Archives ouvertes et publication scientifique
comment mettre en place l'accès libre aux résultats de la recherche ?
Thierry Chanier
Paris : l’Harmattan, 2004. – 186 p. ; 23 cm.
ISBN 2-7475-7695-7 : 17,80 €
Cet ouvrage propose une vue d’ensemble de la question de l’accès libre à la publication scientifique, en couvrant à la fois les aspects sociétaux, économiques et éditoriaux. Très pédagogique, il développe une réflexion sur les moyens envisageables pour mettre en place un accès libre aux résultats de la recherche, notamment au travers du mécanisme des archives ouvertes. Il se penche particulièrement sur les revues en sciences humaines et sociales (SHS) francophones, secteur pour lequel l’« histoire numérique » est encore à écrire. Cette analyse permet au lecteur de mieux discerner les jeux d’acteurs actuels sur ce secteur. Les questions soulevées par l’auteur et les réponses qu’il y apporte donnent un éclairage particulier au regard que l’on peut porter sur certains projets actuels et notamment sur le projet CENS, Centre d’édition numérique scientifique du CNRS, inauguré en février 2005 *.
Les revues en SHS
L’analyse de l’existant présentée en première partie offre un ensemble d’éléments historiques sur l’évolution des coûts des revues et de l’offre numérique. La distinction mise en avant entre les indicateurs de prix et de qualité scientifique conduit à une observation des différents acteurs de la chaîne éditoriale actuelle des revues scientifiques. Parmi ces acteurs, la position des éditeurs, et notamment des éditeurs commerciaux, apparaît comme un frein au développement de l’édition scientifique, notamment en SHS et d’autant plus pour l’édition scientifique en ligne.
Le champ des SHS, bien différent de celui des STM (sciences, techniques et médecine), est un domaine particulier lorsque l’on observe les mécanismes de publication scientifique. L’organisation sociale de ce secteur de recherche est spécifique et induit des comportements particuliers, ceci en partie en raison de facteurs internes, la dispersion de l’activité de publication scientifique par exemple, et d’une tradition éditoriale propre.
Le passage au numérique de la publication scientifique en SHS réinterroge l’ensemble de la chaîne des acteurs de l’édition scientifique. Dans son analyse, Thierry Chanier replace l’activité de publication scientifique dans son contexte historique. Cet historique introduit un questionnement sur la place que doit prendre l’activité d’édition scientifique au sein des communautés de chercheurs.
La publication scientifique est divisée en deux phases, dont l’édition en elle-même ne constitue que la seconde étape, la première étant notamment celle de l’évaluation scientifique, réalisée au sein de la communauté. Le passage au numérique induit une remise en cause de la répartition de ces deux phases, évaluation et publication, entre les différents acteurs de la chaîne.
La réflexion sur l’accès libre aux revues scientifiques implique une analyse fine des coûts et des modèles économiques existants. L’ouvrage, en décryptant les coûts et les marchés des revues SHS, propose une approche de la relation des auteurs avec les aspects de coûts des revues. Plus largement, c’est la relation bien particulière des communautés scientifiques avec le secteur de l’édition commerciale qui se trouve remise en question. L’auteur s’intéresse ici plus précisément aux deux modèles de revenus des revues, celui de l’« auteur-payeur » et celui de l’« abonné-payeur ».
Les archives ouvertes
La deuxième partie de l’ouvrage traite des archives ouvertes comme moyen pour permettre la mise en place d’un accès libre aux publications scientifiques. Elle s’ouvre sur un historique du mouvement des archives ouvertes depuis les années 1970 et le système ArXiv de Paul Ginsparg pour les prépublications, en passant par l’appel de Budapest et le serveur Hal développé par le CCSD (Centre de communication scientifique directe).
L’état des archives ouvertes et des publications en accès libre, au travers des données du site Romeo (Rights Metadata for Open Archiving), confirme le travail qui reste à réaliser. Ainsi, ce sont 100 000 articles publiés annuellement qui sont en accès libre contre 2 000 000 qui ne le sont pas. Pourtant, ce phénomène monte en puissance et la position des éditeurs de revues tend à se rapprocher d’une autorisation d’auto-archivage, en pré ou en post-publication. Du côté des auteurs, il est surprenant de constater que la familiarité avec les logiques d’archives ouvertes connaît encore une marge de progression conséquente.
En SHS, les voies de développement des projets d’archives ouvertes semblent s’orienter vers un regroupement autour de thématiques ou de domaines de recherche.
La dernière partie de l’ouvrage replace cette réflexion dans l’ensemble de la chaîne de l’information scientifique et technique (IST) en proposant un mode d’organisation des flux IST intégrant ces archives ouvertes. Ce nouveau schéma prend en compte la place et le rôle des éditeurs et des centres IST. Cette partie de l’ouvrage propose une démarche globale de mise en place des archives ouvertes dans les mécanismes de publication scientifique, visant à terme un développement de l’accès libre dont les archives ouvertes constituent en fait une première étape.
En conclusion, l’avenir de l’accès libre pour la publication scientifique passe par une réorganisation autour de groupes éditoriaux publics rassemblant des acteurs universitaires. Cet accès libre met en avant les faiblesses du modèle de l’abonné-payeur dans le secteur de la publication scientifique et, dans le même temps, propose une alternative aux travers du modèle de l’auteur-payeur. Enfin, les archives ouvertes constituent le premier pas vers le développement de cet accès libre.
Ce livre apporte une analyse pertinente, quoique orientée, des problématiques économiques et sociétales posées par la question de l’accès libre à la publication scientifique. Il donne un éclairage pédagogique, clair et engagé de ces questionnements à l’heure où de grands mouvements s’opèrent dans ce domaine.