International Summer School on the Digital Library
Alia Benharrat
Le stage d’été sur la bibliothèque électronique, proposé chaque année par TICER (Tilburg Innovation Centre for Electronic Resources) et l’université de Tilburg aux Pays-Bas, met en présence des intervenants généralement anglo-saxons et un public diversifié (cadres dirigeants de bibliothèques, éditeurs, commerciaux de maisons d’édition et de produits informatiques en relation avec le monde des livres), d’origine majoritairement anglo-saxonne ou scandinave.
Le stage 2003, qui a eu lieu du 10 au 15 août, remarquablement organisé, a offert aux participants une occasion unique d’échanges, de débats, de conversations informelles au moins aussi riches que les exposés eux-mêmes 1.
Un avenir incertain
Les deux premières journées, très denses en exposés, montrent à quel point l’avenir est incertain, y compris pour les « leaders » de l’industrie de l’information, privée et publique. L’ensemble des questions a été abordé (la conservation, l’avenir du livre électronique, le nouveau rôle des éditeurs, l’absence de modèle économique pour les publications électroniques), mais aucune réponse n’a été apportée.
Autant la conservation de la documentation papier est clairement du ressort des bibliothèques nationales, autant celle du document numérique ne semble être attribuée à personne en particulier. Les problèmes techniques (obsolescence des supports, impossibilité de définir une politique claire pour la conservation des sites Internet, etc.) paraissent insurmontables pour les bibliothèques qui ne disposent à présent que d’un droit d’usage sur les documents électroniques. Cela laisse le champ libre aux éditeurs avec toutes les dérives qui peuvent en découler (suppression de certains textes après publication, par exemple). On ne sait plus qui est responsable et qui doit investir. Cette situation rend la société très vulnérable. La question de la conservation a été ressentie par tous comme particulièrement grave en termes d’accès à l’information et d’héritage culturel.
Le document électronique pose une série de questions inédites en rapport avec les nouveaux modèles économiques (la licence et non plus l’achat, la segmentation du marché), la propriété intellectuelle, la conservation, le développement de nouveaux modèles de communication et d’écriture, la normalisation (la structuration du livre en chapitres n’existe pas pour le document électronique dont la forme est très diversifiée). De fait, nous devons nous dégager du modèle de l’ouvrage imprimé pour étudier, par exemple, le comportement des produits audio et vidéo, également numérisés.
La bibliothèque du futur
Cependant, le numérique apporte aux bibliothèques de nouvelles opportunités de développement et une meilleure intégration au monde de l’enseignement et de la recherche.
Le premier exemple concerne la mise en place de bibliothèques universitaires comme centres de ressources multimédias pour l’enseignement classique et le e-learning : ces bibliothèques concentrent de fait toutes les ressources pédagogiques de l’université. Elles offrent de larges plages d’ouverture, des salles de cours, des tuteurs pour l’enseignement à distance et l’ensemble des outils nécessaires à l’enseignement (ordinateurs, ouvrages…). Les bibliothécaires travaillent de conserve avec les enseignants à la construction des cours et à l’indexation des textes destinés, en particulier, aux cours électroniques (payants). Si ce type de bibliothèque est encore embryonnaire à Tilburg, une cassette vidéo « de choc » présente les nouveaux bâtiments de la bibliothèque de Sheffield Hallam, entièrement conçue dans cette optique : le Learning Center a succédé au concept de « bibliothèque universitaire » en partant du principe que le cœur de l’université ne sera plus dans les amphithéâtres mais dans ce centre qui rassemble des professionnels de culture différente (enseignants, bibliothécaires, personnes du monde des médias, de l’informatique et de l’administration).
Le second exemple est offert par Los Alamos aux États-Unis (12 000 chercheurs dans le domaine des sciences dures et de la recherche militaire) : le site Internet de la bibliothèque intègre à la fois les ressources externes (bases de données, périodiques) et les productions internes formelles et informelles (cours, littérature grise, forums de discussion). Une étroite collaboration avec les informaticiens, qui constituent la moitié du personnel de la bibliothèque, et le développement du logiciel « MyLibrary » ont permis d’offrir un site personnalisé et des liens dynamiques à chaque utilisateur. Cette approche, totalement centrée sur l’usager, va être prolongée en augmentant les stocks de données, notamment par le déchargement de périodiques en ligne, de pages de services web non commerciaux, de logiciels d’aide au data-mining (analyse des données afin de déterminer des modèles ou des tendances).
La bibliothèque numérique du futur se dessinerait plutôt comme une bibliothèque totalement personnalisée que comme un outil collectif, elle s’orienterait vers la production de services plutôt que vers l’organisation des collections et elle serait un lien dynamique entre les ressources et les personnes plutôt qu’un stock de bases de données.
Ces deux aspects, intégration de l’enseignement à distance dans la bibliothèque du futur et intégration des différentes sources, ressources et services personnalisés en fonction des besoins de l’usager, semblent particulièrement intéressants dans le contexte des services communs de documentation éclatés sur plusieurs sites géographiques.
Implanter le changement à la bibliothèque
Au cours des trois journées suivantes, les stagiaires ont travaillé sur les étapes du changement organisationnel. Le principe pédagogique retenu faisait alterner un exposé théorique sur un aspect organisationnel (par exemple, le planning stratégique), un cas pratique traité en petit groupe et un exposé portant sur un cas réel. Le processus était conclu par une série de questions, posées principalement, comme on peut s’en douter, aux orateurs qui présentaient les cas réels. Un auditeur non anglo-saxon regrettera le recours à des solutions non adaptables à d’autres contextes (comme la possibilité de proposer un plan de reconversion à une personne que l’on souhaite voir partir) ou la prise en compte de contraintes propres (comme la forte présence des syndicats, systématiquement informés de toutes les mesures organisationnelles prises à la bibliothèque). Mais il s’agit là de détails, le fonds du propos étant transposable dans la plupart des contextes et, de fait, en cours dans nombre de bibliothèques, en particulier par le biais des implantations de systèmes intégrés de gestion.
Des exemples concrets ont été longuement exposés (et appréciés). Ainsi la bibliothèque universitaire du Sussex a imposé une réorganisation sur la base du constat que si, d’un point de vue superficiel, la bibliothèque paraissait fonctionner correctement, un examen plus attentif montrait un certain nombre de lacunes : absence de management, pas de définition des postes, ni de vision du futur, ni de politique d’acquisition (en particulier pour l’électronique), une totale incapacité de savoir si la bibliothèque répondait aux besoins de l’université, une faible exigence des utilisateurs.
Le processus a pris deux ans (six mois pour rassembler l’information, dix-huit pour implémenter le changement) et ne s’est pas fait sans difficulté, en particulier dans la gestion du personnel, souvent en place depuis plus de vingt ans. Une approche intéressante fut de définir les postes puis d’appeler les personnes en place à postuler sur la base d’un curriculum vitae et d’un entretien mené, entre autres, par des personnalités extérieures. À l’issue de ces entretiens, deux personnes se sont vues proposer un plan de reconversion, ce qui ne fut pas toujours bien vécu.
Quelles furent les leçons de l’expérience ? L’importance vitale d’avoir le soutien des personnalités de l’université, la nécessité de communiquer constamment, même si cela prend beaucoup de temps, une bonne formation et un bon accompagnement du personnel afin de l’aider à choisir le « bon » poste et à affronter la nouveauté.
Le processus du changement est loin d’être achevé, mais il existe à présent une structure solide qui permet de voir à l’horizon des cinq prochaines années comment la bibliothèque va pouvoir réellement rencontrer les besoins des usagers.
Si le bilan de ce stage d’été est très positif tant par le contenu des cours que par les discussions formelles et informelles, la non-représentation de la France, dans le public et parmi les intervenants, ne peut manquer de surprendre, d’autant que les professionnels francophones auraient certainement beaucoup à apprendre à leurs collègues anglo-saxons qui semblent découvrir les contraintes budgétaires et la nécessité du travail partagé et en réseau. La présence active des francophones aurait également pour mérite de compenser une vision parfois trop « ethno-centrée ».