Editorial
Anne-Marie Bertrand
Dans ce numéro, Dominique Arot explicite les conditions nécessaires à l’existence d’un réseau dans le domaine de la documentation : une carte documentaire, des outils collectifs, la formalisation des relations entre partenaires et des bibliothèques dotées d’assez de moyens pour enrichir le réseau. Ajoutons, condition sine qua non, une ferme volonté politique – « Dans tous les cas (BM, BDP et SCD), on voit que les obstacles à la coopération sont de moins en moins techniques (les outils existent et se perfectionnent), mais bien évidemment politiques », souligne Jean-Claude Groshens (Rapport du président du CSB, 1998-99).
L’amélioration de la situation des bibliothèques en France, tant du côté de l’enseignement supérieur que des bibliothèques de lecture publique, sans oublier, évidemment, la Bibliothèque nationale, nous laisse augurer un avenir positif en termes de réseau. À deux réserves près.
D’une part, la « bibliothécarisation » de la société, la possibilité d’accéder à une immense bibliothèque toujours disponible, jette un doute sur les objectifs réels d’un réseau cohérent : sont-ils, encore aujourd’hui, de localiser un document et de pouvoir y avoir accès ? Ne sont-ils pas, plutôt, de partager les compétences, les expertises, les services rares, les propositions dévoreuses de temps et d’énergie ?
D’autre part, l’organisation raisonnée, structurée, du territoire n’est-elle pas inachevée ? Le réseau des bibliothèques de l’enseignement supérieur, arrivé à maturité, dispose d’outils coopératifs cohérents : le Sudoc, les Cadist, les pôles associés de la BnF, le Dépôt légal et le consortium Couperin – liste avancée par Claude Jolly, à laquelle on pourrait ajouter l’habitude et le besoin de travailler ensemble, une « culture du réseau » enracinée dans la communauté scientifique. Mais, on le sait, les bibliothèques publiques, aux tutelles multiples par essence, n’ont pas ce coordinateur, ce moteur qui encourage ou produit des établissements structurants, des outils communs et une culture du réseau.
En ont-elles besoin ? En somme, par la grâce, une nouvelle fois, d’Internet, les bibliothèques peuvent-elles faire l’économie de cette coordination, de cette mise en cohérence, de cette organisation ? Non.
Certes, une offre territorialisée (uniquement organisée sur/pour un territoire) resterait aveugle aux nouvelles ressources documentaires, et ainsi obsolète : mais elle a à répondre aussi aux attentes et besoins de base, de proximité, d’information, de partage du savoir et de convivialité d’une grande partie de la population. Elle se doit donc d’être équitable – et donc, nécessairement, organisée.