Bibliothèques et associations

Du partenariat au réseau culturel

Yves Alix

À l’occasion des dix ans des Espaces lecture animés par l’association Acelem (Association culturelle d’espaces lecture et d’écriture en Méditerranée), la BMVR (Bibliothèque municipale à vocation régionale) de Marseille organisait les 25 et 26 novembre 2004 ses premières rencontres professionnelles, sur le thème du partenariat.

Les organisateurs de la manifestation se proposaient « d’aborder sous un jour nouveau la question du partenariat entre les bibliothèques publiques et les organismes à statut associatif ». À l’heure où les champs d’intervention, les missions et les modalités d’action des bibliothèques s’élargissent et se diversifient, leur rencontre sur le terrain culturel avec le secteur associatif rend en effet nécessaire une réflexion commune sur les conditions de réussite et de pérennisation des partenariats : acquérir des outils méthodologiques, dégager une typologie des compétences, identifier le cadre juridique et les outils de leur formalisation, définir une démarche de projet selon une approche de réseaux d’acteurs culturels, telles étaient les ambitions affichées des interventions et des tables rondes de ces trois demi-journées, qui ont rassemblé un public nombreux et toujours attentif, malgré la densité du programme.

Pour un bon nombre de participants, c’était aussi l’occasion de découvrir l’impressionnante bibliothèque de l’Alcazar, dont le succès public éclatant a été rappelé par Roger Luccioni, adjoint à la Culture, dans son discours d’ouverture : 700 000 visites depuis l’ouverture le 30 mars dernier, doublement du nombre d’inscrits. « La bibliothèque est en train de changer la vie de ce quartier et, pour ses habitants, les modes d’accès aux connaissances », a souligné l’élu.

Pour une transversalité des partenariats

Philippe Maillet, du CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale), modérateur du colloque, en a d’emblée fixé le cadre : une réflexion sur les conditions dans lesquelles les activités des uns et des autres sont organisées, permettant, à partir des expériences et de la pratique professionnelle, de questionner le mode d’élaboration des projets et de clarifier la façon dont les partenaires travaillent ensemble.

Après une présentation par Omar Habchi, président d’Acelem, du bilan des actions menées par les Espaces lecture, nées de la volonté politique de rendre la lecture accessible à tous et assises sur le partenariat avec les institutions et les acteurs sociaux, le sociolinguiste Jean-Philippe Rivière, spécialiste de l’illettrisme, a souligné avec vigueur, dans une intervention qui a fait diversement réagir la salle, la difficulté à aborder les publics de faibles lecteurs, dans un contexte de partenariat mal défini. Mettant en cause des organismes éducatifs qui s’estiment autosuffisants, comme les CFA (centres de formation des apprentis), fustigeant les incapacités de l’Éducation nationale, il a invité à réfléchir sur la notion de transversalité dans l’approche de la question, pour corriger la segmentation croissante provoquée par la délimitation des champs d’intervention par publics.

Le témoignage de Dominique Ginouvès, chef de projet Politique de la ville à Marseille, présentant un bilan positif des actions menées, a donné ainsi un exemple des partenariats « inclusifs » souhaités par Jean-Philippe Rivière. Celui-ci, en lançant une interrogation alarmiste sur le dégoût de la lecture chez les jeunes, a ouvert un débat avec la salle, où l’importance de l’école et de sa façon de concevoir la place du livre dans la répartition des temps d’apprentissage, et la nécessité pour les bibliothèques de proposer comme alternative une offre hors normes, non officielle, ont été réaffirmées. Cependant, au-delà des pétitions de principe, les difficultés multiples évoquées par le public montraient dès cette première matinée l’écart entre l’optimisme affiché des bilans et la réalité du terrain.

Les conditions de la réussite

Dans un exposé d’une grande clarté, Dominique Arot, auteur d’un récent Les partenariats des bibliothèques aux Presses de l’Enssib *, a proposé une approche théorique du partenariat articulée autour de l’attitude partenariale. Elle est une expression du développement du contrat dans notre société, autant qu’une nécessité pour mener une politique de la lecture et une politique culturelle. Après avoir esquissé une typologie, Dominique Arot a proposé une méthode de travail : refus de l’autarcie systématique, identification précise des projets, définition des rôles des partenaires, construction des projets, formalisation, évaluation.

Bibliothèques et associations ont des modes de fonctionnement et des exigences déontologiques différents. La réussite du partenariat repose d’abord sur leur connaissance réciproque, condition du travail en commun. Cependant, le risque d’une interprétation un peu trop schématique de l’opposition entre le service public institutionnel et les services rendus par les associations doit être mesuré. Inversement, il faut se prémunir contre l’attitude des associations qui cherchent un partenariat institutionnel pour pérenniser leur existence sans toujours offrir les compétences annoncées.

Leïla David, de l’association Marque Page, et Patrick Cutté, du Centre de ressources de l’écriture et des arts du livre, ont apporté leur témoignage sur cette dynamique partenariale.

L’action s’inscrit aujourd’hui dans un territoire. Dans la table ronde suivante, Françoise Danset, directrice de la Bibliothèque départementale de prêt des Bouches-du-Rhône, puis Bernard Ravet, proviseur de collège, et Angèle Planidis-Dumont, chargée de mission Éducation Culture au Contrat de ville de Marseille, ont insisté sur la nécessité de déterminer les services à offrir et d’explorer les catégories de publics spécifiques du champ social, dans un territoire donné, entendu comme un territoire de projet plus que comme une entité géographique. La recherche des partenariats, a souligné Françoise Danset, passe par la prospection, l’évaluation et le choix des partenaires les plus adéquats. Si la bibliothèque apporte des ressources, documentaires, humaines, institutionnelles, elle ne peut prétendre offrir toutes les compétences.

Dernières conditions de réussite des projets partenariaux : les compétences des acteurs et les outils juridiques. Marie-Madeleine Saby, directrice de Médiat Rhône-Alpes, a identifié les compétences et présenté les formations à mettre en œuvre, tandis que Leonor de Nussac, de l’Agence régionale du Livre Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), et Franck Benalloul, avocat, ont présenté le recours au contrat comme une condition nécessaire pour un partenariat réussi.

Une politique de réseau culturel

La matinée du 26 novembre, tirant les leçons des expériences présentées pour donner une dynamique nouvelle à l’action partenariale, se proposait de définir et d’animer une politique de réseau culturel. François Larbre, directeur des bibliothèques de Marseille et hôte du colloque, a rejeté l’idée d’une opposition entre politique culturelle et politique sectorielle. Les activités de lecture publique appartiennent presque toujours à la politique culturelle d’une ville, comme le montre l’exemple de l’Alcazar, au cœur de l’action publique de la cité. Le partenariat permet la mutualisation des ressources, les notoriétés se renforcent l’une l’autre. La bibliothèque peut être vue aujourd’hui comme un instrument de légitimation des activités des acteurs culturels divers, et le moyen pour elles d’attirer de nouveaux publics. Le réseau fonctionne comme un instrument d’ouverture culturelle et d’interculturalité. Ainsi, à Marseille, la bibliothèque s’applique-t-elle « à ne pas tendre à chacun son miroir, mais à faire défiler devant tous les images de chacun ».

Les mutations des politiques culturelles : tels sont in fine les enjeux sous-tendus par la politique partenariale, comme l’ont illustré tour à tour, en conclusion des rencontres, Jean-Claude Gautier, conseiller pour le livre et la lecture en PACA, Philippe Campos et Dominique Coffin, représentant respectivement Marseille et Nantes, et enfin Emmanuel Négrier, chercheur à l’Observatoire des politiques culturelles. Ce dernier, dans une intervention remarquée, a montré comment le mouvement actuel de l’intercommunalité pouvait servir de levier à la professionnalisation des partenariats et à l’innovation, à condition de dépasser à la fois les contraintes politiques et l’autocentrisme des professionnels. Il était bon, pour couronner ces échanges fructueux, de rappeler la dimension politique en jeu. Comme l’avait rappelé la veille Dominique Arot, le partenariat est l’expression d’une attitude d’ouverture dans une société menacée par l’exclusion, et « la bibliothèque doit être un lieu de la République ».