Court traité de signalétique à l'usage des bibliothèques publiques

par Dominique Arot

Michel Piquet

Paris : Éd. du Cercle de la librairie, 2003. – 121 p. ; 24 cm. – (Collection Bibliothèques). ISBN 2-7654-0875-0 : 25 €

Qui a eu le plaisir de goûter la conversation amicale et professionnelle de Michel Piquet au détour d’une allée de la Bibliothèque publique d’information retrouvera dans ce livre ce même mélange d’érudition pétillante et d’humour, appliqué avec un rien de décalage, avec vivacité et originalité, à un sujet qui a occupé l’auteur depuis une dizaine d’années : la signalétique. Entreprise toujours sur le métier dans une bibliothèque qui parie depuis son ouverture sur la mise en libre accès de centaines de milliers de volumes.

Une méditation bibliothéconomique

Mais il faut le dire d’emblée, que le lecteur ne recherche pas dans ces pages un manuel pratique de signalétique avec liste de recettes, mais bien plutôt des pistes de réflexion inspirées par l’expérience et des remarques de bon sens, une sorte de « méditation bibliothéconomique ». La relative brièveté et la densité du propos font qu’on y reviendra volontiers, et ce d’autant plus que la signalétique entraîne Michel Piquet vers d’autres sujets touchant à la vie des bibliothèques : l’architecture, le service public, l’attitude des bibliothécaires-médiateurs… ou le bon usage des couleurs. Un livre qui met en lumière la place privilégiée que doit occuper la réflexion théorique dans la pratique professionnelle. La référence à l’histoire des bibliothèques est ici particulièrement précieuse, tant la signalétique semble liée à la généralisation de l’offre de lecture en libre accès. Il y a donc un avant et un après et Michel Piquet excelle à rapprocher les époques pour confronter les pratiques.

Le volume est organisé en brèves séquences classées par ordre alphabétique de « accès libre » à « temps d’arrêt », ce qui, tout en rendant sa lecture plus aisée, met le lecteur sur la voie de son meilleur usage : la dégustation à petites gorgées.

Un parcours producteur de sens

L’auteur l’affirme d’emblée : l’enjeu de la signalétique va très au-delà d’une simple technique bibliothéconomique. Ce qui importe, c’est de rendre possible le parcours de tous les lecteurs, ces « voyageurs » chers à Michel de Certeau. Mais l’entreprise doit être conduite au milieu d’un faisceau de paradoxes. Le premier paradoxe de ce manuel est d’affirmer qu’il n’existe pas de signalétique idéale, Michel Piquet posant en principe qu’il ne peut y avoir de doctrine en la matière. Mais, second paradoxe, il n’y a pas davantage de lecteur idéal, de voyageur-type. Le comportement des lecteurs n’est pas limpide et leur parcours prend des formes sinueuses, voire illogiques. Pire encore, bien des lecteurs longent les étagères sans aucun projet défini, dans une sorte de nomadisme. C’est en fait de cette déambulation sans propos que va naître leur projet. Autre paradoxe, à déduire de ceux qui précèdent, que doit affronter le signaléticien : la signalétique ne doit abandonner aucun lecteur, quand bien même ce dernier déciderait de s’affranchir de toute règle.

Dans ce processus qui conditionne l’accès à la culture, il faudra donc faire œuvre de pédagogue, mais avec une sorte de légèreté et de respect, ce que Michel Piquet résume ainsi : « Conduire au but tout en laissant des choix ouverts. » L’auteur est bien fondé à mettre en garde contre toute inflation signalétique, contre toute lourdeur, malgré la complexité des messages à délivrer.

Avec une sorte de pragmatisme qui n’exclut pas l’ambition, Michel Piquet défend l’idée, à propos du couple libre accès/signalétique, du « labyrinthe positif », c’est-à-dire d’un parcours producteur de sens, quels que soient le dessein et la méthode adoptés par celui qui l’emprunte. C’est l’un des mérites de ce livre que d’affirmer une modestie dans le propos, sans pour autant renoncer à mettre au clair quelques principes avec une sorte d’opiniâtreté méthodique.

On a dit plus haut le prix qu’il fallait attacher à un volume nourri de références culturelles et de lectures dans des domaines très variés. Petite réserve, l’auteur n’échappe pas toujours à l’excès. Qu’on en juge à la lecture de la page 30 : cinq lignes de texte et plus de quarante lignes de notes infrapaginales ! Mais on pardonnera à Michel Piquet au bénéfice de la désopilante note 2 de la page 104…

Voilà donc un livre de réflexion qui convoque avec intelligence les ressources des sciences humaines (il offre une mine de références dans ce domaine) pour examiner tous les aspects d’un problème pratique auquel tout bibliothécaire est confronté un jour ou l’autre.