Polyvalence et nouvelles expertises dans une société en mouvement

Le 34e congrès de la CBPQ

Stéphane Legault

Cécile Lointier

Du 21 au 23 mai 2003, la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec (CBPQ) a tenu à Orford son 34e congrès annuel, intitulé « Polyvalence et nouvelles expertises dans une société en mouvement ». Dans une société où les choses bougent rapidement et continuellement, les professionnels de l’information et de la documentation doivent savoir s’adapter et évoluer. Ils doivent repositionner leurs services dans un nouvel environnement technologique, travailler davantage avec de multiples partenaires et continuer à parfaire leurs compétences aux niveaux politique, technologique et du marketing. Ainsi, lors du congrès, plusieurs conférenciers ont discuté de ces aptitudes et des moyens pour les mettre en œuvre. Ils ont également partagé leurs expériences et suscité bien des discussions, pour notre plus grand plaisir.

Les habiletés politiques

Le séminaire pré-congrès s’est penché sur les compétences nécessaires aux gestionnaires pour s’assurer un rôle stratégique au sein de leur organisation. Partant du constat que les bibliothécaires professionnels ne sont pas toujours reconnus à leur juste valeur, François Bouchard, psychologue et chargé de cours à l’École des hautes études commerciales de Montréal (HEC), a expliqué qu’il faut faire usage de tactiques pour faire passer son point de vue auprès des personnes influentes. Savoir décoder notre environnement, savoir écouter, savoir transmettre l’information stratégiquement et, surtout, savoir mettre en valeur nos réalisations au bon moment, figurent au nombre des habiletés politiques que les bibliothécaires-gestionnaires doivent maîtriser. Certaines personnes identifient cela à de la manipulation et de l’hypocrisie, ce que F. Bouchard a pris soin de démystifier de façon humoristique avec des exemples concrets. Il nous a également rappelé l’importance des rencontres et des conversations informelles dans le processus de l’appropriation du pouvoir et de l’influence. Ce dernier point a donné lieu à une vive discussion parmi les participants, certaines bibliothécaires femmes se plaignant de la difficulté d’accéder à ces rencontres informelles avec des responsables – maires, conseillers, directeurs – très souvent masculins. La question de la présence (ou de l’absence) des femmes dans les lieux de pouvoir n’est certes pas limitée au monde de la documentation, mais elle est particulièrement forte dans notre profession très féminisée.

Informer dans le chaos de la société de l’information

Lors de la conférence d’ouverture du congrès, Philippe Le Roux, de la firme Conseil stratégique Internet V(DL)2, nous a encouragés, en nous provoquant, à nous questionner sur la pérennité de notre métier. Allons-nous survivre à l’Internet ? Dans une société où les gens ont de plus en plus accès à de l’information par Internet avec des moteurs de recherche de plus en plus puissants et conviviaux, nous pouvons nous demander à quoi serviront le documentaliste et son catalogue. Cette conférence a suscité des discussions et s’est conclue sur le constat que les professionnels de l’information sont tout de même les mieux placés pour diffuser l’information. À nous de décider de faire notre place dans ce monde et démontrer que nous sommes essentiels.

La révolution Internet

Internet a changé notre manière de travailler, en particulier dans les services de référence, et ce thème a été abordé dans deux ateliers très intéressants. La « révolution Internet » est aussi passée par les bibliothèques. Le premier atelier du congrès consacré à ce thème s’est penché sur l’impact d’Internet sur les bibliothécaires et les clientèles, plus particulièrement la clientèle scolaire. Dans le premier volet, Louiselle Roy, directrice du programme français pour le réseau Éducation-Médias, nous a présenté le site du réseau et le projet Les Cyberbibliothécaires 1. Ce site propose un espace d’échange pour les bibliothécaires francophones, avec des outils d’autoformation, du matériel promotionnel et éducatif, et des informations professionnelles liées à l’utilisation d’Internet (par exemple pour mettre en place une politique d’accès à Internet). Il offre ainsi « des ressources aux bibliothécaires pour sensibiliser le public, les parents et aider les jeunes internautes à adopter un comportement prudent, responsable et avisé » sur le web.

Le deuxième volet de l’atelier fut une présentation par Christian-Marie Pons, professeur à l’université de Sherbrooke, des résultats d’une enquête 2 réalisée dans six pays européens et au Québec en 1998. L’objectif de cette recherche était de dresser le portrait de l’utilisation d’Internet par les jeunes (image, usage et appropriation). Par exemple, on a appris que la majorité des jeunes Québécois utilisent Internet chez eux et que cela ne diminue pas le temps consacré à la télévision. De plus, les jeunes qui utilisent le web à la bibliothèque le font souvent car ils ne l’ont pas chez eux.

Référence virtuelle

Le deuxième atelier était consacré à deux projets de référence virtuelle. Jennifer Trower nous a présenté le service de référence virtuelle d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (équivalent du ministère de l’Agriculture en France). Il est offert depuis 1994, par le biais d’un formulaire électronique 3 secondé par une page de questions types (FAQ) et un répertoire de signets, AgriWeb. L’oratrice nous a fait remarquer que les usagers, habitués à la rapidité du médium, s’attendent à une réponse rapide. Dans ce cas, ils la reçoivent dans les vingt-quatre heures. Elle a également souligné l’évolution du service. Maintenant, au lieu de donner une réponse directe, la bibliothèque propose des ressources où l’usager pourra trouver ses informations. On part du principe qu’un usager ayant fait sa demande via Internet a probablement déjà fait une recherche sur le sujet qui l’intéresse avant de s’adresser au service des renseignements publics du ministère. Fait intéressant : le nombre de demandes de références par Internet n’a pas augmenté de façon significative au cours des dernières années, le téléphone et le télécopieur étant toujours en tête des moyens utilisés par la population. J. Trower a fait valoir l’importance du soutien des responsables pour développer ce type de services. Enfin, notons que ce service fait partie de Référence virtuelle Canada 4, qui fédère des services de référence en ligne au Canada.

Jean-Marc Lynch, du regroupement des Centres régionaux de services aux bibliothèques publiques (CRSBP) Montérégie, nous a présenté, de son côté, Info-Biblio 5, un service de référence accessible à tous les citoyens des municipalités affiliées aux différents CRSBP du Québec. La population peut poser des questions par courriel, téléphone (gratuitement) ou par télécopieur et une réponse lui est acheminée dans les plus brefs délais. Selon J.-M. Lynch, Info-Biblio est en constante évolution, c’est pourquoi de nouveaux services seront bientôt offerts au public comme QuestionPoint (« clavardage », conavigation, etc.) et Sirsi Rooms (salles de références virtuelles). Ce service est apprécié des utilisateurs, mais n’est pas très utilisé. J.-M. Lynch nous a rappelé qu’une publicité est nécessaire, même s’il s’agit d’un service public gratuit. En effet, il ne sert à rien de proposer un produit performant et génial s’il n’est pas utilisé.

Recherches universitaires

Pour finir, ce congrès a donné l’occasion à plusieurs chercheurs de présenter leur sujet d’étude ou leurs résultats. Pierrette Bergeron et Christine Dufour de l’université de Montréal ont étudié la place et les compétences des professionnels de l’information dans les systèmes d’information web (sites web, intranet) mis en place dans des organisations (gouvernement fédéral canadien). Elles soulignent que les documentalistes travaillent avec d’autres catégories de professionnels pour créer ces systèmes, plus particulièrement dans leur conception et leur mise en place. De son côté, Diane Mittermeyer, de l’université McGill, a étudié les connaissances en recherche documentaire des étudiants québécois du premier cycle universitaire 6. Elle a mis en évidence le manque de connaissances des étudiants dans ce domaine et leur besoin de formation à la recherche documentaire. Enfin, Birdie MacLennan, de l’université du Vermont, a présenté une étude comparative sur les bibliothèques publiques du Vermont et du Québec, qu’elle devrait terminer pour l’automne 2004. Cette étude cherche à comprendre le rôle et le fonctionnement de la bibliothèque dans divers contextes culturels.

En conclusion, ce fut un congrès riche en découvertes, en discussions et en rencontres. Et un constat s’est imposé : nous devons travailler pour nous positionner stratégiquement afin de faire reconnaître nos compétences, notre valeur et, finalement, pour pouvoir influencer les décisions importantes de notre organisation, de notre bibliothèque ou de notre centre de documentation.