Document numérique et société
Semaine du document numérique
Brigitte Guyot
À l’instar des manifestations anglo-saxonnes, cette semaine rassemblait, à Fribourg (Suisse), du 18 au 22 septembre, plusieurs colloques réunissant chacun des communautés scientifiques, comme l’informatique, le traitement du signal, l’ingénierie linguis-tique et les sciences sociales. Cette conférence a réussi le tour de force de rassembler au même endroit et au même moment des chercheurs de disciplines très différentes qui concourent à produire ou à gérer le document électronique. Ceux-ci ont commencé à collaborer voici trois ans sur la thématique du « document à l’ère du numérique ». Le résultat vient d’être édité sous le pseudonyme de Roger Pédauque 1.
Le document numérique
Vaste thématique, qui prend des aspects aussi concrets que la gestion des textes électroniques (pages web, fichiers issus des logiciels de traitement de texte) ou documents multimédias incluant des séquences filmées et des musiques enregistrées et passant par les multiples traitements informatiques du document traditionnel : scanner, indexer, archiver, voire interpréter et résumer… Cela englobe finalement l’ensemble de la culture numérique.
On pouvait donc se glisser dans les salles du Cifed (Colloque international francophone sur l’écrit et le document) et écouter spécialistes des méthodes d’intelligence artificielle et spécialistes du traitement informatique du document ancien. Il est toujours passionnant de découvrir ce qui se prépare en coulisse pour améliorer tant la recherche que la présentation de l’information : traitement de la langue, des textes, des images 2, ingénierie linguistique, codage, analyse et interprétation de documents, identification des éléments clés d’un texte, extraction automatique de sa structure pour le résumer, le traduire ou l’indexer, sans compter les dispositifs récents d’écriture numérique.
DocSoc
Le colloque « DocSoc 3 », les 20 et 21 septembre, constituait la partie « sociologique » de cette approche et réunissait chercheurs en sciences de l’information, mais aussi bibliothécaires, documentalistes et archivistes intéressés à la mise en valeur de ressources documentaires. Cette année, l’accent était mis non pas sur les études d’usages mais sur les recherches consacrées aux enjeux économiques et aux stratégies des acteurs du monde électronique (aussi bien Google que Yahoo, la presse que les transformations en cours dans les modes de publication pour le web) étudiant, notamment, leurs répercussions sur les modes de lecture et d’écriture. Toutes les interventions visaient à « démonter » ce qui se passe derrière les outils, à repérer les choix des journalistes, des éditeurs ou des producteurs de logiciels.
C’est ainsi qu’on voit se construire progressivement de nouveaux genres éditoriaux dont les emblèmes sont l’encyclopédie Wikipedia, Agoravox, les blogues et les fils RSS : tous éclatent et réorganisent des notions qu’on croyait stables, en particulier celles d’auteur, d’éditeur, et de lecteur. Lorsque chacun devient tour à tour lecteur, contributeur, annotateur ou éditeur, que les dispositifs d’évaluation se transforment dans un vaste mouvement d’échanges, qu’en est-il du statut des informations collectivement produites et comment le repérer ?
L’ambiance, on s’en doute, était aux discussions inter-disciplinaires. C’est ainsi qu’eurent lieu de très intéressants débats sur l’identité numérique, dont on peut attendre des aspects positifs (personnalisation des prestations) mais aussi négatifs (contrôle social omniprésent) ; sur la fracture numérique et sur la place de l’Internet dans le développement (l’opportunité numérique).
Ces interventions fort stimulantes montrent que les chercheurs ont une responsabilité vis-à-vis de la société, leur rôle pouvant être de lever le voile sur un avenir que d’aucuns estiment déjà tout tracé ou irréversible. C’est insister, en parallèle, sur le rôle que chacun peut et doit jouer, et ce d’autant plus qu’il comprend mieux comment les choses fonctionnent du côté de ceux qui les mettent en place.
Autant de thèmes de réflexion pour les professionnels de la médiation qui pourraient se sentir, sinon exclus, du moins dépassés par l’évolution rapide de ces outils, ou encore mis en concurrence avec ces nouvelles formes d’accès et de production des savoirs (savoir profane progressivement constitué en savoir reconnu, sinon académique). Il importe qu’ils suivent attentivement ces évolutions et les considèrent comme des défis et, surtout, comme des occasions de repositionner leurs prestations et de reconsidérer la place du savoir dans notre société. Pour eux, c’est aussi l’occasion de réfléchir en termes de complémentarité et non plus d’autorité culturelle, de décrypter les conditions dans lesquelles un grand nombre de connaissances sont désormais produites, et de jouer le rôle pédagogique qu’on attend d’eux.