L'audimat à mort
Hélène Risser
Hélène Risser, journaliste à Arrêt sur images, vient de publier un ouvrage dans la veine désormais classique de la dénonciation des turpitudes télévisuelles. Bien sûr, il y a un certain nombre de choses qu’on n’aime pas dans ce livre : son titre (!), le style journalistique (facile à lire, facile à oublier), l’anonymat des personnes interrogées. Mais il y a aussi de nombreuses informations et de nombreux témoignages sur deux sujets qui intéressent les bibliothécaires : la place de la culture à la télévision, d’une part ; la question de l’offre et de la demande, d’autre part. L’intérêt du livre est, aussi, de ne pas se focaliser sur TF1 ou sur la « télé-réalité ».
On le sait, depuis la farce du « mieux-disant culturel », la culture c’est l’intruse à la télévision. Aucune émission culturelle sur M6, une seule sur TF1 (Vol de nuit, présentée par Patrick Poivre d’Arvor), une responsable de France 2 (Michèle Cotta, en 2001) affirmant sans sourciller : « De plus en plus souvent, le mot “émission culturelle” fait figure de repoussoir. » Dans les journaux télévisés de France 2, les sujets culturels représentaient 10 % en 1998 et moins de 4 % en 2002… Émissions culturelles, on le sait, qui sont de plus diffusées quand le public n’est pas devant le poste, « La nuit et l’été » pour reprendre le joli titre du rapport de Catherine Clément.
« Anti-élitisme et proximité font désormais partie du fond de sauce », analyse Hélène Risser. Parce qu’ils sont supposés soutenir l’audience : pour attirer et fidéliser des annonceurs, « la télévision doit faire des succès prévisibles ». Pas d’audace, pas d’extraordinaire, rien de distant : du familier, des « sujets miroirs » où se reconnaissent les spectateurs. C’est d’abord vrai pour la fiction, mais pas seulement. C’est d’abord vrai pour TF1, mais pas seulement. Une analyse statistique du contenu d’Envoyé spécial montre une évolution nette vers des sujets « fédérateurs » comme on dit dans le jargon : de moins en moins de sujets économiques ou de sujets étrangers, de plus en plus de sujets « sociétaux » (la prostitution, les célibattantes, les nouveaux papas). Comme l’avoue ingénument Françoise Joly : « Si Envoyé spécial tombait à 10 ou 12 % de parts de marché, on ne pourrait pas rester en prime time, ça c’est sûr. » France 2, dit son directeur général Christopher Baldelli, « ne doit pas être une télévision élitiste ». Leur alibi ? Arte et France 5.
Les bibliothécaires n’ont pas cet alibi, eux qui doivent essayer de proposer une offre qui soit l’équivalent de France 2, France 3, France 5 et Arte réunies – plus toutes les radios de Radio France.