Droit de copie et droit d'auteur :
Leur application dans les bibliothèques britanniques et françaises
Anne-Marie Quatrehomme
Les 6 et 7 septembre 2001 ont eu lieu à Bordeaux les Rencontres franco-britanniques, organisées par la section Étude et recherche de l’Association des bibliothécaires français (SER/ABF), en coopération avec des bibliothécaires britanniques de University College and Research Group de la Library Association (UCR/LA). L’organisation locale, assurée de façon exemplaire par le groupe ABF-Aquitaine, avait permis de réunir une soixantaine de bibliothécaires britanniques et français sur le thème du droit de copie et droit d’auteur, et de leur application dans les bibliothèques britanniques et françaises, à la lumière des directives européennes et des régulations internationales.
En Grande-Bretagne et en France
C’est avec l’état et l’analyse de la question du copyright et du droit d’auteur en Grande-Bretagne et en France que débutèrent les travaux. Judy Watkins, du British Library Copyright Office, exposa les aspects du droit coutumier anglo-saxon – bien différent du droit français –, qui accorde davantage de place à l’éditeur qu’à l’auteur. En Grande-Bretagne, les bibliothèques bénéficient de privilèges reconnus par le « Copyright, Design and Patent Act » de 1988, loi qui leur assure, entre autres, des exceptions (privileges) en matière de copie pour leurs lecteurs, pour d’autres établissements ou pour la conservation. Son intervention se termina sur le copyright et les documents numériques : en effet, même si, de par la loi, ces derniers bénéficient des mêmes protections que les documents papier, leur accès est négocié par le biais de licences qui contiennent des clauses bien précises. Dans ce domaine, les bibliothécaires britanniques souhaitent vivement que toutes leurs interrogations soient résolues par une nouvelle législation.
Qu’en est-il en France ? Emmanuel Pierrat, avocat au barreau de Paris et auteur de la chronique judiciaire de Livres Hebdo, a rappelé les grands principes du droit d’auteur de ce pays ; à la différence du droit anglo-saxon, l’acteur incontournable du droit d’auteur reste l’auteur. Insistant surtout sur les implications du droit d’auteur dans les bibliothèques, il s’est appliqué à montrer que les professionnels n’ont pas suffisamment fait le point sur cette question. Les problèmes sont donc à venir en matière de prêt, de numérisation et de mise en ligne, de copie privée et de transactions en ligne : les bibliothécaires français doivent rester vigilants et se prémunir pour survivre.
Quant à l’aspect international du droit d’auteur, Françoise Danset, de la bibliothèque départementale de prêt des Bouches-du-Rhône, en a fait une très bonne synthèse : depuis la première Convention de Berne de 1886 jusqu’à la Directive européenne du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information 1, relatant le rôle joué par EBLIDA (European Bureau of Library, Information and Documentation Associations) et l’IFLA tout en regrettant le peu de moyens dont disposent ces instances : faudrait-il instituer une « International Court of Copyright », telle que Debby Shorley (University of Sussex) l’a suggéré ?
Le droit d’auteur dans les bibliothèques
Le deuxième volet de ce congrès a porté sur l’action des professionnels des bibliothèques en matière de droit d’auteur. Barbara Stratton, de la Library Association, a rendu compte de l’intense mobilisation des bibliothécaires britanniques lors de la préparation à Bruxelles de la Directive. Ces bibliothécaires ont suivi chaque étape de la naissance de la directive la plus controversée de toute l'histoire de l'Union européenne, et surtout, les professionnels de l’information ont œuvré au sein de la Library Association Copyright Alliance (LACA) en Grande-Bretagne. Au niveau européen, cette action a été menée au sein d’un regroupement de plusieurs associations dans le cadre de l’EFPICC (European Fair Practices in Copyright Campaign), dont EBLIDA, autre association très active, est membre. De plus, Barbara Stratton a présenté l’intense travail de lobbying effectué auprès des parlementaires britanniques (élus à l’échelon britannique et européen), au moyen du courrier électronique et de listes de discussion.
Au niveau français, Yves Alix, des bibliothèques de la ville de Paris, a montré la lenteur de la mobilisation et de la réaction des associations : cependant, l’ABF, l’ADBS (Association des professionnels de l’information et de la documentation), l’ADBDP (Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt), l’ADBU (Association des directeurs de bibliothèques universitaires et de la documentation) et la FFCB (Fédération française de coopération entre les bibliothèques) ont pu arrêter une position commune en mars 1998 et manifester leur inquiétude devant la proposition de directive. Par l’intermédiaire de leurs experts (dont successivement Françoise Danset et Claudine Belayche pour l’ABF), ces cinq associations, toutes membres d’EBLIDA, en ont minutieusement analysé la version définitive. La liste de discussion biblio-fr a également bien fonctionné.
Cependant, les professionnels français ont eu beaucoup de mal à se mobiliser, à engager des actions de lobbying auprès des élus et à faire des propositions : est-ce là le poids des traditions ou le résultat de la complexité du problème dont les enjeux liés au numérique sont mal compris par la majorité des bibliothécaires ? Le Conseil supérieur de la propriété intellectuelle, créé en mai 2001, qui ne comprend aucun représentant des bibliothèques et qui est, entre autres, chargé de la préparation de la transposition de la Directive en droit français pour décembre 2002, va-t-il mobiliser les professionnels de l’information ? Yves Alix a conclu sur la nécessité d’une loi sur les bibliothèques et sur la poursuite d’une action militante nationale et internationale des bibliothécaires.
De façon très concrète, Elizabeth Gadd (Loughborough University) a montré les effets du copyright dans la gestion quotidienne de la bibliothèque. Une analyse des questions posées par les bibliothécaires britanniques par le biais de la liste de discussion Lis-Copyseek lui a permis de constater que le problème récurrent était le droit de copie : que peut-on ou que ne peut-on pas copier ? La deuxième partie de son intervention, fondée sur une étude menée dans les bibliothèques du Royaume-Uni, a récapitulé toutes les tâches à accomplir pour obtenir l’autorisation de copier : depuis la recherche du détenteur de droit d’auteur jusqu’au paiement de ses droits, ce dossier était très instructif et très exhaustif.
Anne Dujol a ensuite pris le relais pour analyser le « photocopiage » dans les universités françaises. Elle a bien insisté sur la distinction à faire entre copiage et pillage. Depuis la création du Centre français d’exploitation du droit de copie en 1985, jusqu’à l’accord avec la Conférence des présidents d’université et avec les instituts universitaires de formation des maîtres, les droits de reprographie en France, leurs conditions juridiques et financières ont évolué. Cet exposé, très bien étayé par un certain nombre de statistiques actuelles et prévisionnelles, s’est terminé sur des questions fort préoccupantes : le droit français va-t-il continuer à privilégier l’auteur ? La France saura-t-elle se doter d’une loi sur les bibliothèques afin de respecter droit d’auteur, droit des usagers et nécessité du service public ?
Pour clore cette première journée de travail franco-britannique, Rina Pantalony, avocate d’origine québécoise, spécialiste en propriété intellectuelle, a retracé, avec grande clarté et grande vivacité, l’historique du copyright au Canada : tiraillé entre ses racines britanniques et françaises et influencé par la législation américaine, le droit canadien établit un certain équilibre entre auteur et usager. Rina Pantalony pense cependant qu’en raison de l’information numérisée et de toute la protection juridique qui l’entoure, l’usager aura un accès moindre à l’information, illustrant son propos par le célèbre procès opposant MP3.com à Napster.
Les partenaires des bibliothèques
La seconde journée de ces rencontres a été l’occasion pour les partenaires des bibliothèques de prendre la parole. Ainsi François Gèze, des Éditions La Découverte, a-t-il présenté le point de vue des éditeurs français, très soucieux de faire respecter le droit d’auteur. Il a surtout insisté sur les débats en cours : le droit de prêt, le droit de reproduction des œuvres numérisées, les panoramas de presse en intranet et les bibliothèques virtuelles. Quant à Jean-Pierre Sakoun, de Bibliopolis, il a défini la place et le rôle des fournisseurs de données électroniques qui ne sont ni éditeurs ni distributeurs. Après avoir présenté les contenus qu’un tel fournisseur peut offrir aux bibliothèques et aux universités, il a posé la question des droits et du rôle des bibliothèques pour assurer au monde universitaire un accès électronique à l’information.
Le volet final de cette journée a été consacré aux problèmes spécifiques posés par les documents numériques. Et c’est l’expérience britannique que Toby Bainton (Society of College, National and University Libraries) s’est appliqué à décrire : la solution coopérative de négociation et de rédaction de licence utilisée par les bibliothèques britanniques rassemblées en consortium. Sur ce même thème, Helen Pickering (University of Stirling) a fait part du projet HERON (Higher Education Resources On-demand), initié en 1998 entre les universités de Stirling, Napier, South Bank et Blackwells. Cette initiative, dont elle est responsable, a d’abord eu pour but de recenser toutes les questions relatives à la numérisation de l’information dans l’enseignement supérieur britannique, et surtout, de trouver des réponses aux questions de droit d’auteur qui se posent aux bibliothèques. Ce projet très novateur devait aboutir à une expérimentation de paiement de droit dans un environnement numérisé, fin 2001 : son développement sera donc à suivre avec attention et pourrait peut-être servir de modèle pour faire évoluer la situation en France.
Les participants à ce congrès ont donc bien réalisé que copyright et droit d’auteur pouvaient revêtir des réalités bien différentes en Grande-Bretagne et en France. La législation européenne et l’accès à l’information numérisée sont venus opacifier un peu plus toutes ces questions. Mais les bibliothécaires se doivent de rester en alerte, de défendre leurs missions et de constituer une force de propositions efficace.
Ces très riches journées passées à Bordeaux ont vraiment constitué une réponse créative à un besoin d’échanges professionnels et de confrontation européenne, humaine et chaleureuse. Souhaitons donc que cette coopération franco-britannique se maintienne et se développe afin de nous retrouver très nombreux à Brighton (Sussex) : Debby Shorley nous accueillera dans son établissement pour le prochain congrès en 2003.