Bibliothèques publiques et handicap mental

Marie-Hélène Dougnac

L’Association des bibliothécaires français, groupe Île-de-France, et la Bibliothèque publique d’information se sont associées pour proposer, le 5 novembre 2002, une journée d’étude sur ce thème encore trop rarement abordé, « Bibliothèques publiques et handicap mental ». Cette journée a pleinement atteint son objectif, de l’avis de tous les participants : permettre de mieux connaître le handicap mental, afin d’être en mesure d’adapter une offre de services en bibliothèque publique. Le handicap mental désoriente souvent les professionnels, par peur de l’inconnu, par manque de repères, de formation et surtout d’information sur les expériences menées, sur leurs réussites et sur leurs limites. Les actions à destination des publics handicapés mentaux demeurent plus rares que celles en direction de personnes présentant un handicap sensoriel ou moteur.

Définition du handicap mental

La matinée a été consacrée à la définition du handicap et de la maladie mentale, à ses répercussions sur l’autonomie du citoyen, afin de proposer une approche de l’univers de ces usagers-lecteurs. Le docteur Gayda, médecin psychiatre de l’hôpital de jour Georges-Vacola (Paris), s’est tout d’abord attaché à dresser un panorama des diverses pathologies que peut recouvrir la maladie mentale. Il ne s’agit bien évidemment pas de faire des bibliothécaires des spécialistes ; cependant, ce n’est qu’au prix d’une bonne compréhension et évaluation des réactions de l’usager, de ses attentes et des répercussions de la maladie sur le comportement, que la bibliothèque pourra proposer des animations et des documents pertinents. Reprenant la définition de l’Organisation mondiale de la santé, le docteur Gayda a souligné le tournant des années 1980, qui a introduit dans la prise en compte du handicap la dimension sociale, jusqu’alors ignorée. La situation de handicap ou de « désavantage social » peut en effet provenir du regard des autres dans une situation déterminée, de l’impossibilité de s’intégrer dans la société et ses canons de « normalité ». Un débat a agité l’assistance, parmi les représentants d’associations et les représentants du corps médico-social, sur une question de définition, entre maladie et handicap, handicap mental et handicap psychique. La problématique demeure donc sensible, cependant ce débat n’a que peu d’incidence sur notre pratique. Carine Mano (ludothèque d’Issy-les-Moulineaux) a ensuite présenté l’expérience dans laquelle s’est lancée la ville et dont la bibliothèque a été partie prenante : la mise en place d’un nouveau pictogramme d’accessibilité. Cette initiative de l’Unapei 1, avec de nombreux partenaires (Unafam, Agence nationale de lutte contre l’illettrisme…), avec la création du pictogramme S3A (accueil, accompagnement, accessibilité) validé par l’Afnor, tend à signaler les lieux publics qui ont une politique volontariste à destination des usagers ayant des difficultés de communication, de lecture ou de localisation. Carine Mano a souligné combien cette expérience avait été bénéfique au niveau de l’équipe, en ayant des répercussions sur la qualité de l’accueil et la capacité d’acceptation de tous les publics et de la différence, qui est alors perçue différemment. Stéphanie Schulze (art-pédagogue de l’Unité de recherche et de formation neuro-pédagogique de Choisy-le-Roi) a conclu magistralement la matinée, en resituant toutes les implications et les enjeux des animations autour de l’écrit et de l’art en général, pour les personnes présentant des troubles mentaux. Mots, illustrations et images mentales sont associés, au fil des séances, ce qui tend à générer un lien entre la langue et l’écrit, en faisant manier l’objet livre, en montrant comment les illustrations renvoient au texte, à des mots et constituent des repères. Elle a souligné toute la spécificité du rapport qui se noue entre l’usager et le livre et a insisté sur les notions de temps et de répétition.

Formation et nouvelles technologies

L’après-midi se voulait plus ancrée dans la réalité de terrain, avec les expériences de deux bibliothèques, tout en mettant l’accent sur l’apport des nouvelles technologies de la communication. Ainsi, Martine Corrèze et Edmée Hengy (bibliothèque municipale de Belfort) ont présenté leur action d’animation au niveau de la discothèque. Elles ont souligné la richesse, la complicité et les grandes satisfactions qu’apportent les échanges qui se nouent au fil des rencontres programmées, avec des jeunes et des adultes polyhandicapés, souvent lourdement, dont c’est parfois l’unique sortie en dehors de l’institution qui les prend en charge. Mais elles ont également mis en évidence la solitude par rapport au reste de l’équipe, la difficulté de se renouveler et l’énergie créative que requièrent ces animations, ainsi que leur manque de formation et de soutien pour gérer une relation où l’implication affective surgit très vite. La salle a vivement réagi en ce sens, en mettant en relief la nécessité impérative d’une formation professionnelle – seule garante de la distanciation et du professionnalisme nécessaires – et d’une gestion collective au sein des équipes, comme c’est le cas par exemple pour l’accueil en général. Les ateliers multimédias de la bibliothèque de Melun, avec l’intervention d’Anne-Laure Royer et de Céline Mangin (CAT 2 de Germenoy), illustrent un partenariat riche entre deux institutions et une parfaite collaboration entre les deux responsables. Les groupes, constitués de personnes déficientes intellectuelles légères ou psychotiques, avec ou sans troubles du comportement, peuvent être reçus dans le cadre de la bibliothèque, alors que celle-ci est ouverte au public, ce qui permet une socialisation accrue et une plus grande appropriation du lieu et de son contenu, selon les goûts et possibilités de chacun. Anne-Laure Royer a souligné le facteur déterminant de la formation reçue – avec un stage de formation continue Enssib sur l’accueil et l’offre de services à destination des personnes handicapées et un stage pratique à la bibliothèque municipale de Troyes – dans la gestion de ce service. Enfin, François Barissat (Unapei) a présenté les règles de communication orale qu’il était indispensable de prendre en compte pour accueillir des personnes handicapées mentales 3. Il a souligné l’importance des « technologies de l’information et de la communication aidée » (Tica), programme sur lequel travaille l’association, afin de faciliter l’accès à la communication, écrite pour ceux qui le peuvent, ou par le biais de pictogrammes et de systèmes sonores. La conclusion des débats a mis en relief le travail encore insuffisamment mené avec les autorités de tutelle (que ce soit au niveau de la bibliothèque ou de l’institution médico-sociale) et l’importance de concevoir des projets d’accueil de groupes, mais également de prévoir une possibilité d’accueil ultérieur individuel, dans lequel la personne handicapée mentale sera actrice. Une demande très forte de sensibilisation et de formation des professionnels 4 à l’accueil et à la médiation auprès des personnes présentant des troubles psychiques, ainsi que d’un lieu ou d’un moyen d’échange d’expériences, a été le fil conducteur des interventions et des débats.

  1. (retour)↑  Union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés.
  2. (retour)↑  Centre d’aide par le travail.
  3. (retour)↑  L’Unapei a publié un Guide pratique de la communication aidée que l’on peut se procurer au siège de l’association.
  4. (retour)↑  L’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib) a engagé une politique de formation initiale et continue sur la problématique de l’accès à l’information pour les publics handicapés, depuis 2001. Un stage de formation continue, du 2 au 4 juin 2003, abordera « l’édition adaptée : quelles collections constituer pour les publics handicapés ? ». Voir : http://www.enssib.fr