Les archives ouvertes : enjeux et pratiques
guide à l'usage des professionnels de l'information
La question de l’open access agite le monde des bibliothèques et de la documentation depuis quelques années maintenant, et, quelque attentif qu’il soit aux nouvelles et échos sur ce sujet, le professionnel a bien du mal à en discerner les principes et à en anticiper les applications. Les archives ouvertes : enjeux et pratiques se veut à cet égard une synthèse strictement circonscrite dans le temps, dans un domaine où les évolutions, même majeures, sont parfois extrêmement rapides, « et où des événements marquants se produisent semaine après semaine », comme l’indique l’un des auteurs.
Les principes fondamentaux des « archives ouvertes »
Le principal mérite de l’ouvrage est de scander les principes fondamentaux de cet « accès ouvert » dont les « archives ouvertes » ne sont qu’une des composantes. À cet égard, ce n’est pas faire injure aux autres contributeurs que d’indiquer que, s’il ne fallait lire qu’un seul article, ce serait celui d’Hélène Bosc, de l’Institut national de recherche agronomique de Tours. Avec « Archives ouvertes : quinze ans d’histoire », elle propose, plutôt qu’une simple chronologie un peu fastidieuse, un « vade-mecum de survie » au bibliothécaire ou au documentaliste souhaitant s’impliquer dans des projets basés sur ces concepts ou, tout simplement, s’en tenir informé.
L’open access est né avec Internet, et, désormais, le chercheur consulte prioritairement en ligne la documentation dont il a besoin. En 2004, il existait environ 15 000 périodiques scientifiques sous forme électronique, mais les coûts qu’on peut supposer plus faibles de fabrication de ces périodiques n’ont entraîné aucune réduction du coût des abonnements – au contraire. Soumis à des pressions parfois intolérables quant à leur budget d’abonnements, les bibliothèques ont fait face, notamment en se constituant en consortiums destinés à négocier au mieux avec les éditeurs, fortement concentrés, voire en mettant en œuvre des boycotts qui ont contribué (comme l’indique dans son article Jean-Michel Salaün, de l’Enssib) à mettre en place les conditions d’un bouleversement des relations habituelles, bibliothèque/éditeur, client/donneur d’ordre.
En même temps, les auteurs d’articles scientifiques ont pris l’habitude (dans certaines disciplines tout au moins) de déposer gratuitement leurs articles sur Internet, à l’exemple du service pionnier en la matière, ArXiv, mis en place au laboratoire de Los Alamos par Paul Ginsparg. C’était là (vers 1991) l’une des premières manifestations de cette notion d’open access dont Hélène Bosc déplore avec raison qu’on ne lui substitue pas, en France, le terme tout aussi explicite de « libre accès ». Le libre accès (donc) est basé sur l’idée que tout document (ce peut être du texte, mais aussi du son, de l’image…) publié sur Internet en « libre accès » peut être réutilisé gratuitement et sans contrainte par tout un chacun, à titre individuel, « sans barrière financière, légale, ou technique autre que celles indissociables de l’accès et l’utilisation d’Internet ».
Dans les années qui suivent, le mouvement ne cesse de prendre de l’ampleur, rencontrant l’approbation de communautés scientifiques de plus en plus larges, et trouvant, avec le texte de l’Initiative de Budapest pour l’accès ouvert (BOAI en anglais), qui date du 14 février 2002 (dont on trouvera la traduction française dans l’ouvrage), l’occasion d’un retentissement quasi officiel et en tout cas international.
L’autoarchivage en libre accès
Le libre accès s’est développé dans deux directions relativement différentes, que l’ouvrage a l’immense mérite de clarifier pour le néophyte. D’une part, les périodiques en libre accès qui, pour autant, « ne représentent aujourd’hui que 5 % des périodiques scientifiques à comité de lecture qui existent dans le monde ». D’autre part, et c’est essentiellement l’objet du livre, les « archives ouvertes », c’est-à-dire l’autoarchivage par les auteurs eux-mêmes, ou par des institutions de diverses natures, de leurs contributions. Cet autoarchivage représente, quant à lui, plus de 90 % des articles publiés dans les revues sur abonnement.
Car, et c’est un point fondamental, la notion d’« archive ouverte » n’est pas antinomique de celle de parution en revue : sous la pression des lobbies scientifiques, l’immense majorité des éditeurs de revues (et les plus grands d’entre eux, comme Elsevier) ont fini par accepter que les auteurs puissent conserver la libre disposition de leurs articles publiés en revue, et qu’ils aient la possibilité de publier des e prints (articles sous forme électronique) de deux types : les preprints, c’est-à-dire les articles non encore soumis aux « comités de lecture » propres à chaque revue, mais aussi les postprints, c’est-à-dire les articles éventuellement modifiés et approuvés par les pairs de l’auteur, et qui ne sont rien d’autre que la version tarifée de l’article, disponible en revue.
Cette évolution ne s’est pas faite sans mal, les réticences financières des éditeurs pouvant largement se comprendre, tout comme le souci des auteurs de préserver le système de validation (peer review), fondamental dans la pratique scientifique. Surtout, c’est le processus d’évaluation des chercheurs eux-mêmes qui est en cause dans cette évolution vers le libre accès. En effet, il semble admis par tous que l’un des principaux critères de cette évaluation est le « facteur d’impact » des articles, c’est-à-dire le nombre de fois où un article est cité dans d’autres articles dans une période de temps donnée. Rapporté aux revues qui publient les articles, il détermine les revues les plus prestigieuses (core reviews)… et les autres. On se soucie donc de développer, dans les « archives ouvertes », cette notion de facteur d’impact, seul biais semble-t-il pour encourager les auteurs à cette pratique.
Le protocole d’interopérabilité
Dans une présentation qui aurait peut-être gagné à un peu plus de concision (« Assurer l’interopérabilité des systèmes documentaires »), Muriel Foulonneau présente les bases de ce qui constitue la pierre angulaire informatique du mouvement des archives ouvertes, le protocole OAI-PMH pour Open Archive Initiative Protocol for Metadata Harvesting. Si la mise en œuvre du protocole est peut-être plus complexe que l’auteur ne le croit, ses caractéristiques tiennent en peu de termes, déjà largement connus des professionnels : http (Hypertext Transfert Protocol), XML (Extended markup language) et le standard de métadonnées Dublin Core.
Le but est l’interopérabilité simplifiée des interrogations entre différentes bases d’archives ouvertes. On pense furieusement à Z39.50, autre standard d’interopérabilité à usage exclusivement bibliographique celui-là : dans un court texte, Francis André, de l’Inist (Institut de l’information scientifique et technique), en termes choisis, l’indique comme peu adapté à l’OAI – voire déjà obsolète.
Puisqu’on ne peut pas citer l’ensemble des contributeurs et des contributions, on retiendra aussi le texte très informé et très clairement informatif d’Anne-Marie Benoit sur les « Archives ouvertes : approches juridiques », d’où il semble ressortir que les législations actuelles auront bien du mal à prendre en compte le mouvement, et que des initiatives comme les Creative commons, d’émanation privée, pour être louables, ne préservent que très partiellement les droits des auteurs, ceux-ci fussent-ils d’accord pour (pour part) les abandonner.
Quelques interrogations perplexes
Dans sa contribution sobrement intitulée « Bibliothèques et services d’information dans le mouvement du libre accès aux ressources scientifiques », Jean-Michel Salaün propose d’intéressants points de vue sur les comportements différents de communautés spécifiques de scientifiques par rapport au mouvement du libre accès, des « aristocrates » (les physiciens, initiateurs du mouvement) aux « paysans » (les chercheurs en sciences humaines et sociales). Il pose en liminaire qu’« aucun bibliothécaire ou documentaliste servant un public de chercheurs ne peut ignorer le mouvement des Archives Ouvertes ou du Libre Accès », ce à quoi on ne peut que souscrire, et que « ce mouvement s’impose aujourd’hui comme un épisode déterminant du changement de paradigme en cours dans la publication scientifique », ce qui laissera plus réticent, même si l’on a ni l’expérience ni le recul de l’auteur pour en juger.
Car enfin, la lecture passionnante de l’ouvrage amène quand même à quelques interrogations perplexes. Ainsi du facteur d’impact, dont beaucoup, tant chez les chercheurs que chez les documentalistes, dénoncent les travers et les approximations, et qui n’est en aucune manière remis en cause par le mouvement du libre accès. Surtout, on a du mal à concilier une vision largement angélique de la diffusion de la littérature scientifique pour « accélérer la recherche, enrichir l’enseignement, partager le savoir des riches avec les pauvres et le savoir des pauvres avec les riches… » (Initiative de Budapest) et l’état actuel de la planète : la marchandisation accélérée des connaissances, le profit financier comme alpha et oméga du développement, la restriction de l’évolution du monde à sa dimension économique, la compétition acharnée des hommes, des institutions, des États, la restriction de la sphère publique et gratuite à ses dimensions régaliennes les plus strictes, la guerre des brevets, la mise en œuvre de politiques en matière de droit d’auteur de plus en plus restrictives, etc.
Même si ce n’était pas le propos manifeste du livre, on regrette que cette dimension politique n’ait pas été mieux appréhendée car elle apporte une contradiction aux déclarations d’intention comme au volontarisme parfois un peu béat des auteurs, tout comme le fait que, sauf erreur, les différents articles du livre ne soient pas gratuitement disponibles sur le site de l’ADBS (Association des professionnels de l’information et de la documentation)… Saluons pourtant cette initiative indispensable, tant par la qualité des contributions que par la masse de documents et d’informations mises à disposition du lecteur dans un volume réduit.