L'édition menacée
livre blanc sur l'édition indépendante
Paris : Duboiris, 2006. – 79 p. ; 21 cm. – (Monde imparfait).
ISBN 2-9522315-6-7 : 8 €
Ce petit ouvrage, coordonné par Charles Onana pour le compte de l’association l’Autre livre, reproduit l’essentiel des interventions des « premiers états généraux de l’édition indépendante » qui eurent lieu le 29 avril 2005 à l’initiative de cette association et avec le soutien du conseil régional d’Île-de-France, de la direction régionale des affaires culturelles, de la ville de Paris, etc., dans le XIe arrondissement de Paris.
Le sujet est d’actualité : articles de presse 1 et rencontres foisonnent. Le récent salon du livre de Paris y consacra plusieurs tables rondes ou conférences, avec en maître d’ouvrage une autre association d’éditeurs indépendants, l’Alliance, et un programme qui voulait promouvoir « la bibliodiversité au cœur de l’espace francophone » ; le syndicat national de l’édition (SNE) a créé un groupe de travail présidé par Liana Lévi, qui travaille à élaborer des propositions concrètes pour aider les « petits éditeurs » ; de nombreuses rencontres régionales enfin rassemblent localement les structures concernées, la dernière s’étant tenue en Aquitaine 2.
Un problème de définition
Chacune de ces initiatives essaie, malgré la difficulté, de définir exactement son périmètre, voire son appellation : petite édition ou édition « indépendante » (sous-entendu indépendante des groupes financiers qui contrôlent les grands groupes éditoriaux) ? L’adjectif petite a une connotation péjorative, le qualificatif d’indépendant crée une entité où se côtoient les éditions Gallimard ou l’École des loisirs, éditeurs ayant effectivement gardé une structure familiale indépendante, et des micro-éditeurs (au sens économique) qui ont bien du mal à se considérer confrontés aux mêmes préoccupations. Pourtant, ainsi que le rappelait Antoine Gallimard, dans un hommage remarqué à ces maisons « qui ont joué à l’égard d’une maison comme la mienne le rôle d’aiguillon », il existe une continuité, une affiliation naturelle entre ces éditeurs car « la solidarité entre les petites et moyennes structures est au cœur de notre système éditorial 3 ».
Il est dans un premier temps assez facile de brosser un tableau succinct de l’édition française et les premières communications reproduites dans cette brochure ne manquent pas de le faire : l’édition est très concentrée et aux mains de grands groupes financiers ou industriels multinationaux. Hachette-Lagardère, Wendel Investissement (Éditis), Rizzoli (Flammarion), Média-Participations, Reed-Elsevier contrôlent 70 % de l’édition française. Cette concentration va croissant comme en ont témoigné le rachat du Seuil par La Martinière ou, en 2005, ceux de Masson par Reed-Elsevier et du Rocher par le Groupe Privat.
À terme cette concentration est dangereuse pour la création ou, plus directement, pour l’expression d’idées critiques sur la société. Ces groupes privilégient en effet la rentabilité de leurs actionnaires, avec des objectifs supérieurs à ceux qui étaient en usage dans l’édition familiale : ils se concentrent sur les marchés porteurs, les productions culturelles de masse. Et ils n’ont aucun intérêt à éditer des ouvrages qui offrent une critique de la société et de l’économie qu’ils représentent. À l’autre extrémité de ce monde, apparaissent de nouveaux éditeurs qui s’installent dans les périmètres et sujets délaissés par ces groupes mais qui vont rapidement se trouver limités dans leur développement car ils ont du mal à trouver des structures de diffusion ou de distribution et ils sont évincés des circuits commerciaux de librairies.
Les barrières de la diffusion
Ce constat est souvent peu nuancé : toutes les petites maisons d’édition ne sont ni créatives, ni militantes et à l’inverse, certains groupes garantissent des espaces de liberté éditoriale, ne serait-ce que parce qu’il faut un constant renouvellement des publications. Mais le fond du problème est bien posé : pour l’édition comme pour l’ensemble des domaines de la culture (pensons au film ou au disque), il existe des barrières de diffusion de plus en plus infranchissables pour les structures nouvelles et, par contrecoup, une raréfaction de l’offre au profit des plus grosses structures.
De ce point de vue, plusieurs des interventions rassemblées ici sont éclairantes. Bernard de Fréminville, directeur général de Dilicom, apporte d’utiles éléments statistiques qui démontrent la vitalité des petits éditeurs mais qui pointent également leur problème majeur : 43 % des petits éditeurs actifs se diffusent eux-mêmes et 49 % se distribuent eux-mêmes. Gilbert Trompas, ancien cadre de chez Hachette, aujourd’hui responsable de Corsaire éditions, apporte un témoignage significatif sur la difficulté d’existence du petit éditeur en librairie : pour les libraires, « à un éditeur correspond un distributeur » et ils travaillent et « paient en priorité ces fournisseurs indispensables qui les alimentent en livres médiatisés. La trésorerie tendue du libraire fait que les petites factures [de l’éditeur qui se diffuse par lui-même] sont réglées avec généralement beaucoup de retard ». Éditer n’est donc pas très difficile mais en revanche, atteindre un public, tout simplement en étant représenté en librairie, reste l’obstacle majeur sur lequel échouent beaucoup de ces petits éditeurs.
Deux remarques s’ensuivent : il devrait exister une association entre l’édition indépendante et la librairie indépendante. C’est ce qu’évoque Raphaël Ripouteau, de la librairie spécialisée en sciences humaines le Tiers-mythe, à Paris. Selon lui, les librairies indépendantes ont tendance à être des librairies de fonds et à être moins sujettes aux effets de mode. Encore faut-il pour réaliser cette alliance une déontologie de part et d’autre. Or, « de même que beaucoup de libraires indépendantes ressemblent à s’y méprendre à de petites Fnac […], un certain nombre d’éditeurs indépendants se rêvent Hachette et jouent le jeu de la rentabilité à court terme. »
La seconde remarque porte sur l’intervention des pouvoirs publics dont l’aide est souvent sollicitée. Cette aide est justifiée lorsqu’elle vient corriger les limites de l’offre commerciale en donnant aux citoyens un accès réel à une diversité de création et d’idées. La définition de cette politique n’est point aisée car elle devrait impliquer, en bonne logique, un mélange de considérations économiques et de critères intellectuels.
Ces états généraux se concluent, comme d’autres, sur une liste de propositions plus ou moins réalistes, qui oscillent entre un appel à l’Union européenne pour « l’application des règles d’une concurrence loyale » et, plus concrètement, une demande pour trouver des solutions urgentes aux problèmes de diffusion/distribution des éditeurs. Cette dernière revendication est certainement la plus fédératrice : souhaitons que le projet Calibre du SNE y apporte une solution 4.