La place et le rôle du livre en milieu de soins

Marion de Savignac

L’hôpital des enfants de Toulouse-Purpan, les 20 et 21 octobre 2003. Lieu chargé de sens. Lieu imposant… mais aussi tellement accueillant, malgré tout. C’est ici que nous nous sommes retrouvés, professionnels de santé, animateurs, illustrateurs et bibliothécaires, autour d’une réflexion relativement en marge : « La place et le rôle du livre en milieu de soins ».

Organisée par le Centre régional des lettres Midi-Pyrénées, cette manifestation a ouvert plusieurs problématiques : quelle est l’offre éditoriale propre à ce thème ? Quelle est son évolution ? Quelles animations autour du livre peut-on proposer à l’hôpital ? Quel en est l’impact sur les enfants et adolescents hospitalisés ?

La production éditoriale

Jean-Marie Scotton, médecin obstétricien, chef de service à l’hôpital d’Épinal, a entamé le débat. Se remémorant sa thèse, La santé dans les albums pour enfants, vingt ans auparavant, il constate une évolution certaine de la production éditoriale consacrée à la santé, à la maladie et à la représentation des soignants.

Dans les années 1980, la production était assez timide, limitée par les tabous d’une société frileuse. Les thèmes abordés ne portaient guère à débat : alimentation, dents, sommeil, naissance… Et les représentations des soignants restaient alimentées par certains lieux communs : le médecin était forcément un « vieux médecin de famille », portant lunettes et cravate (Martine, Babar). L’évolution est aujourd’hui de plus en plus sensible. Les tabous tombent un à un : multiplication du nombre de livres abordant la sexualité, l’hygiène, le divorce, l’adoption, la mort. Les termes utilisés ne « font pas dans la dentelle » : « cheveux gras », « dents verdâtres »… Certaines représentations évoluent : le père est de plus en plus présent quand il s’agit d’accompagner l’enfant dans les étapes de sa vie ; quant au médecin, il a troqué ses lunettes et sa cravate contre une paire de jeans, il peut même être conjugué au féminin ! Certains thèmes font leur apparition : visite chez le psychologue, lutte contre les drogues, le tabac et l’alcool. Pourquoi cette évolution ?

L’offre éditoriale suit la vie, les années : pourquoi n’évoluerait-elle pas avec le temps ? « Le livre est le témoin de la société » et de l’évolution des mentalités. Mais, qui dit évolution, dit besoins : quels sont les réels destinataires de ces livres ? Les malades ? Les enfants confrontés aux problèmes de la vie, afin de mettre des mots sur des maux ? Les autres, afin de susciter le débat ? Les parents, afin de se rassurer face aux questions douloureuses de leurs enfants ?

Les médecins, eux, ne conseillent que peu de livres ; en bibliothèque, ce sont les parents les demandeurs. La question reste donc entière.

Le livre, la lecture à l’hôpital

Ce qui est sûr, c’est la portée que peut avoir l’écrit auprès des enfants et des adolescents hospitalisés : Bruno Ruiz (écrivain), Xavier Pommereau (psychiatre au Centre Abadie de Bordeaux qui accueille des adolescents suicidaires), Maryse Glandières et Lionel Berthon (professeurs à l’école de l’hôpital des enfants de Toulouse) et Sylviane Lacroze (éducatrice spécialisée et conteuse) nous l’ont montré !

Bruno Ruiz est écrivain, et c’est tout : « Je ne suis ni enseignant, ni thérapeute, ni animateur, ni éducateur. » En cela, il considère ses ateliers d’écriture comme de l’art, et non comme une thérapie.

À l’adolescence, les jeunes s’interrogent beaucoup sur cet être qui est en construction en eux ; ils ont donc besoin de s’exprimer. Mais s’exprimer à cet âge n’est pas facile. Grâce à l’intervention de Xavier Pommereau, il nous a été plus facile de comprendre ces jeunes. Les ados sont fâchés avec les mots : si, entre eux, discuter ne pose pas de problème, dès qu’ils se retrouvent confrontés aux adultes, le silence s’installe. Dans ce monde d’adultes, ils ne se sentent pas à leur place et éprouvent une certaine agressivité. Ils ont donc la possibilité de se tourner vers l’écriture (journaux intimes, poèmes, chansons…) qui leur permet de dire, tout en ayant le sentiment de contrôler ce qu’ils laissent passer.

Mais tout n’est pas si simple, quand on sait que « les ados d’aujourd’hui sont des enfants de l’image », des enfants qui se laissent « servir » des images toutes prêtes (télévision, jeux vidéo). L’écrit et la lecture sont une réelle difficulté. L’ado doit donc être mobilisé sur le plan de l’imaginaire ; il doit aller au-delà de l’image, il faut qu’il soit touché. Pour tout cela, le Centre Abadie est aménagé autour de la bibliothèque. Les ados hospitalisés qui en sont les principaux acteurs (rangement, mur d’expression…) se familiarisent avec l’écrit, cet écrit salvateur.

Après tout cela, on comprend Bruno Ruiz pour qui la principale difficulté d’intervenir en milieu de soins est la mise en commun des textes, ces textes qui reflètent l’intimité des jeunes. Mais lorsqu’on écrit, c’est aussi pour être lu ; alors, grâce à de nombreuses discussions, l’écrivain suscite la création et motive : édition d’un recueil des textes, mise en scène et en musique. « Je me suis retrouvé avec des enfants qui m’ont donné des leçons de vie. »

Pour Maryse Glandières et Lionel Berthon aussi, l’édition des textes a été une réussite. Cette initiative s’est inscrite dans un projet d’école : « Mieux communiquer pour rompre l’isolement ». Le principe a été de faire écrire des textes et de les faire illustrer par les classes des enfants malades et par des classes d’enfants extérieurs à l’hôpital. Le recueil de contes Histoires filantes (Éd. AEMEA, 2002) est né de cette rencontre. Le temps de l’hospitalisation a été transformé en réel atout, l’espoir est de nouveau réapparu aux yeux des enfants malades, citoyenneté, tolérance et solidarité ont été développées. « Aux portes de la mer, j’applaudis l’espoir de vivre… » (Yannick, extrait d’Histoires filantes).

Quant à Sylviane Lacroze, elle s’est toujours attachée à travailler étroitement avec le conte. Le conte peut être lu ou écouté simplement pour sa première valeur qu’est le plaisir, mais aussi pour cette autre valeur qu’est la thérapie. Cependant, pour qu’un conte soit thérapeutique, il faut que son contenu ait une équivalence psychique qui puisse être ressentie forcément par celui qui l’écoute. Le conte sert à montrer que l’on peut dire les choses d’une autre façon : autre temps, autres lieux, il y a transposition. Tout cela se fait grâce aux ressentis, aux sensations et aux sentiments. Il n’y a pas obligatoirement une réelle prise de conscience. Ainsi le conte peut « soigner » ; mais ne s’affichant pas comme pratique thérapeutique, cela se fait-il à l’insu du patient ?

La qualité de vie des personnes hospitalisées est devenue une priorité pour le personnel (même s’il y a encore peu de lignes budgétaires propres aux projets culturels). L’écrit et la lecture permettent une vie meilleure, une resocialisation et apportent un réel « projet de vie » (Lionel Berthon). L’édition évolue, les ateliers se succèdent… Mais tout cela ne peut être efficace que s’il y a une collaboration entre l’extérieur et l’intérieur de l’hôpital. Les bibliothèques de lecture publique doivent aujourd’hui s’intéresser davantage aux hôpitaux, qui, comme elles, touchent tous les âges, toutes les catégories sociales et toutes les cultures. Le travail est encore long.