Audiovisuel et lieux littéraires
Rencontres des maisons d’écrivain et des patrimoines littéraires
Robert Tranchida
Pour la 9e édition de ses Rencontres organisées à Bourges, du 17 au 19 novembre 2006, la Fédération des maisons d’écrivain et des patrimoines littéraires avait choisi de traiter le thème de l’audiovisuel dans ses relations à la littérature ou aux maisons d’écrivain. Responsables et gestionnaires de ces lieux mémoriaux s’étaient réunis à cette occasion, à la fois pour amorcer une réflexion d’ensemble, s’informer sur les ressources offertes par l’audiovisuel en matière de conservation, de recherche ou d’animation et pour échanger leurs expériences dans ce domaine.
Dans son intervention d’ouverture, le romancier et scénariste Didier Decoin, qui parrainait les Rencontres, devait souligner qu’après une longue période de défiance durant laquelle la littérature et le cinéma (« divertissement d’ilotes » pour Georges Duhamel) furent considérés comme des pratiques ou des supports culturels antagoniques, les mots et les images, l’écrit et l’écran sont désormais inscrits dans un rapport d’enrichissement mutuel : beaucoup d’écrivains ont été ou sont cinéastes ou scénaristes potentiels ; les œuvres audiovisuelles permettent souvent de lire différemment les œuvres littéraires ou de redécouvrir les écrivains. Les deux moyens d’expression tendent même à se rejoindre au niveau des formats comme des pratiques consommatrices. L’audiovisuel est devenu constitutif du patrimoine littéraire, donc incontournable pour les lieux qui ont en charge ou qui animent ce patrimoine.
Sur trois jours, le programme des Rencontres avait prévu de faire alterner des ateliers à visée très pragmatique avec de nombreuses, émouvantes et passionnantes projections de films, adaptations, entretiens, émissions télévisuelles, des documents rarement diffusés évoquant une quarantaine d’écrivains, depuis les premières images muettes du siècle précédent jusqu’aux productions les plus récentes 1. Les ateliers animés par des personnalités venues d’horizons divers (créateurs, producteurs, animateurs d’émissions littéraires, responsables d’institutions patrimoniales) ont permis de faire le point et de fournir une information de haut niveau sur les ressources du patrimoine audiovisuel, sur l’accès aux œuvres, sur leurs modes de diffusion, sur l’exploitation et la mise en œuvre de ces ressources pour les lieux littéraires.
Aux sources du patrimoine audiovisuel
Les représentants des trois grands réservoirs nationaux du patrimoine audiovisuel, le Centre national de la cinématographie (CNC), l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) et la Bibliothèque nationale de France (BnF), ont tour à tour exposé leurs missions puis les collections et les services respectifs que leurs institutions peuvent offrir aux utilisateurs. Grâce à l’installation récente d’une antenne des Archives françaises du film, aux côtés des collections de la BnF et de celles de l’Inathèque, Alain Carou, responsable du service Images à la BnF, a indiqué que les catalogues des trois récipiendaires du dépôt légal en matière audiovisuelle sont désormais interrogeables en un même lieu : le chercheur peut donc avoir accès à un gisement documentaire riche et complémentaire, dans le domaine littéraire comme dans bien d’autres 2. L’intérêt est évident, en particulier pour amorcer les filmographies ou les médiagraphies dont les adhérents de la Fédération ont besoin afin d’exploiter ces sources, préalables pour la recherche des localisations d’originaux et pour connaître les détenteurs de droits, autant de problèmes dont les débats ont souligné la complexité, exigeant des méthodologies adaptées au cas par cas. Les échanges ont aussi porté sur diverses questions en matière de plans de sauvegarde, de numérisation, de formation professionnelle à la gestion de fonds audiovisuels.
Accès aux œuvres audiovisuelles
La question centrale de l’accès aux œuvres et aux documents fut abordée : comment acquérir des copies et s’assurer des conditions juridiques préalables à leur communication ou à leur projection ? Les services de diffusion culturelle ont été présentés, pour l’Ina (Archives pour tous) par Sylvie Richard et pour le CNC (Images de la culture) par Marc Guiga. Ces services en ligne offrent des possibilités en vue d’acquisitions temporaires ou d’une consultation permanente dans l’emprise d’une institution. C’est ensuite Pascal Brunier, directeur général de l’Adav, centrale d’achat bien connue du monde de la lecture publique, qui proposa son catalogue et les conditions spécifiques qui lui sont liées. Tous ont insisté sur les difficultés à établir des tarifs en fonction des usages et selon que les droits ont été préalablement régularisés, négociés et que des dossiers de production ont été ou non versés. Les conventions en ce domaine peuvent prendre des années et les délais sont plus ou moins longs selon les requêtes. Bernard Faivre d’Arcier, administrateur civil du ministère de la Culture, qui animait l’atelier, suggéra à la Fédération et à ses adhérents d’entreprendre des démarches collectives afin d’obtenir que telle collection ou tel titre d’émission littéraire soient inscrits au catalogue, ou encore pour identifier des producteurs, des ayants droit à partir de commandes groupées. Les maisons d’écrivain peuvent aussi avoir vocation à produire et diffuser des œuvres audiovisuelles. Des partenariats avec ces organes de diffusion peuvent être envisagés.
Mettre en œuvre l’audiovisuel
Plusieurs ateliers furent enfin consacrés à la question de l’exploitation et de la mise en œuvre des ressources audiovisuelles dans les lieux littéraires, qu’il s’agisse de réalisations muséographiques ou d’activités pédagogiques : création de vidéothèques de consultation comme celle réalisée au centre François Mauriac de Malagar, projections publiques comme le pratiquent sur grand écran Les Cinésites, festival européen créée par le centre Jean Vigo et dont l’expérience fut présentée par son délégué général Alain Marty. Un autre échange d’expériences eut lieu, entre autres sur le chantier de présentation des collections du musée Buffon à Montbard, les adaptations cinématographiques à la maison de Balzac à Passy, et la « Maison des ailleurs », lieu rimbaldien à Charleville-Mézières. En présence des réalisateurs Jean-Daniel Verhaeghe et Jean Périssé et de l’acteur Bernard Le Coq, fut évoquée l’expérience particulière du musée du Cayla, maison de Maurice et Eugénie de Guérin (Tarn), un lieu d’écrivain ayant accueilli un tournage. Ce dernier atelier s’est tenu à Issoudun où les participants eurent l’occasion de visiter les récents locaux des archives régionales de Centre Images, type d’institution qui peut aussi jouer un rôle dans le repérage des lieux de tournage.
Questions et perspectives
C’est avec Sylvie Gouttebaron, directrice de la Maison des écrivains, que fut esquissé un débat, plus esthétique, sur les archives de demain : comment filmer les écrivains aujourd’hui, comment diffuser leurs œuvres, comment surmonter les vicissitudes de la médiatisation actuelle, quelles types d’émissions littéraires promouvoir? À sa suite, Jérôme Prieur, écrivain et réalisateur, commenta l’un des numéros de sa collection « Les Hommes-livres » consacré à Pierre Michon. Quant aux nouveaux modes de diffusion, Marie-Laure Lesage d’Arte présenta le concept d’Arte VOD, service de vidéo à la demande qui offre l’accès à une sélection de grands programmes de la chaîne, un concept qui pourrait se développer rapidement et permettre de créer des plates-formes de diffusion en partenariat avec des lieux intéressés.
Michel Melot, qui avait accepté de conclure les Rencontres, livra aux participants une riche réflexion historique sur « le spectacle de l’écrivain » et « le théâtre de l’écriture », la maison de l’écrivain pouvant être considérée comme le décor de ce spectacle 3. Ces Rencontres au programme très chargé n’ont fait qu’ouvrir de multiples chantiers pour la Fédération, qui s’est engagée à publier prochainement un Mémento de l’audiovisuel à l’usage des responsables de maisons d’écrivain.