite, au mode « franchise », où le contenu de l’offre est segmenté en fonction des besoins de groupes d’usagers, avec un lien pointant vers le catalogue de la bibliothèque, via la « pêche », pour un usager qui ne risque pas de venir à la bibliothèque puisqu’il a oublié jusqu’à son nom, et se sert de Yahoo ou Google pour identifier les documents susceptibles de l’intéresser. La bibliothèque nationale de Singapour teste actuellement une interface avec Facebook.
Côté fourniture de documents aux chercheurs, Michael Ireland, directeur de l’Icist (Institut canadien de l’information scientifique et technique, équivalent canadien de l’Inist), suite à une analyse prospective très fouillée, se demande combien de temps le mode traditionnel de prêt entre bibliothèques tiendra.
Enfin, les usagers du récent programme de numérisation de documents patrimoniaux à la demande « EOD » pour « E-books on demand 8 » coordonné par l’université d’Innsbruck, approuvent la facilité de l’identification de l’offre par le logo EOD dans les catalogues des bibliothèques partenaires, la facilité du paiement en ligne par carte bleue, avec deux « musts » : l’obtention rapide (délai maximal de trois semaines admissible), à un prix raisonnable (20 € par document, jugés « acceptables », alors que le prix moyen réel est de 50 € pour 200 à 300 pages).
Plusieurs interventions ont fait le point de l’état actuel des travaux pour la durabilité des supports numériques et la sécurité des collections patrimoniales (session Ifla-PAC).
Nos collègues anglo-saxons se préoccupent de transmettre des lignes directrices pour les partenariats public-privé 9, nécessaires pour la numérisation à grande échelle, avec ou sans Google 10. Ces programmes de numérisation soulèvent des questions parfois insolubles de localisation des ayants droit.
Patrimoine, gestion durable deviennent « tendance » dans l’architecture. Les habitants, systématiquement consultés outre-Atlantique, préfèrent, lors d’une rénovation, une réhabilitation dans le respect des bâtiments historiques, quitte à ajouter des ailes pour plus de lumière, comme à Vancouver ou Toronto.
Enfin, pour le contexte juridique, on note un regain de la question de la liberté d’accès à l’information 11. L’environnement numérique, favorable à la diffusion des informations engendrant des préoccupations quant à la protection des données personnelles des individus, crée de nouvelles responsabilités de vigilance de la part des services publics. Cette thématique a émergé cette année, ainsi que celle de l’authentification des données officielles, domaine dans lequel l’Europe s’avère en pointe au niveau mondial.