Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil

Juliette Doury-Bonnet

Organisé par le Centre de promotion du livre de jeunesse en Seine-Saint-Denis (CPLJ 93), le Salon du livre et de la presse jeunesse a eu lieu du 26 novembre au 1er décembre 2003 à Montreuil. Les invités de cette 19e édition étaient le Japon et l’amour. De nombreuses rencontres ont été proposées aux professionnels le lundi 1er décembre.

L’édition de jeunesse en Europe

Une table ronde sur l’édition de jeunesse a réuni des intervenants venus de toute l’Europe. Guillaume Husson (Direction du livre et de la lecture) a souligné que, si l’Europe est compétente en matière culturelle, les États membres sont très jaloux de ce secteur. L’organisation de la chaîne du livre est hétérogène selon les pays. Et l’aide européenne très ponctuelle. Il n’y a pas de politique de promotion de la culture et la logique économique s’applique au secteur culturel comme aux autres. Les deux tiers des États membres appliquent le prix unique du livre.

L’auteur Christina Björk a décrit la situation suédoise : de grands auteurs connus, des éditeurs qui publient beaucoup, des aides du ministère de la Culture, constantes en dépit des restrictions budgétaires, pour soutenir les auteurs, les éditeurs et la lecture enfantine. Depuis 1996, une loi exige que chaque commune, école et région ait une bibliothèque. Le prêt est gratuit pour les lecteurs, mais l’État verse un droit qui revient aux auteurs, illustrateurs et traducteurs sous forme d’aides et de bourses de travail qui permettent à beaucoup d’entre eux de vivre de leur plume. De plus, les auteurs sont organisés syndicalement. La Svenska barnboksakademin (Académie du livre pour enfants) réunit dix-huit auteurs autour de la promotion du livre de jeunesse et diffuse une brochure listant les 17 skäl för barnboken, 17 raisons pour créer des livres pour enfants.

À l’opposé, Grazia Gotti (Librairie Giannino Stoppani, Bologne) a brossé un tableau très sombre de la conjoncture italienne, marquée par l’absence de soutien public. Cependant, elle a annoncé la création cet automne à Bologne d’une école destinée aux futurs libraires, éditeurs, etc., l’Accademia Drosselmeier.

Selon l’auteur britannique Michael Morpurgo, la littérature de jeunesse n’est pas vraiment reconnue en Grande-Bretagne. C’est pourquoi l’élection par des enfants et des professionnels du livre d’un Children’s laureate – il est lui-même le troisième lauréat, après Quentin Blake et Anne Fine – peut aider à convaincre les gens que la littérature pour la jeunesse a sa place à côté de la littérature pour adultes. Quentin Blake a introduit l’idée que l’illustration pour enfants était un art, en particulier grâce à l’exposition « Tell Me A Picture » en 2001 à la National Gallery. Quant à Anne Fine, elle s’est battue pour qu’une aide gouvernementale soit attribuée aux bibliothèques. L’État préconise d’utiliser la littérature de jeunesse à l’école (« literacy »), mais n’encourage pas la lecture plaisir ; et les enseignants ne sont pas formés. L’édition pour la jeunesse est prolifique, les auteurs et illustrateurs de qualité nombreux, mais Michael Morpurgo a regretté qu’il y ait peu de traductions d’ouvrages étrangers. « Ils ne savent pas ce qu’ils ratent ! », s’est exclamée Christina Björk.

En Allemagne, la culture fait partie des prérogatives des Länder. Après la guerre, de nombreuses œuvres étrangères ont été traduites pour ouvrir le pays sur le monde. Mais l’éditeur Klaus Humann (Carlsen Verlag), s’il est hostile à une aide gouvernementale qui risquerait d’entraver la liberté et la créativité des éditeurs, souhaiterait que l’État soutienne la traduction des livres allemands à l’étranger.

En Belgique, l’État n’a pas de politique de soutien du livre, sauf pour l’exportation. Ce sont les Communautés qui remplissent ce rôle, chacune de son côté. En Wallonie, les auteurs et les éditeurs pour la jeunesse ne reçoivent pas d’aide, contrairement au secteur pour adultes, a expliqué Martine Garsou (Direction générale de la culture, ministère de la Communauté française). Le 25e rang de la Belgique dans l’enquête 2000 du Programme for International Student Assessment (PISA) de l’OCDE a suscité une réflexion sur la promotion de la lecture à l’école, en l’absence de réelle formation des enseignants. Des listes de livres ont été proposées à l’initiative de libraires, éditeurs, bibliothécaires et enseignants. En Flandre, la fondation Stichting Lezen est très active dans le domaine de la promotion de la lecture.

Marie-Joseph Delteil a présenté les actions du Centre national du livre en faveur des éditeurs, même étrangers, qui publient en français. Une commission littérature jeunesse, initiée en 1982 par Jean Gattégno, attribue des bourses aux créateurs d’expression française ou résidant en France, mais les illustrateurs, s’ils ne sont pas auteurs de textes, ne peuvent en bénéficier.

Que fait la littérature jeunesse du mot littérature ?

Un public nombreux s’entassa dans une salle minuscule et surchauffée pour assister à la discussion organisée par Alain Serres, créateur des éditions Rue du monde, sur le thème « Que fait la littérature jeunesse du mot littérature ? ». Trois auteurs, Didier Daeninckx, Dominique Sampiero et Karim Ressouni-Demigneux, étaient réunis autour du critique Bernard Épin pour faire partager leur conception de la littérature de jeunesse.

« Le livre de jeunesse est de plus en plus beau et c’est un aiguillon des petites maisons d’édition pour les grandes, a constaté Alain Serres, mais le texte traîne la patte. On fait des livres “sur”, on met des thématiques en avant, mais la littérature est mise en retrait. » Les textes qu’il reçoit sont souvent décevants, « comme si l’enfant n’était pas vraiment une personne ». On doit « se battre pour sortir l’enfant de sa cloche de verre avec des sujets qui dérangent, mais il faut qu’ils soient portés par une écriture. » Alain Serres a créé une collection de romans à partir d’un livre de Dominique Sampiero, P’tite mère, dont d’autres éditeurs avaient dit que « ce n’était pas pour les enfants, pas “pédagogique” ».

Bernard Épin a souligné que « la pédagogisation à outrance ne laissait pas de place à la littérature ». Les auteurs ont contribué à faire sortir d’un « modèle utilitariste » le livre « pour enfants », devenu « de jeunesse ». Écrire pour les enfants, c’est « une manière de rechercher en soi sa part d’enfance, de réinventer l’enfance ». Les textes d’aujourd’hui, loin de toute démagogie, « résistent quand on mord dedans ».

Pour Alain Serres, l’actualité du monde de l’édition est inquiétante : la fusion Bayard/Milan, la publicité télévisée, etc. « Et le monstre, quelle place va-t-il laisser à la littérature ? »

Le réseau « Littératures d’enfance »

Jean Foucault (université de Cergy) a présenté le réseau international de recherche sur les littératures d’enfance 1, créé en avril 2003, au sein de l’Agence universitaire de la francophonie, une organisation non gouvernementale de droit canadien. Ce réseau réunit actuellement 70 chercheurs de 24 pays. Tous les chercheurs capables de communiquer en français peuvent y adhérer, quel que soit leur pays d’origine.

Le réseau peut avoir un rôle auprès des éditeurs : des coéditions sont déjà envisagées au Togo et au Maroc. Jean Foucault a insisté sur l’ouverture sur le monde et sur l’interdisciplinarité de Littératures d’enfance. « La littérature de jeunesse n’est pas reconnue par l’université, a-t-il conclu, on est sur un axe de tension. »