Musique en ligne en bibliothèque publique

Pierre Bruthiaux

Le jeudi 16 novembre, à Troyes, la participation était somme toute importante, étant donné le lieu de la journée et la modernité du sujet : une bonne cinquantaine d’auditeurs venus en majorité de l’Est de la France. Il est vrai que d’autres journées sur ce thème sont d’ores et déjà prévues dans d’autres régions.

Les intervenants venaient des pays européens proches de la Champagne-Ardenne. Cela signifierait-il que la France n’est pas très avancée sur ces questions ?

L’expérience de Troyes

Louis Burle, l’organisateur de la journée avait pris l’habit de vice-président de l’agence de coopération locale (Interbibly), mais on sentait bien qu’il ne pouvait oublier celui de directeur de la lecture publique troyenne. Dès son introduction à la journée, il a montré sa soif d’avancer, son obligation absolue d’inscrire la BMVR (bibliothèque municipale à vocation régionale) de Troyes dans le temps présent. L’investissement financier des collectivités est à la mesure de l’enjeu.

Pour lancer l’objectif nouveau de proposer au public des services dématérialisés en ligne, y compris la musique, mais pas seulement, il n’y avait que très peu d’exemples : l’e-music à la BMVR de Limoges (scène locale), Netmusic au Danemark ou Overdrive.com aux États-Unis.

La recherche s’est faite auprès des majors et des grandes surfaces telles que Cora, la Fnac ou M6 Music qui mettent en place leurs plates-formes. Mais ces sociétés ne travaillent qu’avec des individus et non des collectivités.

En 2005, Troyes offre la possibilité à son public d’accéder au catalogue Naxos, essentiellement musique classique, mais aussi jazz. Le constat est que les usagers n’utilisent pas le service sur place.

Aujourd’hui,  Troyes expérimente une plate-forme d’origine canadienne, iThèque, formule choisie aujourd’hui par Montpellier et quatre bibliothèques de Montréal. C’est une plate-forme multimédia proposant musiques bien sûr, mais aussi e-books, livres lus. Après quelques mois d’expérience, on constate surtout des usages basés sur la curiosité. 127 personnes se sont inscrites dont quelques-unes extérieures à la Champagne-Ardenne. Il s’agit bien d’un service en ligne et non de téléchargement. Il faudra du temps pour répondre aux demandes des usagers, ainsi qu’à cette question plus large : quels seront les usages ? On constate également la nécessité de proposer un fort contenu local. Le coût d’un tel service est relativement peu élevé. Il dépend de la demande et du nombre d’usagers envisagés.

L’avenir du CD ?

Lors de la table ronde qui réunissait Nicolas Blondeau de la bibliothèque municipale de Dôle (Jura), Gilles Pierret de la Médiathèque musicale de Paris et Tony de Vuyst de la Médiathèque de la Communauté française de Belgique, les positions ont été variées, voire extrêmes.

Pour Gilles Pierret, la mort du CD est programmée dans trois, quatre ou cinq ans. Il faut cependant continuer à acheter des CD, mais surtout ne pas faire que ça. Toutes les expériences sont possibles en suivant deux axes, le local et le patrimonial. Il faut sans doute abandonner le modèle de la collection de prêt. Mais quel autre modèle peut-on proposer ?

Pour Tony de Vuyst, les musiques sont toujours là, mais elles y sont autrement. Le public répondra présent si on lui offre une qualité d’accueil et de conseil, dans un esprit de communauté.

Nicolas Blondeau évoque, pour sa part, les possibilités actuelles et à venir d’accès à la musique dématérialisée. Il parle des espaces tels que Myspace, formidable outil offert à tous les musiciens, des blogs ou wikis, des convergences possibles avec la téléphonie mobile, etc.

Quelques expériences récentes

Édith Anastasiou présente l’expérience de la médiathèque de Martigues, qui a ouvert un service d’écoute sur place de musique, accessible avec des PC-Pocket connectés par wifi sur le serveur de stockage. Il a fallu numériser des milliers de morceaux de musique. L’expérience est présentée avec beaucoup de réserves tant sur la lourdeur du système que sur le succès relatif. Il ne s’agit là que d’écoute sur place.

Tony de Vuyst, lui, décrit la nouvelle plate-forme inaugurée début novembre à la Médiathèque de la Communauté française de Belgique. Il faut d’abord préciser que la Médiathèque est de statut associatif avec un financement à 40 % par des fonds publics et à 60 % sur ressources propres. Elle compte actuellement 150 000 membres dont 80 000 ont Internet. Elle propose 40 000 plages de musique en ligne. Il s’agit d’une plate-forme de téléchargement légal qui veut promouvoir les labels belges et/ou indépendants en complémentarité des sites marchands. L’offre est accompagnée d’un solide travail rédactionnel. Elle utilise des fichiers MP3 sans DRM avec des droits négociés dans le monde entier.

Christian Amauger parle ensuite d’iThèque, plate-forme multimédia animée et gérée par des bibliothécaires qui peuvent eux-mêmes l’alimenter. Il s’agit d’une écoute en streaming. L’abonnement de la médiathèque est variable. La somme de 5 000 € par an a été donnée en exemple. Il s’agit en fait d’un prêt numérique, qui est valable trois semaines. Éric Barouti, de la société Vivacode, explique comment celle-ci va sécuriser ces prêts afin d’être en règle avec les droits d’auteurs.

Florent Dufau de la bibliothèque de Genève, outre le projet suisse, évoque cette idée de niche de positionnement clair. 70 % des Suisses ont un accès Internet. Il faut communiquer pour informer le public que la bibliothèque peut aussi fournir de la musique en ligne.

Et pour finir, Frédéric Chaplin, directeur du label Priskosnovénie montre comment, d’abord très frileux à l’idée d’utiliser le Net, il est aujourd’hui convaincu. Formidable outil promotionnel, le Net permet de réaliser des ventes hors des circuits habituels. Il permet également de fournir une musique épuisée.

Journée riche en expériences, en témoignages, mais aussi en questionnements. Il est clair que nous vivons une sorte de révolution technologique, qui bouscule également nos modes de fonctionnement. Frédéric Chaplin a peut-être bien résumé la journée en disant : « Il faut mettre du sens dans tout ça, sans se laisser dépasser par la technologie. »