Les bibliothèques et leurs partenaires

Juliette Doury-Bonnet

Deux ateliers ont été consacrés aux partenaires des bibliothèques, le 9 juin dernier, lors du congrès de l’ABF. Ceux des bibliothèques municipales, au cours d’une table ronde animée par Nic Diament (la Joie par les livres) : « Bibliothécaires, enseignants, libraires, éditeurs : compagnons de route ou vrais amis ? ». Et ceux des bibliothèques universitaires, à travers une rencontre modérée par Anne Dujol (SCDU Aix-Marseille II) : « Documentation électronique et systèmes d’information documentaires : quel dialogue entre fournisseurs, éditeurs et bibliothécaires ? ».

Quelle représentation de la lecture et des jeunes ?

Nic Diament a proposé de cerner les spécificités de l’approche du livre et de la lecture des différents acteurs de la chaîne du livre. Représentant les bibliothécaires, elle montra que ceux-ci valorisent le côté ludique et libertaire de la lecture et s’efforcent de proposer le plus tôt possible la collection la plus large possible à un enfant autonome.

Du côté des enseignants, il n’y a pas de point de vue global. Max Butlen (INRP) rappela que, jusqu’en 1945, comme l’Église, l’École s’était méfiée de la lecture : lire, c’était bien, mais de « bons livres » et sous la guidance du maître.  Aujourd’hui, on est dans la déploration pédago-gique et sociale : les jeunes ne lisent plus, ou alors pas ce qu’il faudrait.

Thierry Magnier considère l’éditeur de création comme une force de proposition et refuse de laisser entraver son travail et celui de l’auteur par les analyses « du psy, du pédago et de la maman du VI e arrondissement » mis à contribution par les « fabricants de livres ».

Le libraire quant à lui est à la croisée des chemins. Même s’il a la même approche que les bibliothécaires, il travaille avec les prescripteurs plutôt qu’avec les enfants, constata Jean-François Sourdet (librairie l’Eau vive à Avignon).

Qu’est-ce qu’un bon livre ? Max Butlen distingua cinq critères. Un bon livre doit permettre à l’enfant de grandir en s’identifiant et en se différenciant. Il doit faire travailler l’intelligence et la sensibilité (livres « réticents et proliférants » qui « résistent ») ; favoriser les activités créatrices ; renvoyer à la lecture d’autres livres (la fameuse intertextualité, autrefois réservée à des lecteurs privilégiés) ; favoriser les apprentissages (culturels avant tout) pour construire une personnalité et des savoirs.

Malgré la masse éditoriale, les bibliothécaires pour la jeunesse ont toujours une pratique de lecture intensive ce qui leur assure une connaissance et une expertise de première main. Ils doivent faire face à deux missions parfois contradictoires : promouvoir la qualité et contribuer au développement de la lecture des enfants. Un bon livre résiste à plusieurs lectures et à plusieurs générations de lecteurs, mais les bibliothèques n’ont pas que des chefs-d’œuvre en rayon ! Nic Diament distingua critères d’analyse et critères d’acquisition et souligna que « la pertinence de l’achat dépend aussi de la collection ».

Tous les éditeurs essaient de faire de bons livres. Cela reste subjectif quand on fait de la création et non pas des produits marketing. Il y a une politique éditoriale, mais il s’agit de convaincre les représentants, les parents, les « prescripteurs, même si le livre n’est pas un médicament ». Et le banquier aussi a son point de vue : le bon livre, c’est celui qui marche.

Comme rendre un enfant lecteur ?

Max Butlen insista tout d’abord sur la prépondérance de la lecture « utile » aujourd’hui, même s’il reconnut que la lecture littéraire était essentielle. Il conseilla de ne pas dégoûter les enfants sous l’effet de la triple prescription des parents, des enseignants et des bibliothécaires. On ferait de la lecture « un chemin de croix sans salut » ! Il suggéra de varier l’offre, de prendre en compte la demande, de ne pas faire des textes des prétextes.

Nic Diament remarqua que lire et lecture étaient devenus intransitifs. On parle moins des objets de lecture qui sont tous devenus légitimes. Les bibliothécaires mettent l’accent sur la politique de l’offre et sur le rôle de médiation. Mais ils sont devenus plus modestes : ils prennent conscience qu’on peut lire ailleurs qu’à la bibliothèque. Il est important que « les enfants deviennent accros à la lecture », mais il n’y a pas de truc pour qu’ils le restent après 14 ans.

Certains éditeurs font des collections pour faire des enfants « des accros dépendants » : le livre n’est alors plus qu’un prétexte pour vendre une marque, déplora Thierry Magnier. Il faudrait donner à l’enfant la possibilité de choisir lui-même. « L’éditeur essaie de trouver des petites combines pour donner le goût. »

Les parents, « c’est ma bête noire », s’exclama l’éditeur : on ne fait pas les livres pour eux. Mais comme le souligna Jean-François Sourdet, ils sont la clé de voûte. Max Butlen renchérit : les parents sont tous condamnés à l’échec relatif, comme les enseignants ou les psychologues. Ils veulent trop bien faire ou pas assez. Pourtant, si l’on interroge les enseignants, les médiateurs clés de leur entrée en lecture, ce sont les mères et les grands-mères, parfois les pères ou les frères et sœurs. Pourquoi pas de figure enseignante, s’interrogea-t-il ?

Pour faire venir les enfants, les bibliothécaires ont pris conscience de l’importance de convaincre et d’accueillir les parents, dont certains sont d’anciens lecteurs de la section jeunesse, au point parfois de leur proposer un coin parents…

Enfin Thierry Magnier rendit hommage aux « petites fourmis » des associations qui vont là où il n’y a pas de livres.

Les contraintes des métiers de la chaîne du livre

Faisant fi de la censure, Thierry Magnier mit en avant la contrainte économique, même si « le risque fait partie du métier ». Jean-François Sourdet insista aussi sur la production éditoriale pléthorique, le manque de temps qui fait passer l’administration avant la lecture, les contraintes étatiques qui font perdre des marchés publics et enfin les fameuses listes de l’Éducation nationale qui transforment le libraire-conseiller en distributeur.

Pour l’enseignant, Max Butlen mit l’accent sur l’obligation de résultat pour tous. Les programmes peuvent être un carcan, mais aussi une garantie démocratique. Dans une curieuse alchimie, la prescription doit pouvoir s’articuler avec l’offre et l’incitation.

Nic Diament se réjouit de la chance des bibliothécaires pour qui toutes ces contraintes existent, mais de façon très atténuée. Ils ne se rendent pas toujours compte de cette relative liberté et se plaignent de n’être pas reconnus comme bibliothécaires ni comme spécialistes. Elle souhaita la fin des querelles corporatistes et prôna « une chaîne du livre solidaire ».

Documentation électronique et systèmes d’information documentaires

En préambule à l’atelier consacré au dialogue avec les fournisseurs et les éditeurs sur la question de la documentation électronique,  Anne Dujol nota la spécificité de la bibliothèque électronique à l’université. Elle est constituée d’un catalogue informatisé, d’un serveur de thèses électroniques, de bases de données, de revues en ligne, d’encyclopédies, dictionnaires, ouvrages numérisés…

Les deux premiers intervenants donnèrent le point de vue des éditeurs. Claude Blum représentait Champion électronique, une société issue des éditions Champion qui édite des bases de données littéraires en mode texte, d’une grande rigueur scientifique. Il insista sur la difficulté à faire vivre de tels produits lorsqu’Anne Dujol l’interrogea sur la diversité des tarifs des documents électroniques.

Michèle Côme exposa l’ambition des éditions juridiques Lamy (groupe Wolters-Kluwer) : « Accompagner le juriste du berceau à la tombe. » D’où la nécessité de passer par l’université pour toucher le futur professionnel. Les outils pointus tels que la base de données Lamyline, pensés dans la logique des juristes et dont le contenu est validé par l’éditeur, devraient être mieux connus : « Ça fait peur de voir les étudiants en droit sur Google. » Anne Dujol fit remarquer que les annuaires LDAP (Lightweight Directory Access Protocol) devraient permettre d’engager avec les éditeurs une nouvelle réflexion sur les accès aux ressources électroniques.

Marc Minon présenta le portail Cairn  1 qui compte actuellement 70 revues de sciences humaines en ligne. Pour le moment, 35 % des BU ont souscrit une licence d’accès. En ce qui concerne les bibliothèques municipales, très hétérogènes, une expérimentation va être lancée entre septembre et décembre 2006, pour étudier les usages et les pratiques et définir « ensemble » des conditions tarifaires raisonnables. Anne Dujol insista sur le souhait des utilisateurs de disposer de statistiques fines d’usage.

Nathalie Marcerou-Ramel (SCDU Lyon I) intervint en tant que coordinatrice des négociations de Couperin 2. Ce consortium pluridisciplinaire offre un type de relations entre bibliothèques et éditeurs pour résoudre des problèmes en particulier tarifaires. En réponse à une question sur la faiblesse de l’offre des éditeurs français en sciences dures, elle mit l’accent sur la crainte de ces derniers que des manuels en ligne ne soient pas rentables. « Il faut attendre que les éditeurs français soient rachetés », regretta-t-elle, prenant l’exemple de l’Encyclopédie médico-chirurgicale accessible en ligne depuis son rachat par Elsevier.