Un métier, des métiers

Journées d'étude interprofessionnelles

Anne-Marie Bertrand

« Une telle assemblée, nous l’attendions depuis longtemps. » Cette phrase de Michel Melot, dans son intervention inaugurale, résume bien le sentiment largement partagé par les participants de ces journées d’étude : leur premier et peut-être principal mérite est d’exister. Enfin, l’Association des archivistes français (AAF), l’Association des bibliothécaires français (ABF), l’Association des professionnels de l’information et de la documentation (ADBS) et l’Association des directeurs et des personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU) ont réussi à monter ensemble ce vieux projet d’une journée interprofessionnelle – Florence Wilhelm, cheville ouvrière de ce projet, indiquant qu’il avait fallu plus de deux ans pour réussir à le mener à bien. Tout naturellement, l’objet en était la proximité ou la différence entre ces métiers, comme l’indiquait le sous-titre des journées : « Un métier, des métiers : convergences et spécificités des métiers des archives, des bibliothèques et de la documentation ».

Un métier, des métiers ?

Une longue réflexion à plusieurs voix fut menée sur le cœur de métier, sur ce qui constitue l’identité professionnelle de chacun des métiers ici concernés, les uns mettant l’accent sur le document et son traitement (comme Élisabeth Verry, archiviste), les autres sur l’accès à l’information (comme Marie Baudry de Vaux, pour les documentalistes) ou sur la médiation (comme Isabelle Dussert-Carbone, décrivant le bibliothécaire comme un « facilitateur, un passeur, un médiateur de savoir »).

Arlette Boulogne (ADBS) pense qu’il s’agit de trois métiers différents avec des points communs (travailler sur des documents supports d’information, être un métier de service) : les différences de pratiques sont liées aux missions et aux publics desservis et, souligne-t-elle, les conditions de l’exercice du métier sont surtout liées au statut public ou privé de la fonction.

La prééminence de cette frontière (public/privé) sera répétée par plusieurs intervenants, notamment par Marie-Dominique Heusse (présidente de l’ADBU) qui souligne que « la différence entre les bibliothécaires et les documentalistes tient davantage aux attentes et au statut des employeurs qu’à la réalité des métiers ».

En somme, ce qui prime ce ne sont pas les conditions d’exercice (grand ou petit établissement) ou les outils (qui sont souvent communs) mais les objectifs et les motivations qui sous-tendent l’exercice du métier.

Est-ce que ces métiers se rapprochent ou s’éloignent ?

Les outils, les techniques se rapprochent. Mais « le cœur de métier n’est pas dans une technique, cessons d’être auto-centrés sur la technique », proteste Isabelle Dussert-Carbone. De son côté, Hervé Le Crosnier (Université de Caen) dénonce la « techno-béatitude » et Daniel Renoult (rectorat de Paris) insiste sur « l’hybridation des modèles organisationnels, des outils et des métiers ». Pour lui, il n’y a pas d’évolution par substitution mais par hybridation, phénomène dont services à distance et services sur place sont un exemple parlant. La multiplication des outils, les innovations techniques, l’évolution organisationnelle font apparaître (ou rendent nécessaires) de nouvelles compétences scientifiques, techniques et administratives. Les métiers seraient, à en croire certains intervenants, de plus en plus loin de leur cœur de métier. Non, disent les autres : c’est le cœur de métier qui a changé.

Par ailleurs, il est difficile de mesurer écarts ou rapprochements quand la polyvalence est considérée comme une nouvelle et majeure exigence des métiers. Plus, dit Marie-Dominique Heusse : la polyvalence des personnes se double de la polyvalence de la bibliothèque, qui intègre d’autres métiers (enseignants, informaticiens, juristes) pour améliorer sa « compétence collective ».

Un même intérêt général

Ces métiers, Michel Melot le soulignait d’entrée, sont animés par la volonté de « lutter contre toute menace contre la liberté de circulation de l’information ». C’est un rôle important sur le plan politique : il s’agit, dit-il, de préserver la diversité de l’information, face à la concentration économique et à la concentration des pouvoirs ; il s’agit de « lutter contre la fuite en avant qui fait comme si l’énorme stock de documentation sur papier n’existait déjà plus (alors même qu’il continue à s’accroître) », « de travailler à la nécessaire mise en contexte, mise en perspective : la communication ne doit pas se faire au détriment de la transmission » ; il s’agit, devant les innovations techniques permanentes, de continuer à être « ceux qui maîtrisent les outils, leurs usages, leurs limites et leurs mensonges ».

Oui, disent fièrement (enfin !) ces métiers qui se plaignent toujours d’être mal connus et pas assez reconnus : nous sommes utiles.

Hervé Le Crosnier, qui en appelle à la création de contre-pouvoirs dans la société de l’information, notamment contre « la théorie intégriste du droit d’auteur » : « On nous accuse d’être des pirates, de tuer la création. Mais ce que nous faisons est légitime. » Bruno Galland (Association « une Cité pour les archives ») : « Nos atouts ? Un réseau professionnel extrêmement actif, des élus qui connaissent les archives et surtout : c’était une excellente cause. » Gilles Éboli (président de l’ABF) : « Nous partageons un socle commun, extrêmement solide, notre cause est juste, nos établissements sont nécessaires à l’exercice de la démocratie. »

C’est donc tout naturellement par le combat que mène l’inter-association sur la transposition de la directive européenne « Droits d’auteur et droits voisins » que s’est conclue cette réunion, Caroline Wiegandt (présidente de l’ADBS) appelant les associations organisatrices (mais aussi les autres) à « être un groupe de pression ensemble » pour plaider notre cause commune (advocacy) et « faire reconnaître les droits des usagers ».