Technologies de l'information et de la communication
approches croisées
Neuf articles composent ces « approches croisées » des technologies de l’information et de la communication (Tic). Éric Brousseau et Frédéric Moatty les ouvrent avec des « Perspectives de recherche sur les Tic en sciences sociales ». Leur texte vise à dégager, présentées autour des huit axes, des problématiques transdisciplinaires pour structurer la recherche en sciences sociales sur les rapports entre les évolutions des Tic et celles de la société. Leurs réflexions s’inscrivent dans le cadre de débats menés au sein du Groupement de recherche Technologies de l’information et de la communication et société, notamment autour des deux journées de travail organisées en Avignon. Il s’agit d’abord d’analyser la société de l’information, de la communication et de la connaissance dans laquelle s’inscrit l’évolution de ces technologies (axe 1). Les mutations liées à la régulation des collectifs ou aux rapports à la connaissance constituent les axes 2 et 3 de leur travail, quand les axes 4 à 7 sont consacrés aux changements associés aux Tic : mutations de l’imaginaire et des pratiques sociales, logiques de l’économie numérique, changements organisationnels, pratiques managériales. Enfin, le dernier axe, d’ordre méthodologique, porte sur la mesure des usages et sur les modalités d’utilisation des traces informatiques.
Les usages des Tic dans l’industrie et le commerce
Cet inventaire riche et dense est suivi d’une communication signée par Sébastien Tran. L’auteur y analyse les modifications des relations inter-entreprises face au développement du commerce électronique à travers l’étude du cas de la filière automobile. Celle-ci est, en effet, une des premières à avoir vu se développer de nouvelles formes d’organisation au niveau de la distribution et de la production. À travers la présentation de la plate-forme « Covisint », instrument de transformation de l’appareil productif, réunissant des constructeurs, des équipementiers et des fabricants de pneumatiques, S. Tran tente d’expliquer l’évolution des relations des entreprises impliquées dans cette filière et d’analyser les enjeux pour les acteurs en présence face au développement du commerce électronique.
Pour le lecteur de ce texte, sensible aux questions concernant l’information, il est intéressant de voir que les premiers services offerts par Covisint et déjà opérationnels, concernent la veille, le sourcing, les outils transactionnels et le référencement de produits et services. Dans la même optique que S. Tran, Thomas Debril et Anne France de Saint-Laurent s’interrogent, à travers la filière de la pêche artisanale, sur la façon dont les technologies de l’information reconfigurent les marchés, redistribuent les compétences entre les différents acteurs, équipent et soutiennent de nouvelles formes de coopération.
Claire Scopsi s’intéresse à l’émergence d’un nouveau commerce en analysant, dans un des quartiers de forte immigration que l’on trouve à Paris, le rôle des commerces et des commerçants dans la diffusion des Tic. Son approche sémiologique de l’espace marchand parisien l’entraîne à « lire la boutique comme un média ». L’étude des valeurs et des représentations des usages dans les boutiques de Barbès la conduit à présenter les boutiques de vente de cartes prépayées, téléboutiques, cyberboutiques, comme des lieux d’initiation à l’Internet et au multimédia, qui pourraient ainsi intervenir dans la réduction de la fracture sociale.
Esther Samuelides reste sur le terrain des télécommunications mais en changeant radicalement d’optique en étudiant : « Les stratégies d’investissements sur les marchés issus des nouvelles technologies : le cas des opérateurs mobiles ». Il s’agit d’analyser les stratégies de tarification et d’investissement que les producteurs ont intérêt à engager pour exploiter les innovations et augmenter la valeur ajoutée de leur offre de services pour le consommateur.
Changements organisationnels
Yannick Papaix s’interroge sur l’externalisation. « Pourquoi, demande-t-il, une entreprise choisit-elle d’utiliser ses ressources internes pour une tâche plutôt que de l’externaliser en s’adressant à un marché ? » Son article veut être une participation à ce débat en examinant les conséquences des Tic sur la gestion des ressources humaines internes aux firmes. À partir d’une enquête fondée sur des entretiens avec des responsables de projet d’investissement en technologies numériques pour les ressources humaines, l’auteur montre que la numérisation révèle la nature de certaines transactions internes à la firme. Les technologies de l’information apportent des innovations qui étendent les capacités de coordination de l’entreprise, en agissant sur les coûts d’un ensemble de transactions entre la firme et ses salariés.
Émilie-Pauline Gallié dresse « Une grille d’analyse de l’usage des Tic dans les différentes étapes de la coopération technologique ». La problématique sous-jacente est de savoir dans quelle mesure il est possible de s’affranchir de la contrainte géographique lors de relations où la dimension locale est traditionnellement considérée comme primordiale. Pour cela, après avoir identifié les phases principales du processus de coopération en soulignant leurs différents besoins de proximité, l’auteur étudie les conditions de transfert des connaissances, le rôle de la proximité géographique y étant mis en évidence. La construction d’une typologie des Tic lui permet d’envisager d’autres mécanismes d’échange et de coordination qui ne s’appuient pas sur la distance métrique.
Joëlle Farchy chausse les « bottes de sept-Tic » pour se rendre dans les salles de cinéma confrontées depuis longtemps à la concurrence de nouveaux supports. L’intrusion du numérique au domicile du consommateur conduit à s’interroger sur leur avenir même si, au terme de son étude, l’auteur affirme qu’il est peu probable d’envisager une totale substitution d’une consommation virtuelle à une consommation physique.
Enfin, Hélène Michel se propose d’explorer les motivations des individus vis-à-vis du vote électronique. Son analyse, synthétisée dans de nombreuses figures et tableaux, montre qu’essentielle pour les pouvoirs publics, la compréhension des motivations des citoyens face à cet outil est encore incomplète.
À la recherche d’un fil conducteur
Pendant la lecture de ce numéro de Sciences de la société, le lecteur étudiant, enseignant ou chercheur en sciences sociales, ne s’ennuie pas. Les études de cas présentées sont intéressantes, reposant sur des exemples très diversifiés appartenant à des environnements plus ou moins familiers et les enseignants ne manqueront pas de les exploiter dans leur cours pour les rendre plus vivants.
Au terme de sa lecture, le lecteur se sera enrichi de nombreuses informations et réflexions. Les articles sont bien documentés (ce que montrent les bibliographies accompagnant chaque texte) et écrits dans un style clair et concis. Chaque communication confirme bien la richesse des pistes ouvertes aux chercheurs par les technologies de l’information. Le croisement des approches des spécialistes en sciences économiques, sciences de l’information, sociologie, science de la gestion, signataires de ce numéro 59, ne peut qu’inciter les chercheurs en sciences sociales à s’engager sur ces passerelles interdisciplinaires dont parlent É. Brousseau et F. Moatty en introduction. Ce document arrive à point à un moment où l’on parle beaucoup de transdisciplinarité ou de multidisciplinarité, pour prouver le bien-fondé de ces concepts. Le lecteur regrettera toutefois l’absence d’un texte unifiant ces contributions, sorte de fil d’Ariane synthétisant ses approches croisées, proposant un recul critique sur toutes ces communications, leur donnant un cadre les ordonnant autour de leurs idées fortes.