Information du citoyen en bibliothèque
Annie Le Saux
La journée d’étude organisée le 19 juin par la Cobb, Agence de coopération des bibliothèques et centres de documentation en Bretagne, à l’université Rennes II, est née d’une réflexion sur la façon dont le 11 septembre avait été traité par les médias et dont les bibliothèques avaient ou non relayé l’événement. L’actualité et les partis pris qu’elle a suscités – lors des élections présidentielles, puis de la guerre en Irak – n’ont fait que conforter l’idée qu’une réunion sur l’« information du citoyen en bibliothèque » était… d’actualité.
La bibliothèque et la ville
Parler d’actualité(s) en bibliothèque signifie réfléchir à diverses notions, qui souvent se mêlent, parmi lesquelles pluralisme, censure, neutralité, déontologie… Jean-Luc Gautier-Gentès, doyen de l’inspection générale des bibliothèques, choisit, cette fois, de s’attarder sur la bibliothèque citoyenne et, partant, sur la façon dont les bibliothèques sont perçues par la société. La place réduite des bibliothèques dans la ville – toujours après les musées –, son faible écho dans les médias – on n’y parle que de la Bibliothèque nationale de France, de ce qui fait scandale comme la bibliothèque de Marignane –, relèvent de causes diverses et imbriquées, depuis l’image que les bibliothèques donnent d’elles-mêmes à travers leurs collections – essentiellement des romans – et leur public – principalement issu des classes moyennes de la société –, jusqu’à l’origine sociodémographique des bibliothécaires – en majorité diplômés en littérature et en histoire –, sans oublier la place réservée, dans notre tradition, à la culture et à la littérature. Une tradition dont on a pu ressentir tout au long de cette journée le poids sous-jacent dans les réticences à créer de véritables services d’actualité en bibliothèque.
Et pourtant, ouvrir les services de la bibliothèque à la vie économique et sociale en offrant des informations pratiques (emploi, santé…), politiques, sociales, économiques, ou encore des formations, à l’instar des bibliothèques anglo-saxonnes et scandinaves, amènerait sans nul doute une meilleure appropriation de la bibliothèque par la société et un élargissement du public. Mais le rapport qu’entretiennent la plupart des bibliothèques françaises avec l’actualité est difficile. Pour que les quelque 80 espaces recensés en 2000 dans les 2 800 bibliothèques municipales françaises se multiplient, il serait bon, note Jean-Luc Gautier-Gentès, que les bibliothèques cessent d’ « associer l’actualité au consumérisme dans ce qu’il a de plus éphémère et vulgaire » et qu’« elles fassent du social franchement social et du culturel un peu plus franchement culturel ». Et et non pas ou insiste-t-il à l’attention de ceux qui pourraient craindre que le modèle anglo-saxon ne vienne se substituer au modèle français et que « l’information tue la culture et la littérature ». Information et connaissance, ces termes ne sont pas antinomiques, et les notions qu’elles recouvrent peuvent et doivent cohabiter.
Or on a bien compris que l’obstacle essentiel réside dans un état d’esprit qui prend fait et cause pour une conception de bibliothèque constituée de collections vouées à la pérennité et non d’informations fugaces.
Bibliothécaires et élus
Suivirent des débats sur les aspects déontologiques et politiques, au cours de la table ronde sur les attentes des collectivités et les propositions des professionnels en terme d’information du citoyen. Gilles Éboli s’est appuyé sur le Manifeste de Glasgow qui réaffirme le droit fondamental d’avoir accès à l’information et de la diffuser, sur la Directive européenne sur le droit d’auteur et sur le Code de déontologie du bibliothécaire adopté par l’Association des bibliothécaires français (ABF), qui défend « un accès à l’information respectant la plus grande ouverture possible ». Pour le directeur de la Cité du livre d’Aix-en-Provence et tout nouveau président de l’ABF, il est important de multiplier les lieux de débat et d’échange en bibliothèques, car c’est ce qui les rend vivantes et actives.
Mais, qui dit présentation de débats en bibliothèque publique dit s’assurer de l’accord des élus. Des élus, dont le rôle, explique Jean-Louis Briard, directeur de la culture de Rennes Métropole, est, du fait des responsabilités qu’ils sont amenés à assurer pendant une période donnée, de définir des orientations, alors que celui du professionnel est de les appliquer et de les mettre en œuvre. La proximité avec les élus, encore plus grande dans les petites communes, accentue le décalage entre les souhaits du bibliothécaire de « ne pratiquer aucune censure » (code de déontologie de l’ABF) et l’ingérence de fait du politique en tant que tutelle. Une neutralité inaccessible donc, d’autant plus qu’« informer, c’est choisir », ajoute Patrice Moyon, journaliste à Ouest France.
Exemple de cette nécessaire résonance élu-bibliothécaire, le nouvel équipement culturel de Rennes « Les champs libres », dont la structure regroupera sur un même lieu la bibliothèque, le musée de Bretagne et l’espace des sciences. Situé dans l’ensemble du programme par Jean-Louis Briard, qui a insisté sur son rôle de convergence, le projet de la salle d’actualité, au rez-de-chaussée du bâtiment, fut présenté plus en détail par Sophie Gonzales, responsable de ce futur pôle de la bibliothèque. Cette salle « Vie du citoyen » est conçue pour être, entre autres, un « lieu d’orientation et de réorientation, un lieu de consultation sur place, un sas d’appel vers la bibliothèque… » On sait déjà qu’il est prévu d’y installer un accès à Internet à partir de 36 postes informatiques, de présenter des revues de presse, l’actualité des médias, des informations récentes sur la bibliothèque, des informations culturelles… Mais la réflexion reste ouverte sur ce que sera, plus concrètement, le contenu de cet espace de 514 m2, les responsables de ce projet pouvant d’ores et déjà se référer à l’exemple du service Information & actualité sur le site de la ville de Blois, que tout le monde s’est accordé à louer 1.
Contenu et moyens d’un service d’actualité
Quels services d’actualité proposer en bibliothèque ? Les trois ateliers de l’après-midi ont mis en relief les interrogations – nombreuses – des bibliothécaires sur le contenu et sur les implications financières et humaines qu’entraîne la gestion d’un tel service. Le définir d’abord n’est pas simple, encore moins lorsqu’il s’agit d’une petite commune, où pourtant son existence y est rendue encore plus indispensable par un relatif éloignement des habitants.
Les questions préalables sont nombreuses. Où installer ce service ? S’agira-t-il d’une table à l’entrée de la bibliothèque, où ne seront exposés que quelques périodiques, comme c’est souvent le cas, ou d’un lieu spécifique comme il est prévu pour les Champs libres, ou encore d’un service situé hors de la bibliothèque, tel le point Info jeunesse à Chartes-de-Bretagne – ce dernier exemple illustrant bien la difficulté à faire cohabiter en un même lieu information culturelle et information pratique ? Ce choix devrait logiquement découler de ce que l’on compte y proposer. Quelles informations ? Politiques – mais cela signifie surmonter la frilosité qui a le plus souvent cours face aux élus et à leurs tendances politiques –, économiques, pratiques ? Ponctuelles, rapides et éphémères ou élaborées sous forme de dossiers, de revues de presse ? Ces informations doivent-elles concerner la vie locale uniquement ? Doivent-elles avoir un lien avec le fonds de la bibliothèque ?
À côté de ces questions, une certitude : la bibliothèque ne peut pas tout posséder, mais elle peut orienter, travailler en partenariat avec d’autres institutions. Un des ateliers était consacré aux actions du Clemi (Centre de liaison de l’enseignement et des moyens d’information), un autre a évoqué le partenariat avec les bibliothèques départementales de prêt, les réseaux de coopération régionale (la Cobb et Britalis, portail documentaire régional) 2 ou nationale.
Faire fonctionner un tel service demande, enfin, des moyens financiers et en personnel : constituer des dossiers de presse, mettre à jour les informations, les classer, les éliminer sont des tâches régulières… Il ne s’agit pas simplement de présenter des informations, il faut les mettre en valeur, les faire évoluer.
Autant d’interrogations derrière lesquelles se retranchent les bibliothécaires pour ne pas aller contre leurs convictions profondes. Or, proposer un meilleur service à la population en lui donnant accès à la vie économique et sociale fait aussi partie des missions de la bibliothèque. Mais, si « offrir des clés pour comprendre le monde peut être un service, conclut Marine Bedel, conseillère pour le livre et la lecture de la Drac Bretagne, c’est l’état d’esprit et la volonté de tout le personnel qui le feront évoluer ».