Les nouveaux locaux de la Bibliothèque des femmes de Londres

Gernot U. Gabel

La Bibliothèque des femmes 1 a rouvert ses portes au printemps dernier dans le centre historique de Londres. Elle possède la collection documentaire la plus complète sur l’histoire des femmes en Grande-Bretagne.

Sa création remonte à 1926, année où la London Society for Women’s Service (fondée en 1867) mit un premier fonds d’ouvrages à la disposition de son public. Cette association avait elle-même vu le jour à la faveur du mouvement des suffragettes dont les revendications furent satisfaites en 1918, lorsque le Parlement vota une loi accordant le droit de vote aux femmes. Abritée des années durant dans des locaux malcommodes (il lui arriva même d’être installée dans un ancien pub), cette bibliothèque n’en était pas moins fréquentée par des féministes célèbres comme Vera Brittain ou Virginia Woolf. Ses collections de livres, de brochures et de souvenirs s’étoffèrent peu à peu et, au milieu des années 1950, elle fut rebaptisée « Bibliothèque Fawcett » en hommage à Millicent Fawcett (1847-1929), militante inlassable de la cause des droits des femmes. En 1977, la Bibliothèque Fawcett fut associée au London Polytechnic (devenu depuis la London Guildhall University) .

Les locaux

Elle fut alors installée au sous-sol d’une des résidences universitaires situées entre les quartiers délabrés de l’East End et le secteur convoité de la City. La pièce aveugle qu’elle y occupait pouvait accueillir quinze lecteurs au plus et les néophytes ne la trouvaient qu’au terme d’une longue errance dans les couloirs. Ce local, qui plus est, n’était pas à l’abri d’un dégât des eaux. À plusieurs reprises, il fut endommagé par la pluie ou même par des ruptures de canalisations, si bien que l’humidité ambiante menaçait sérieusement les collections d’imprimés. Après que le troisième épisode de ce genre eut obligé la bibliothèque à fermer pendant six mois, l’université décida de la reloger ailleurs, afin de garantir sa survie matérielle.

Les « nouvelles » universités britanniques étant loin d’être des institutions riches (contrairement aux « vieux » collèges d’Oxford et de Cambridge), il fallait réunir des fonds en conséquence. Les amis et les lecteurs de la Bibliothèque Fawcett furent sollicités, de même que les donateurs de l’université et des entreprises ayant leurs sièges dans le Londres intra muros. Betty Boothroyd, première femme à occuper le prestigieux poste de Speaker à la Chambre des Communes, voulut bien soutenir l’opération. La bibliothèque définit alors un plan d’action qui incluait notamment l’expertise de ses collections et qui lui servit à appuyer la demande de financement qu’elle adressa à la Caisse de la loterie nationale.

En 1995, la Guildhall University acheta l’emplacement d’un ancien lavoir du XIXe siècle. La demande de subvention à la Caisse de la loterie fut déposée l’année suivante. Deux ans plus tard, le projet bénéficiait d’une dotation de quatre millions deux cent mille livres, destinée à financer en partie la construction du bâtiment dont le coût avait été estimé à six millions neuf cent mille livres. Le reste de cette somme fut avancé par des organismes publics d’urbanisme (London Development Agency et Cityside Regeneration), la Commission de financement de l’enseignement supérieur et des donateurs privés.

Du lavoir victorien bâti en 1846, il ne reste aujourd’hui que la façade. Le reste de la structure a été démoli pour permettre l’édification de la nouvelle bibliothèque, confiée au grand cabinet d’architectes Wright & Wright qui a conçu un bâtiment multifonctionnel avec des salles de cours et de conférences, un espace modulable pour le travail en groupe, une salle d’exposition et un café. Il est également prévu d’y installer une librairie. La sévérité de l’aspect extérieur est démentie, sitôt franchi le seuil, par l’imposante harmonie du cadre intérieur où la brique se mêle à la pierre et le cuivre au chêne. L’inauguration, plusieurs fois repoussée, fut enfin célébrée en grande pompe le 4 février 2002.

Les collections

Les collections actuelles s’organisent autour du fonds d’ouvrages riche de 60 000 volumes, dont le plus ancien a été publié en 1632. Parmi les nombreux joyaux qu’elles recèlent, il faut notamment mentionner des conseils édités au XVIIe siècle sur le lavage des bas en soie, le manuscrit de l’essai de Mary Wollstonecraft, Vindication of the Rights of Women (1792), des livres de cuisine du XIXe siècle, des revues de mode des années 1920, et des publications féministes plus contemporaines comme Spare Rib ou Bitch. La bibliothèque possède plus de 2 400 titres de périodiques couvrant les domaines les plus divers, des magazines féminins grand public aux revues universitaires. Ses collections spécialisées regroupent près de 350 dossiers d’archives correspondant à des documents personnels de diverse nature, des rapports de sociétés savantes, des projets d’histoire orale. On trouve parmi eux les noms d’Elsa Frankel (artiste), Betty Vernon (écrivain), Harriet Martineau (écrivain), Gertrude Leverkus (architecte) ou Elaine Showalter (universitaire). Il faut également signaler l’existence de fonds très riches de photographies, d’affiches, de cartes postales et autres documents iconographiques. Si cet ensemble documentaire fait la part belle à l’histoire britannique, des sections importantes sont par ailleurs consacrées aux pays du Commonwealth et aux États-Unis d’Amérique.

Au nombre des acquisitions récentes figurent une collection de livres dédicacés par Muriel Spark, un manuscrit de Barbara Cartland et un tee-shirt de Dawn French. Parmi les objets conservés au titre de souvenirs, se trouve un petit porte-monnaie particulièrement précieux : il appartenait à Emily Davison, qui, alors qu’elle manifestait pour le droit de vote des femmes lors du Derby de 1913, mourut sous les sabots du cheval du roi. Le dernier en date des projets de la bibliothèque porte sur la conservation et l’exposition des étendards richement ornés que les femmes brandissaient lorsqu’elles défilaient dans les rues.

S’ouvrir au grand public

La Bibliothèque des femmes se veut ambitieuse. Le personnel à plein temps est passé de sept à dix-huit employés, progression qui pèse lourdement sur le budget de fonctionnement. La campagne lancée pour réunir les crédits nécessaires a, à ce jour, permis de recueillir un demi-million de livres. En fait, la bibliothèque doit s’autofinancer à 45 % ; le reste de ses revenus est assuré par la Guildhall University, comme prévu par les conditions d’octroi de la subvention prélevée sur la Caisse de la loterie nationale.

Depuis sa réouverture, la Bibliothèque des femmes est dirigée par Angela Byatt (fille de la romancière A.S. Byatt), qui souhaite à la fois en élargir les attributions et en rénover l’image en la plaçant sur un créneau culturel qui ne la réserve pas exclusivement aux universitaires et aux chercheurs. Ses services et ses collections bénéficient en conséquence d’une publicité importante ; ce sont des considérations du même ordre qui ont conduit à rebaptiser « Bibliothèque des femmes » l’ancienne Bibliothèque Fawcett.

Un des temps forts de sa première année de fonctionnement est l’exposition « Cooks and Campaigners » (Cuisinières et militantes), qui couvre des thèmes aussi divers que la cuisine, le travail, la santé, le droit, la mode, la vie quotidienne. Sa « marraine » la plus en vue est sans conteste Cherie Booth, éminente avocate dont le mari n’est nul autre que le Premier ministre Tony Blair. Avec ce type de manifestations propres à séduire le grand public, la Bibliothèque des femmes espère échapper au sort qu’ont connu les cafés et les librairies de femmes, qui pour beaucoup ont fermé ces dernières années. Le pari, jusqu’à présent, est réussi : le nombre des visiteurs est trois fois plus important que par le passé.