L'innovation, une réalité difficile à inscrire au quotidien ?

Vincent Doulain

Innover, c’est mettre en œuvre des suggestions, piloter le changement. Les bibliothèques, très diverses, intervenant à une journée d’étude sur ce thème, ont fait preuve de beaucoup d’humilité en montrant qu’au cœur de chaque innovation, le facteur humain (coordination indispensable, créativité, charisme du responsable,…) était prédominant : les obstacles sont plus organisationnels que techniques.

Cette journée d’étude originale, « Innovations en bibliothèque », organisée par l’ABF Rhône-Alpes, avec la participation de l’Association des directeurs des bibliothèques municipales et intercommunales des grandes villes de France (ADBGV) et le soutien de la direction régionale des affaires culturelles Rhône-Alpes, a accueilli soixante-dix participants, le 13 décembre 2004 à la Bibliothèque municipale de la Part-Dieu à Lyon.

Entre fonctions traditionnelles (prêt de documents, conservation du patrimoine), missions nouvelles (sociale, pédagogique, informative) et enjeu documentaire, comment les bibliothèques, confrontées à la remise à jour permanente de leur offre, en termes de collections, locaux, médiation et services, se situent-elles par rapport aux innovations ? Avant de présenter les réalisations, soulignons les deux questions qui ont rythmé cette journée, reprises par les différents intervenants.

Innover, pourquoi et comment ?

Absolue nécessité, répond Alain Duperrier, coordinateur du projet « Pratiques innovantes en bibliothèque » au sein de l’ADBGV. Si, comme le dit Yannick Guin, maire adjoint à la culture à Nantes, « la bibliothèque est un foyer révolutionnaire dans la cité », alors innover, créer, c’est le moteur de l’action culturelle. Il s’agit de « transcrire dans nos projets culturels les évolutions de la cité, de réinterroger l’ensemble de nos pratiques vis-à-vis des publics ».

Alain Duperrier, dans son introduction générale, a souhaité « être bien modeste au regard de l’analyse objective de nos réalisations en France ». Pour lui, sauf exception, l’écart entre l’offre d’entreprises privées et celle des bibliothèques municipales (BM) s’est creusé (site Internet, CD-Rom,…) et les bibliothèques universitaires sortent mieux leur épingle du jeu (Couperin, …). Les médiathèques innoveraient peu. Pourquoi ? Manque-t-il un mode d’emploi ?

Alain Duperrier n’a pas de solution miracle. Avec humilité, il a appelé les participants à s’inspirer des innovations des pays assez proches et à travailler en réseau, pour que les expériences des uns profitent aux autres. Il a cité en exemple le site de l’ADBGV * qui recense 24 fiches de pratiques innovantes.

Les innovations présentées étaient regroupées par grand domaine : gestion, technique et services. Un découpage intéressant puisqu’il mettait en avant les innovations relatives aux procédures utilisées en bibliothèque.

L’innovation dans la gestion

La mise en réseau concerne également le personnel d’un établissement. La Bibliothèque multimédia francophone de Limoges a présenté comment l’intranet de la BM avait été utilisé pour la sélection et la gestion des sites destinés au public. Un développement informatique a permis un travail collaboratif au sein de l’équipe pour cataloguer les signets et les sites concernant le domaine du Limousin et de la francophonie, et, pour les autres domaines, la bibliothèque s’est inspirée, entre autres, du travail réalisé par la Bibliothèque publique d’information et la BM de Lyon.

L’importance du projet de service a été soulignée. Si une nouvelle équipe municipale demande une réduction forte des coûts de fonctionnement et donc de personnel, que faire ? La directrice de la médiathèque de Roanne, Isabelle Suchel-Mercier, a montré que, dans une situation de crise, en formalisant par écrit son projet de service et un plan d’action triennal, elle avait su restaurer la confiance entre les élus et l’équipe professionnelle. De part et d’autre, l’analyse et l’écrit avaient permis à chacun de s’approprier la culture de l’autre. L’innovation résidait dans la réactivité de la direction de la bibliothèque, le soin apporté aux outils fondamentaux du management et la place de l’écrit, notamment le diagnostic établi par un cadre supérieur du CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale), sans affectation, tiers médiateur extérieur à la bibliothèque et à l’équipe municipale.

Innovations techniques et de services

Qu’elles portent sur la gestion et la circulation des documents, avec la RFID (Radio Frequency Identification) et les automates de prêt à la BMVR de Marseille (objectif : économie de temps sur le prêt et le récolement), sur la gestion des documents en retour, avec la boîte automatisée de la médiathèque de Limoges (objectif : les livres n’écraseront plus les revues), sur la gestion des courriers aux lecteurs, avec l’envoi des rappels et réservations par courrier électronique à la BM de Saint-Étienne (objectif : économie de temps et de frais sur l’envoi des relances), l’évolution des procédures internes demande beaucoup de préparation et de coordination. Les trois expériences présentées étaient réussies mais leur mise en place laborieuse. Rien de plus normal, l’innovation suscite toujours des résistances !

Des expériences passionnantes étaient au rendez-vous, croisant exigence, courage et ambition. Ainsi de l’artothèque jeunesse de la Bibliothèque municipale de Bonlieu, portée par la communauté de l’agglomération d’Annecy. Ciblée sur les 7-17 ans, qui signent un contrat d’emprunt, elle propose une médiation de qualité vers des œuvres originales, estampes et photographies, d’artistes de la seconde moitié du XXe siècle.

Ainsi de l’atelier Médiavue à la médiathèque de Chambéry qui facilite, par du matériel adapté, l’accès à la lecture pour les déficients visuels.

Ainsi du Guichet du savoir de la BM de Lyon, seul établissement à fournir, accompagnée de quelques chiffres, une analyse des publics pour expliciter et commenter sa démarche. Pour cet établissement, la population active est insuffisamment présente dans les inscrits, de même que les personnes âgées. Ce nouveau service « Vous avez une question ? Nous avons la réponse ! » repose sur la conviction que le bibliothécaire, s’il se veut vulgarisateur, au sens de l’Encyclopédie, doit partir de ce que formule la personne et soigner l’interactivité. La difficulté, aujourd’hui, et plus encore demain avec la croissance exponentielle des flux à haut débit, n’est pas d’accéder à une information, mais d’apprendre à reconnaître une information, à la qualifier. Le cœur du métier de bibliothécaire.

« L’innovation nous booste, trop de bibliothèques regardent dans le rétroviseur ! » Cette boutade de Patrick Bazin, directeur de la BM de Lyon, traduit-elle la réalité des établissements ? Est-ce une question d’attitude ou de dispersion des efforts et moyens due à la richesse des missions ? Le travail en réseau est-il une réponse possible ? Comment fonder des politiques d’innovation sans mettre en commun les études, notamment celles des publics ?