Les sites web des bibliothèques municipales françaises
Vers de nouveaux territoires ?
Selon une étude des services proposés sur les 80 sites répertoriés par l’Association des directeurs des bibliothèques municipales et intercommunales des grandes villes (ADBGV), 23 bibliothèques municipales proposent au moins un service qui touche un public national ou international. Cependant proposer des contenus et des services qui affranchissent l’internaute d’un déplacement à la bibliothèque ne suffit pas pour une fréquentation satisfaisante du site. Dans un domaine aussi concurrentiel que le web, quatre caractéristiques semblent déterminantes : répondre à une demande réelle des usagers, se spécialiser pour limiter la concurrence, fournir une masse critique de services et jouir d’une renommée suffisante pour capter le public ciblé. Un encadré de Thierry Delcourt présente le site web de la médiathèque de l’agglomération troyenne
According to a survey of services offered on the 80 sites recorded by the Association of Directors of Municipal and Inter-Communal libraries in larges towns (ADBGV), 23 municipal libraries offer at least one service which reaches a national or international public. However, offering content and services which absolve the Internet surfer from a visit to a library, is not enough to ensure an adequate use of the site. In a field as competitive as the web, four characteristics would appear to be deciding factors: the response to a genuine need from users; specialization to limit the competition; provision of a critical mass of services and benefiting from a reputation sufficient to attract a target audience. An insert by Thierry Delcourt presents the web site of the multi-media library in the Troyes conglomeration.
Eine Untersuchung von Dienstleistungen der über die ADBGV (Vereinigung der Direktoren von öffentlichen Bibliotheken in Grosstädten) erfassten 80 Internetsites hat ergeben, dass 23 Stadtbibliotheken zumindest einen Service anbieten der auf ein nationales oder internationales Publikum abzielt. Das Angebot von Inhalten und Diensten, das dem Internetbenutzer einen Besuch der Bibliothek ersparen soll, garantiert jedoch nicht, dass eine Site zufriedenstellend aufgesucht wird. In einer konkurrierenden Welt wie der des Web sollten besonders vier technische Merkmale zum Erfolg führen: dem tatsächlichen Informationsbedürfnis der Nutzer zu entsprechen, sich zu spezialisieren, um die Konkurrenz einzuschränken, eine „kritische Masse“ anzubieten und über genügend Renommee zu verfügen damit das Zielpublikum erreicht wird. Ein Kasten zeigt die Website der Mediathek Troyes von Thierry Delcourt
Según un estudio de los servicios propuestos en los 80 sites repertoriados por la Asociación de los directores de las bibliotecas municipales e intercomunales de las grandes ciudades (ADBGV), 23 bibliotecas municipales proponen al menos un servicio que toca un público nacional o internacional. Sin embargo proponer contenidos y servicios que liberen al internauta de un desplazamiento a la biblioteca no basta para una frecuentación satisfactoria del site. En un ámbito tan competetente como el web, cuatro características parecen determinantes : responder a una demanda real de los usuarios, especializarse para limitar la competencia, suministrar una masa crítica de servicios y gozar de un renombre suficiente para captar el público específico. Un recuadro de Thierry Delcourt presenta el site web de la mediateca de la aglomeración de Troyes.
En 2001, le Conseil supérieur des bibliothèques affirmait que « […] les bibliothèques ont une place primordiale à occuper sur un Internet encore pauvre en véritables contenus 1 ». Cinq ans après, qu’en est-il ? Comment les bibliothèques municipales, établissements physiques inscrits dans un territoire local 2, utilisent-elles leur site web ? Quels services proposent-elles ? Ces services se destinent-ils plutôt aux usagers locaux inscrits et fréquentant la bibliothèque ou s’affranchissent-ils de la notion de territoire pour s’ouvrir à d’autres publics ? Nous nous proposons de réfléchir à un point essentiel pour répondre à ces questions : les sites web remettent-ils en cause la notion de territoire local des bibliothèques municipales et par conséquent leur positionnement par rapport à leur public traditionnel ?
Les sites web affranchissent-ils les bibliothèques municipales du rapport au territoire local ?
Services publics culturels rattachés aux collectivités locales, les bibliothèques municipales sont inscrites dans un territoire défini. Ce sont des espaces physiques qui offrent des ressources et des services à une population qui peut se déplacer pour consulter sur place ou emprunter à domicile des collections. Les usagers ont à leur disposition des moyens nécessaires aux recherches documentaires et peuvent solliciter un personnel chargé de les conseiller, de les aider et de les former à l’utilisation des bibliothèques. Le web offre de nouvelles possibilités : il permet la consultation de fonds à distance ainsi que des traitements automatisés. Sur le réseau, la notion de territoire disparaît et permet à l’internaute de s’affranchir des distances. Aussi, nous pouvons émettre l’hypothèse que les sites web permettent aux bibliothèques municipales de dépasser leur territoire local traditionnel en touchant un public national, voire international.
Le rayonnement géographique des sites web est difficile à évaluer. En effet, nous avons peu de données en ligne sur leur taux de fréquentation et sur l’origine géographique de leurs visiteurs 3. Toutefois, pour prétendre à une émancipation de leur territoire, il est nécessaire que les bibliothèques offrent des services qui affranchissent l’usager de tout déplacement physique. Elles doivent donc offrir au moins un service à distance qui évite un déplacement à la bibliothèque. Une étude des services des quatre-vingts sites web 4 des bibliothèques municipales et intercommunales des grandes villes de France membres de l’Association des directeurs des bibliothèques municipales et intercommunales des grandes villes de France 5 (ADBGV) permettra d’identifier ceux qui autorisent un dépassement du territoire local traditionnel.
La majorité des bibliothèques municipales n’utilisent pas le web pour dépasser leur territoire local traditionnel
Nous identifions trois grandes familles de services qui affranchissent le public d’un déplacement à la bibliothèque : la mise à disposition d’œuvres numériques, l’offre éditoriale et le service de renseignements à distance, ou service de références 6. Le catalogue de la bibliothèque en lui-même n’est pas un service qui s’adresse de façon significative à un public national sauf dans le cas du « Catalogue + » de la bibliothèque municipale de Lyon 7 qui permet d’interroger à la fois son catalogue, ses fonds numérisés et les réponses du service de renseignements en ligne.
29 % des 80 sites web des bibliothèques municipales proposent au moins un de ces services 8. Plus des deux tiers des sites ne peuvent donc pas prétendre, selon les critères que nous avons retenus, au dépassement de leur territoire traditionnel. Force est de constater que la majorité des bibliothèques municipales se servent plutôt du web pour enrichir les services offerts à leur public physique de façon à simplifier leurs démarches.
Les bibliothèques municipales sont rattachées à des municipalités, qui les financent par les impôts locaux en vue d’assurer un service public de proximité. Proposer des services qui s’adresseraient à un public national, voire international, ne rentre pas a priori dans les missions d’une bibliothèque municipale. Cependant, il n’y a pas de textes statutaires qui empêchent une redéfinition plus large de leur rôle. En absence de textes de loi, c’est à chaque municipalité de définir la mission de sa bibliothèque et de décider si elle doit s’adresser ou non à un public élargi sur son site web.
Pourquoi les bibliothèques municipales ont-elles un site Internet si elles ne s’affranchissent pas de leur territoire ?
À partir de l’étude des sites, deux objectifs semblent se dessiner : offrir des services aux usagers locaux et gagner de nouveaux inscrits.
Les sites web offrent des informations et des services aux adhérents des bibliothèques
63 sites sur 80 diffusent l’actualité culturelle de la bibliothèque. Un abonnement à la lettre d’information mensuelle par courrier électronique est parfois proposé comme sur le site de la bibliothèque de Pessac 9.
Les trois quarts des bibliothèques municipales qui ont un site proposent leur catalogue en ligne. Interroger la base de données permet aux usagers de préparer leur visite. Ils peuvent ainsi vérifier la disponibilité de l’ouvrage recherché et sa localisation dans le réseau.
Par exemple, depuis 2005, le catalogue des 65 bibliothèques et médiathèques de prêt de la capitale est accessible sur les pages web du site de la ville de Paris 10. Un accès au compte personnel du lecteur sur le site informe l’abonné de l’état de ses prêts en cours, ses réservations et les amendes non payées. Il peut aussi mettre à jour ses coordonnées, changer le mot de passe et envoyer des suggestions d’achat au personnel de la bibliothèque. Parfois, l’usager a la possibilité de recevoir des messages du personnel de la bibliothèque comme sur le site du réseau des bibliothèques de Cergy-Pontoise 11.
Quelques bibliothèques (Poitiers, Orléans et Metz) facilitent le travail de leurs abonnés en leur offrant un espace « bloc-notes » sur leur serveur. Les adhérents peuvent ainsi stocker des fichiers Word ou Excel, des copies de pages web, des articles sélectionnés lors de leur déplacement à la bibliothèque, les enregistrer et les retrouver à chaque connexion sur le serveur, via Internet, qu’ils soient à la bibliothèque ou à leur domicile.
Les services cités ci-dessus ont pour finalité de préparer et d’optimiser les déplacements jusqu’à la bibliothèque pour emprunter des ouvrages ou assister aux animations culturelles. Ils ne prétendent pas substituer une bibliothèque virtuelle à l’établissement physique.
Les bibliothèques cherchent à capter de nouveaux usagers locaux
Si les bibliothèques municipales cherchent à offrir des informations et des services en ligne aux inscrits, il semble qu’elles visent aussi à élargir le cercle de leurs usagers locaux en se faisant connaître et en facilitant la démarche d’inscription. Par l’intermédiaire de leur site web, les bibliothèques informent de leur existence, de leurs activités et de leurs services.
Tous les sites étudiés présentent l’établissement et ses annexes. C’est l’occasion pour l’internaute de visualiser sur une carte le réseau des bibliothèques implantées sur différents lieux. Une présentation des fonds et de leur classification documentaire est parfois proposée pour une meilleure appropriation de l’établissement. La dimension de service public de la bibliothèque et la gratuité de la consultation sur place sont souvent rappelées aux visiteurs du site. Les bibliothèques municipales facilitent la démarche d’inscription des nouveaux usagers en indiquant le prix d’abonnement et les conditions de prêt. Occasionnellement, le formulaire d’inscription est en ligne comme sur les sites de Paris, Senlis et Bordeaux.
Le réseau des bibliothèques de Poitiers 12 va plus loin en permettant de se pré-inscrire en ligne via un formulaire.
Cependant, il ne suffit pas de proposer des informations et des services pour se faire connaître. Ainsi, la moitié des sites de bibliothèques municipales est rattachée au portail de la mairie. Ce choix paraît pertinent dans la perspective d’attirer de nouveaux venus. En effet, les gens qui ne fréquentent jamais la bibliothèque arriveront plus facilement à ses pages web si celles-ci sont intégrées dans le portail de la municipalité.
Une minorité de bibliothèques municipales utilisent leur site web pour s’affranchir des distances
23 sites sur 80 représentent des modèles plus ouverts de sites web avec au moins un service qui affranchit l’usager du déplacement à la bibliothèque. Parmi les 23 bibliothèques, 65 % offrent un seul service et trois bibliothèques (Troyes, Lyon, Grenoble) présentent un panel élaboré de 3 à 4 services. Ces sites n’abandonnent évidemment pas les services locaux ; ils ajoutent simplement une dimension supplémentaire.
L’offre d’œuvres numériques
Les termes employés par les bibliothèques pour définir leurs services ne sont pas uniformisés d’un établissement à l’autre. Aussi, nous utiliserons notre propre typologie pour classer ces différents services. Dans le cadre de cette étude, nous regroupons derrière l’appellation « œuvres numériques » le prêt de livres numériques et les fonds numérisés.
L’offre de prêt de livres numériques, pratiquée par la médiathèque de l’agglomération troyenne, les bibliothèques municipales de Grenoble et d’Antony, peut être considérée comme un service qui affranchit l’internaute du déplacement bien qu’il soit nécessaire de s’y rendre au moins une fois pour s’inscrire. En effet, ces ouvrages peuvent s’emprunter à distance par téléchargement. Cette offre est avantageuse car elle permet aux internautes d’emprunter des livres récents qui sont soumis au droit d’auteur.
Comme nous le voyons dans le tableau, 11 sites de grandes bibliothèques municipales sur 80, ainsi que les bibliothèques de Lisieux et de Baud, offrent des fonds numérisés en ligne. La quantité de l’offre numérisée varie d’un établissement à un autre.
Les réalisations portent presque toutes sur des œuvres patrimoniales. Au moins trois motifs poussent les établissements à faire ce choix. Tout d’abord, pour des raisons juridiques, les bibliothèques ne peuvent numériser que des fonds libres de droits 13. Notons que ce choix limite considérablement l’offre par rapport aux fonds proposés dans les bibliothèques physiques.
Puis, la numérisation offre un fac-similé des œuvres patrimoniales. En se substituant à l’œuvre originale, l’œuvre numérique la préserve. Enfin, depuis 1996, le plan de numérisation du ministère de la Culture 14 finance à 100 % le traitement des fonds appartenant à l’État, incitant ainsi les bibliothèques à numériser leurs fonds patrimoniaux.
L’offre des fonds numérisés porte sur des collections remarquables de la bibliothèque. Parmi les nombreux exemples, on pourra consulter le célèbre manuscrit enluminé La Cité de Dieu de saint Augustin datant du XVe siècle, publié sur les pages web de la bibliothèque municipale de Nantes 15.
Les fonds numérisés sont aussi choisis pour leurs liens avec l’histoire régionale ou locale. La bibliothèque municipale de Toulouse donne à voir sur son site l’hebdomadaire satirique Le cri de Toulouse au format PDF 16. Ce journal témoigne de l’histoire régionale sur les plans politique et culturel.
L’offre éditoriale
Nous regroupons dans cette catégorie l’ensemble de documents numérisés mis en perspective par des éléments d’information, intellectuels, techniques et pédagogiques, permettant d’en exploiter le contenu. Nous trouvons les expositions virtuelles, les dossiers pédagogiques, les dossiers thématiques et les jeux multimédias.
Les expositions virtuelles
Environ 50 expositions virtuelles sont offertes aux internautes par 14 sites web sur 80.
Le travail de numérisation gagne à être réinvesti dans des expositions virtuelles. C’est le cas par exemple de l’exposition « Feuilletez les plus belles pages des trésors de la médiathèque 17 » sur le site de la médiathèque de l’agglomération troyenne qui propose cinq ouvrages prestigieux numérisés accompagnés de textes qui apportent des clefs pour une meilleure compréhension.
Les expositions virtuelles sont souvent l’occasion de prolonger en ligne des expositions temporaires de la bibliothèque. Par exemple, la cité du livre à Aix propose six expositions virtuelles 18 dont quatre qui pérennisent les expositions temporaires, ayant eu lieu à la bibliothèque.
Les dossiers documentaires
Cinq sites web de bibliothèques municipales proposent des dossiers documentaires (Villeneuve-d’Ascq, Rouen, Dijon, Troyes et Montreuil). Ils sont souvent un complément des événements qui se déroulent dans la bibliothèque et auxquels peut assister le public local, ou bien ils permettent d’en conserver une trace. Dans cette perspective, la bibliothèque municipale de Montreuil 19 diffuse cinq dossiers documentaires, véritables petits sites à part entière, sur les sujets de ses conférences.
Les dossiers prennent aussi la forme de bibliographies enrichies de sélections de sites web et de textes introductifs. Ainsi, chaque mois, sur le site de la médiathèque municipale de Villeneuve-d’Ascq, l’internaute peut avoir accès à des dossiers thématiques (l’équilibre alimentaire, la musique et architecture…) 20.
Les dossiers pédagogiques
Seules deux bibliothèques proposent des dossiers pédagogiques (Troyes et Rouen). À partir de son fonds patrimonial numérisé, la médiathèque de l’agglomération troyenne propose cinq dossiers pédagogiques (fabrication d’un manuscrit, l’enluminure, voyage en terre sainte…). L’exposition virtuelle « Le grant Kalendrier et compost des bergiers » a donné lieu à un dossier pédagogique sur la vie quotidienne et des techniques agricoles et artisanales de l’Europe de la fin du Moyen Âge et du début de la Renaissance.
Sur le site de la bibliothèque municipale de Rouen 21, l’internaute peut accéder à un dossier pédagogique sur « l’influence de la propagande anti-allemande sur les esprits français en 1914-1918 ». Le dossier comprend vingt-cinq documents iconographiques authentiques accompagnés de textes explicatifs.
Un exemple original de mise en valeur du patrimoine
Dans une perspective de découverte ludique des œuvres patrimoniales, le site web de la bibliothèque municipale de Rouen propose des jeux interactifs à partir d’œuvres numérisées ainsi que des créations multimédias comme « l’ABC décoiffé du dragon ailé » qui met en scène avec beaucoup d’humour des enluminures issues d’un manuscrit du XVe siècle. Les images des jeux (puzzles, mémo-images, memory…) sont régulièrement changées.
Le service de renseignements en ligne
Dans la lignée des missions des bibliothèques municipales qui consistent à orienter les usagers vers leurs ressources traditionnelles ou nouvelles, imprimées ou numériques 22, la bibliothèque municipale de Lyon a lancé, le 29 mars 2004, le « Guichet du savoir », un service d’interrogation à distance sur son site 23. Elle démultiplie ainsi son action en offrant la possibilité aux internautes de poser des questions d’ordre informatif ou documentaire de n’importe quel endroit du monde et à n’importe quelle heure. L’équipe de bibliothécaires répond dans un délai de trois jours. Les questions et les réponses sont publiées, responsabilisant ainsi l’internaute qui pose la question et permettant de constituer une base de connaissance interrogeable par le moteur de recherche interne de la bibliothèque de Lyon.
Un domaine concurrentiel
Dans un domaine aussi concurrentiel que le web, comment les bibliothèques municipales peuvent-elles se faire connaître et comment peuvent-elles fidéliser un public ?
Le public n’est pas toujours au rendez-vous
Une difficulté majeure se pose. Ce que nous avons constaté au niveau local est encore plus marqué pour les sites qui s’adressent au niveau national. Il ne suffit pas de diffuser des services qui affranchissent l’usager du déplacement vers la bibliothèque pour que ces sites connaissent un taux de fréquentation important. La grande majorité des sites des bibliothèques municipales sont peu connus. Il existe 80 sites de grandes bibliothèques municipales, ce qui en fait une offre très morcelée dans laquelle les usagers ont du mal à se retrouver.
Nous pouvons penser que les premiers éléments de réussite dépendent de la taille et des moyens de la bibliothèque. Une bibliothèque numérique nécessite des financements et des compétences. Or il s’avère qu’il existe des sites de bibliothèques de petite taille avec des moyens limités qui connaissent un taux important de visiteurs. Par exemple, la bibliothèque électronique de Lisieux a développé sans moyens financiers particuliers une bibliothèque numérique composée de textes normands du XIXe siècle. Les textes ont été saisis en traitement de texte par deux agents de la bibliothèque et publiés sur un site ouvert à compte personnel. En 2005, ce site a atteint 1 229 270 visites pour 2 585 855 pages affichées.
Le web est un domaine fortement concurrentiel. Les bibliothèques ne sont pas les seules à proposer du contenu. Elles sont en concurrence avec tout le web 24. Sans stratégie de « marketing » (or celle-ci n’est pas ancrée dans leur culture), ces sites sont noyés parmi tous les autres sites sur le web.
Jack Kessler conseille aux bibliothèques municipales soucieuses de s’adresser à un public extraterritorial d’emprunter certaines techniques des entreprises commerciales comme la relance de la clientèle et les questionnaires pour cerner les centres d’intérêts des usagers 25. En connaissant mieux leurs besoins, les bibliothèques seront plus à même de répondre à leurs demandes. Elles peuvent, par exemple, signaler au public les acquisitions qui touchent leurs centres d’intérêts et même proposer des sites personnalisés en fonction de l’utilisateur qu’elles auront appris à connaître.
Les stratégies pour exister sur le web
Pour attirer les publics sur les sites, différentes solutions pratiquées par les bibliothèques municipales semblent efficaces.
Répondre à une demande
« […] Compte tenu des efforts humains nécessaires et du coût financier de ces réalisations, il importe […] de mesurer et de connaître précisément la demande et les attentes réelles des internautes-lecteurs 26. » L’offre ne suffit pas, il faut qu’il y ait une demande. Suite à l’acquisition de collections représentant plus de 40 000 cartes postales sur la Bretagne avec l’aide du FRAB (Fonds régional d’acquisition des bibliothèques), la bibliothèque municipale de Baud (Morbihan), petite ville de 5 000 habitants, propose une section spécialisée baptisée « Le conservatoire régional de la carte postale ». Inscrit dans un programme Espace culture multimédia, le fonds de cartes postales a été catalogué, indexé et numérisé et peut être consulté gratuitement sur le site Cartolis 27. Un service de reproduction des documents est disponible, assurant une partie de l’autofinancement de l’opération. Cette réalisation répond aux besoins de nombreuses entreprises (édition, décoration, immobilier…), institutions (mairies, associations, CAUE 28…), chercheurs (historiens, étudiants, auteurs…) et amateurs (collectionneurs, érudits et autres curieux…) de Bretagne et d’ailleurs. Ces collections, dont la mise en valeur est unique, constituent le plus gros fonds de cartes postales sur la Bretagne, comprenant nombre de pièces rares. Le site Cartolis connaît actuellement un taux de fréquentation de 180 visiteurs par jour en moyenne, soit 65 700 visiteurs par an 29.
À la bibliothèque municipale de Lyon, en 2002 et 2003, des études ont établi que les personnes actives ayant un emploi s’inscrivaient relativement peu à la bibliothèque. Afin de conquérir ce public qui ne se déplace pas jusqu’à l’établissement, elle a proposé le Guichet du savoir. Un an après son lancement, les résultats d’une enquête sur les usagers de ce service montrent que la bibliothèque a bien conquis un nouveau public puisque « si les plus de 30 ans représentent 49 % des inscrits, ils représentent 67 % des utilisateurs du guichet », et la comparaison des inscrits selon leur situation professionnelle est encore plus probante avec 63 % des usagers de ce service qui sont des actifs alors qu’ils ne sont que 25 % à être inscrits à la bibliothèque municipale de Lyon 30.
Cependant, nous pouvons nous interroger sur la pérennité du succès de ce service. Dans la mesure où il s’agit d’un service ouvert, il n’y a plus de monopole. D’autres établissements peuvent se positionner sur ce créneau et créer à terme une concurrence 31. C’est ce qui commence à se produire avec BiblioSés@me, un réseau de réponses à distance entre la Bpi et les bibliothèques municipales de Troyes, Lille, Marseille, Montpellier et Valenciennes.
La spécialisation, moyen de différenciation dans un monde concurrentiel
Pour dépasser ce problème de concurrence, les bibliothèques municipales peuvent se spécialiser chacune dans un domaine. La médiathèque de l’agglomération troyenne fait le choix de numériser des fonds qu’elle est seule à conserver (numérisation des miniatures et des manuscrits de Clairvaux, iconographie locale…). Elle concentre ainsi ses moyens financiers sur la numérisation de fonds qu’elle est seule à détenir et laisse le soin à d’autres de numériser les fonds moins spécifiques.
Dans le choix des collections numérisées, nous observons une tendance à la spécialisation sur des thèmes locaux pour lesquels les établissements ont une certaine exclusivité. La bibliothèque municipale de Bordeaux propose un service de renseignements en ligne sur son site web sur des sujets en relation avec les domaines privilégiés de ses collections : Bordeaux, l’Aquitaine, la viticulture, l’œnologie, les arts, la littérature française et l’histoire. Cette spécialisation est une approche possible à condition qu’une certaine coordination (portail commun, lien renvoyant sur d’autres bibliothèques, référencement…) permette à l’internaute de se retrouver dans une abondance de sites.
Se rattacher aux sites d’institutions connues par des liens
La bibliothèque municipale de Lyon comme celle de Lisieux sont bien référencées dans les principaux moteurs de recherche 32. Nous pouvons supposer que le bon référencement de la bibliothèque municipale de Lyon est lié à sa notoriété et à celle de la ville de Lyon. Dans le cas de la bibliothèque électronique de Lisieux, son bon positionnement peut s’expliquer par son rattachement, par des liens, à de nombreux sites d’institutions connues, notamment universitaires 33. Dans ce cas de figure, les liens doivent être très visibles et placés sur des pages très consultées. La notoriété d’un site web s’auto-alimente. Plus il est visité et mieux il est référencé dans les moteurs de recherche.
Une démarche itérative
Les quelques bibliothèques municipales qui connaissent un taux de visite important s’inscrivent dans une démarche itérative. En 1994, la bibliothèque municipale de Lyon offrait sur sa première version de site web des fonds patrimoniaux numérisés. Elle a constaté que les effets étaient relativement minimes par rapport aux efforts investis dans la valorisation du patrimoine.
Aujourd’hui, l’établissement tend à prendre en compte la demande réelle du public et construit progressivement une offre autour d’elle. Il cumule les offres de services affranchissant les internautes du déplacement : le service des questions-réponses, les documents numérisés, un moteur de recherche qui interroge plusieurs bases à la fois, et bientôt des dossiers thématiques 34. En atteignant une masse critique, cette bibliothèque a pu mettre en place le « Catalogue + », un moteur qui interroge plusieurs bases à la fois.
Conclusion
Force est de constater, qu’en 2006, les bibliothèques municipales se positionnent encore timidement sur le web. 57 % des bibliothèques municipales et intercommunales des grandes villes de France inscrites à l’ADBGV possèdent un site web et celles qui proposent un espace web gardent pour cible leurs usagers locaux inscrits. Deux limites essentielles freinent un positionnement plus large des bibliothèques municipales sur le web. D’une part, l’obstacle juridique empêche la mise en libre accès sur le web d’œuvres soumises au droit d’auteur. D’autre part, les bibliothèques se confrontent à l’environnement extrêmement concurrentiel du web où il ne suffit pas de proposer des offres pour exister.
Les exemples de bibliothèques municipales qui tentent de s’adresser à un public élargi nous permettent de faire ressortir quatre caractéristiques qui semblent déterminantes dans leur succès : répondre à une demande réelle des usagers, se spécialiser pour limiter la concurrence, fournir une masse critique de services et jouir d’une renommée suffisante (celle de l’établissement ou celle de la ville ou celle de partenaires) pour capter le public ciblé.
Les stratégies des différents établissements restent aujourd’hui très empiriques et itératives et ne peuvent réussir en tout état de cause qu’à partir d’une étude précise des fréquentations des sites et des publics.
Février 2006