Modernité du patrimoine des bibliothèques
Juliette Doury-Bonnet
À l’occasion de la parution du Manuel du patrimoine en bibliothèque aux éditions du Cercle de la librairie, une table ronde a été organisée lors de la journée professionnelle du Salon du livre de Paris, le 26 mars dernier. Martine Poulain, directrice de la collection « Bibliothèques », souhaitait plus particulièrement sensibiliser les bibliothécaires de lecture publique à la question du patrimoine, qui les concerne même s’ils n’en ont pas forcément conscience.
Un manuel pour donner des repères
Raphaële Mouren a présenté l’ouvrage qu’elle a dirigé : l’idée était d’offrir une vision globale du patrimoine en bibliothèque – qui ne s’en tiendrait pas à la conservation – et de réunir des informations pratiques pour aider les responsables de fonds patrimoniaux. Ces derniers se sentent en effet souvent isolés face aux questions de numérisation, de droits ou de catalogage. Le nouveau manuel devrait leur permettre de faire le tour des connaissances à acquérir et de hiérarchiser les priorités. Cependant, a regretté Raphaële Mouren, il manque toujours un manuel de catalogage du livre ancien.
Thierry Delcourt (désormais à la Bibliothèque nationale de France) et Florence Schreiber donnèrent l’exemple de deux établissements qui ont choisi de mettre l’accent sur la diffusion de leurs fonds patrimoniaux vers un large public plus que sur leur conservation : la BMVR (bibliothèque municipale à vocation régionale) de Troyes grâce à la numérisation, pour le premier, et le réseau des médiathèques de Saint-Denis à travers un projet pédagogique à destination des enfants, pour la seconde. Les fonds patrimoniaux sont généralement hétérogènes, a rappelé Thierry Delcourt, et il est difficile de les mettre en cohérence. Les choix sont souvent dictés par l’opportunité, en fonction des aides possibles, des liens avec les collectionneurs, etc. Les deux intervenants insistèrent sur l’inscription de la bibliothèque et des collections dans un territoire. Pour Florence Schreiber, dont le public « vient de partout », il s’agit de « faire de l’avenir avec un passé commun » et de créer « une envie d’histoire ». Les bibliothécaires doivent attirer l’attention des élus sur ces fonds, afin d’obtenir des financements et du personnel, et utiliser les savoir-faire et les compétences (ou les incompétences !) de tous, équipe en place, collègues d’autres établissements, partenaires locaux (comme l’Institut national du patrimoine à Saint-Denis).
La numérisation est-elle le seul avenir du patrimoine ?
Pour Bernard Huchet (bibliothèque municipale de Caen), un document n’est patrimonial que parce qu’il se situe dans un ensemble, celui des œuvres qui constituent notre bagage commun, le « patrimoine incorporel ». C’est dans ce sens que la numérisation présente un certain avenir du patrimoine : la culture française et francophone doit être présente sur les réseaux. Mais ce sont les documents originaux conservés qui sont garants de sa valeur : « La matérialité du patrimoine est la clé de son avenir. »
Cependant, « le patrimoine de l’avenir court le risque d’être numérique ». Bernard Huchet s’est interrogé sur la façon dont les bibliothécaires pourraient poursuivre leurs missions et intégrer les documents numériques. Beaucoup d’informations passent désormais par des sites internet : « Que se passe-t-il au-delà de la politique de signets ? »
Évolution des politiques professionnelles
Après avoir souligné la synergie entre le dépôt légal du web et les fonds régionaux, Valérie Tesnière (Inspection générale des bibliothèques) a rappelé que les politiques du patrimoine n’avaient jamais percé en France *. Il n’y a toujours pas de loi sur les bibliothèques qui demeurent « en creux » par rapport aux musées et aux archives. Deux facteurs expliquent cette situation : d’une part, la question du patrimoine est encore victime de l’opposition avec la lecture publique et, d’autre part, on ne comprend pas les collections, qu’on se réapproprie à présent au titre de racines. Cependant, grâce à la coopération, les progrès sont sensibles, même si les actions sont souvent disparates.
Les bibliothèques n’ont pas investi le rapport intime au patrimoine de la même façon que les archives : « On en reste un peu à la présentation de la réserve du patron ! » « Mais la vraie leçon, c’est l’alliance du support et du contenu. »
Dans le public, Claudine Belayche posa la question des moyens pour « faire sortir le patrimoine de sa réserve » – ce seront surtout ceux des collectivités locales, rappela Valérie Tesnière. Mais pour Raphaële Mouren, c’est d’abord une question de volonté.