Les bibliothèques municipales en France après le tournant internet

attractivité, fréquentation et devenir

par Dominique Peignet

Bruno Maresca

Avec la collaboration de Christophe Evans et Françoise Gaudet
Paris, Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, 2007, 283 p., 22 cm., coll. Études et recherches
ISBN 978-2-84246-103-4 : 26 €

La BPI édite les résultats de l’enquête menée fin 2005 par le Crédoc pour mesurer l’impact du dispositif de lecture publique. Ces résultats sont mis en perspective avec des données sur les pratiques culturelles et des statistiques de la Direction du livre et de la lecture.

À l’heure où la concurrence d’internet, la baisse du nombre d’inscrits et de la fréquentation de certains établissements suscitent des inquiétudes et des interrogations, une lecture attentive et critique de cette enquête demandée par la DLL est recommandée à tous ceux qui se soucient de l’avenir des bibliothèques.

L’enquête interroge les plus de quinze ans, écartant ainsi le public nombreux des enfants et des adolescents et elle se limite aux bibliothèques municipales tout en apportant des données sur la fréquentation des bibliothèques accessibles au public (universitaires, scolaires, municipales). Elle est à la fois quantitative et qualitative, recueillant pratiques et opinions. Son principal intérêt est de confronter systématiquement les points de vue de quatre groupes : les inscrits, les anciens inscrits, ceux qui fréquentent sans s’inscrire et ceux qui ne viennent jamais en bibliothèque.

Usagers et usages dans un univers culturel concurrentiel

L’étude montre que les ex-inscrits sont plus nombreux que les inscrits et que le taux d’inscription s’est accru beaucoup plus lentement que la fréquentation par les non-inscrits. L’emprunt de documents est un usage circonscrit qui semble de moins en moins central. L’approche générationnelle, avec les notions de cycle de vie et de consommation familiale, est éclairante et mériterait une meilleure prise en compte par les professionnels.

Comme d’ailleurs la diversification des usages et des usagers, bien mise en évidence et qu’il faut sans doute mettre au crédit du modèle de la médiathèque qui a rapproché nos établissements des lieux marchands de diffusion des produits culturels. Si les inscrits fréquentent plus que les non-inscrits, l’usage qui se répand est celui de la fréquentation occasionnelle, avec une augmentation du nombre de visiteurs et du temps de visite. L’enquête montre aussi clairement l’impact du contexte résidentiel et la féminisation croissante ; elle fait aussi état de goûts culturels différenciés entre les usagers et les non-usagers.

La concurrence d’internet n’est pas avérée, sauf pour la recherche documentaire et l’enquête rapproche l’usage des bibliothèques et celui d’internet. Les usagers sont globalement plus équipés et plus utilisateurs de technologies numériques que les non-usagers. On peut toutefois penser que l’échantillon de l’enquête mésestime les nouveaux usages d’internet chez les adolescents et les jeunes.

L’impact de la grande distribution des produits culturels, rarement étudié, fait état d’une concurrence nouvelle notamment pour les livres de fiction et pour les CD musicaux. Quelle attitude les bibliothèques doivent-elles adopter dans cet univers concurrentiel où le public zappe d’un lieu et d’un mode à l’autre ?

Image et attractivité

Un quart des usagers utilise les catalogues et la moitié seulement a recours aux bibliothécaires : il y a là une réelle attente et un potentiel à explorer pour des bibliothèques qui ne proposent pas assez de services nouveaux ni d’accompagnement personnalisé à leurs usagers, notamment à ceux qui ne sont pas familiarisés avec leur organisation.

La perception de l’offre des bibliothèques est contrastée. L’enquête indique qu’il s’agit d’un lieu culturel perçu comme accessible par un grand nombre, souligne l’importance de la proximité et l’impact de la taille des établissements (les établissements de taille moyenne ont les meilleures performances). Elle révèle aussi les limites : manque de familiarité, manque de temps, d’habitude et d’intérêt pour les non-usagers ; contraintes d’ouverture et manque de choix dans les collections pour les usagers. Elle minimise l’importance des heures d’ouverture et de la tarification, qui n’auraient d’incidence que sur l’élargissement des pratiques des actuels usagers sans augmenter la fréquentation, interprétation qui mériterait d’être discutée.

Nos concitoyens sont tout à fait conscients de l’utilité sociale des bibliothèques, de leur valeur associée aux formes les plus hautes de la culture, à l’encyclopédisme, mais 63 % les trouvent peu attirantes et 42 % estiment qu’elle sont peu visibles dans le paysage urbain. Plusieurs configurations d’image de la bibliothèque permettent de visualiser les perceptions de la bibliothèque, que les professionnels pourront utilement méditer. Une part importante des Français ne se sent pas en affinité avec l’offre de lecture publique, et l’élargissement sociologique des publics reste insuffisant. Toutefois, outre les critères sociologiques classiques, l’enquête établit l’importance des actifs dans la fréquentation hors inscription, moins déterminée socialement que l’inscription et l’emprunt.

Pour terminer, les auteurs mettent en évidence la croissance continue de la fréquentation des BM depuis trente ans, en corrélation avec l’accroissement des établissements et de leurs moyens. Toutefois l’écart entre le calcul du nombre d’usagers estimé à partir des données des enquêtes (17 millions en 2005) et les derniers chiffres connus d’inscrits déclarés par les BM laisse perplexe.

Divers scénarios de développement prospectifs sont esquissés. L’accroissement de la culture générale et l’élévation du niveau d’éducation sont des facteurs favorables, mais les bibliothèques, qui ont perdu leur monopole, devront faire preuve d’imagination et d’innovation pour élargir leur base sociale et répondre aux souhaits de leurs usagers.