Adolescents, littérature et bibliothèques
Henri Nowacki
La 9e journée professionnelle consacrée à la lecture et aux adolescents, organisée par l’université de Lille III et les médiathèques départementales du Pas-de-Calais et du Nord, s’est tenue le 18 novembre 2004, sur le thème « Ados, littérature et bibliothèques ».
Janet Davies a présenté l’accueil des teenagers dans les bibliothèques du Kent. À Douvres, le réseau des bibliothèques est particulièrement accueillant pour les jeunes : équipées d’une nursery, de cafétérias, d’espaces multimédias, elles leur offrent de nombreuses collections de référence. Internet est accessible dans chacun des points du réseau et il existe des ateliers de jeux dédiés uniquement aux garçons. Cependant, l’accès aux forums de discussion et aux « chats » est proscrit pour des raisons de sécurité. Des salles de lecture spécifiques, où l’aspect esthétique est particulièrement soigné, sont conçues pour plaire aux jeunes. Un personnel agréable, une grande amplitude d’ouverture contribuent au succès des bibliothèques de la ville auprès des adolescents.
Mais les bibliothèques anglo-saxonnes, dont les taux de fréquentation font rêver les bibliothécaires français, peuvent-elles être considérées comme un modèle ? Pour Marjorie Naddeo, bibliothécaire à Grenoble, qui a travaillé à l’Institut français de Londres, si les bibliothèques anglo-saxonnes ont longtemps constitué un modèle en bibliothéconomie avec la classification Dewey et le libre accès, en matière de politique d’animation, d’intégration de la bibliothèque au cœur de la cité comme lieu de vie sociale et culturelle, d’offre de services publics, de politique documentaire en direction des minorités ethniques, ce modèle a ses limites.
Les tarifs peuvent parfois être très élevés, avec paiement pour tous les supports autres que le livre. Des indemnités sont demandées pour les retards, les réservations, le prêt interbibliothèques, le prêt de salles de réunion, de matériel ou le remplacement des cartes perdues. Il n’existe pas de tarif réduit pour les demandeurs d’emploi. Les rencontres avec des auteurs ou des illustrateurs sont également tarifées et les bibliothèques anglaises sont autorisées à facturer aux écoles leurs conseils et expertise en matière de bibliothèques scolaires.
Le mode de gestion des établissements anglais pose parfois question : des « projets de service » ont par exemple imposé à la bibliothèque de Hackney d’accroître le nombre d’enfants inscrits de 10 % sur les douze mois à venir ou encore d’augmenter le taux de satisfaction des usagers de 54 % à 60 %. Cela s’apparente plus au management d’une entreprise privée avec une clientèle qu’à la gestion d’un service public. Par ailleurs, il n’y a pas de salaires fixes pour le personnel des bibliothèques. Chaque ville décide de la rémunération de ses agents. Dans ces conditions, il devient difficile de résister à la pression de lecteurs à la recherche de best-sellers, ce qui compromet l’organisation d’une politique documentaire cohérente. Les bibliothèques anglaises sont soumises à la loi de l’offre et de la demande et recherchent constamment des apports financiers : en l’absence d’aides de l’État, le recours au sponsoring est devenu courant.
La politique documentaire des bibliothèques anglaises en direction des minorités ethniques ne pourrait guère être pratiquée en France : les deux pays n’ont pas la même vision de l’intégration des populations étrangères. Par ailleurs, la notion de service public est trop forte en France pour qu’on en arrive à une gestion aussi soucieuse de rentabilité et de planification qu’en Grande-Bretagne. En outre, depuis quelques années, la baisse des budgets inquiète quant à l’avenir des bibliothèques britanniques.
Isabelle Fauquembergues, bibliothécaire de nationalité française exerçant à Mouscron, ville belge (55 000 habitants) limitrophe de l’agglomération lilloise, est venue présenter la politique documentaire et les actions qui sont menées dans cette ville ouvrière, notamment en direction des adolescents : l’accompagnement scolaire et le secteur de l’éducation permanente occupent une place importante. De nombreuses animations, différents groupes de lecteurs (filles, garçons, lecteurs à distance), des ateliers artistiques, la création d’espaces dédiés aux adolescents ont permis une augmentation considérable de la fréquentation.
Au total, la diversité des approches en matière d’accueil des jeunes a fait de cette neuvième journée consacrée à la lecture et aux adolescents une rencontre particulièrement intéressante.