La documentation numérique
Concurrences et rivalités
L’arrivée du web, en favorisant le passage du document papier au document numérique, a provoqué de nombreuses remises en cause dans l’exercice des métiers de la gestion de l’information. L’intermédiation, notamment, est sérieusement contestée. Éditeurs, libraires, bibliothèques, bases de prépublications entrent en concurrence. L’augmentation démesurée du prix des revues et les interrogations sur la disponibilité des périodiques à terme sont des facteurs de crispation des acteurs. Il s’agit pour les bibliothèques d’éviter les rivalités stériles et de privilégier la coopération afin de poursuivre leurs missions en profitant des opportunités offertes par les nouvelles technologies.
The arrival of the Web, by making possible the transfer of paper documents to digital documents, has triggered off numerous challenges in exercising information management skills. Intermediation in particular is seriously contested. Publishers, booksellers, libraries, prepublication databases are all entering into competition. The excessive increase in the price of journals and questions about the eventual availability of periodicals are causes of dissension among the parties involved. Libraries must avoid sterile rivalries and favour cooperation in order to pursue their missions by taking advantage of the opportunities offered by the new technologies.
Da das Web den Übergang von Papier- zu digitalen Dokumenten fördert, hat es seit seinem Aufkommen die Ausübung der am Informationsmanagement beteiligten Berufssparten mehrfach in Frage gestellt. Besonders die Informationsvermittlung ist stark umstritten. Verlage, Buchhandlungen, Preprint-Datensammlungen und Bibliotheken treten miteinander in Konkurrenz. Die ausserordentliche Erhöhung der Preise von Zeitschriften und Fragen zum Thema des langfristigen Zugangs zu Zeitschriften sind Faktoren, die alle Beteiligten beunruhigen. Was die Bibliotheken betrifft geht es darum sterile Rivalitäten zu vermeiden und eine Zusammenarbeit anzustreben, die es ihnen erlaubt ihre Aufgaben zu erfüllen, indem sie aus den Möglichkeiten der neuen Technologien einen Nutzen ziehen.
La llegada de la web, al favorecer el paso del documento papel al documento numérico, ha provocado numerosos cuestionamientos en el ejercicio de los oficios de la gestión de la información. La intermediación, en particular, está seriamente contestada. Editores, libreros, bibliotecas, bases de prepublicaciones entran en competencia. El aumento desmesurado del precio de las revistas y las interrogaciones sobre la disponibilidad de los periódicos son a la larga factores de crispación de los actores. Se trata para las bibliotecas de evitar las rivalidades esteriles y privilegiar la cooperación con el fin de proseguir sus misiones aprovechando de las oportunidades ofrecidas por las nuevas tecnologías.
L’arrivée d'Internet, ou plutôt le développement du web à partir de la disposition du navigateur Mosaic, a provoqué dès 1993, chez ses premiers acteurs, cette interrogation : « évolution ou révolution ? ». Pourtant, ils étaient certainement loin d’imaginer toutes les modifications que ces nouvelles technologies allaient entraîner dans le monde de la gestion de l’information.
La naissance d’une technologie provoque au moins deux phénomènes parallèles. D’une part, les spécialistes de celle-ci se sentent capables d’accomplir un service auparavant assuré par un corps de métier traditionnel. D’autre part, des métiers voisins profitent de l’opportunité de cette nouveauté pour raccourcir leur propre chaîne de travail en exécutant eux-mêmes ce qui était précédemment effectué par d’autres. Ce faisant, tous négligent, dans ces deux modes de concurrence, le savoir-faire professionnel qui s’est affiné au fil du temps, qui a été transmis, appris, et qui reste nécessaire même lorsque les outils changent. La maîtrise d’une technologie ne remplace pas le métier.
Une période de transition
Ces rivalités ont été largement favorisées par l’apparition du web : en facilitant l’accès au « réseau des réseaux », qui avait supprimé les barrières du temps et de l’espace, il a accentué le passage du document papier au document numérique. Tous les acteurs semblent y trouver de nouvelles pratiques, de nouveaux usages servant leurs intérêts. Chaque individu ayant quelque talent informatique, à défaut de celui d’auteur, peut mettre ses œuvres à la disposition du monde entier. C’est la suppression des intermédiaires, comité de lecture, éditeur, imprimeur, libraire, bibliothécaire, etc. : le rêve du passage direct du producteur au consommateur. Les éditeurs pensent que le plus sûr moyen de vendre leurs produits est de s’adresser directement au lecteur final, se dispensant ainsi des libraires, des agences d’abonnement et des bibliothèques. Le lecteur, ravi de pouvoir diminuer ses déplacements, croit disposer, à tout moment, sur son ordinateur, chez lui ou sur son lieu de travail, d’une gigantesque bibliothèque universelle. À côté de cette utopie de la désintermédiation, d’autres phénomènes sont apparus. La distance abolie, le public d’une bibliothèque offrant des ressources numériques ne se limite plus à des lecteurs de proximité mais s’ouvre à un public géographiquement très large.
Chaque bibliothèque entre en concurrence avec d’autres établissements à travers le monde. Les documents papier sont délaissés par les lecteurs au profit des documents numériques. Les bibliothèques consacrent donc des moyens financiers et humains au traitement des ressources numériques. Il y a choix, et donc concurrence, sur la répartition de ces moyens. Les bibliothèques numérisent certains de leurs documents... et deviennent éditeurs. Nous pourrions aisément poursuivre cette liste des concurrences existantes ou à venir. Ces très nombreuses remises en question font vivre à notre « société de l’information » une période d’incertitude pour de nombreux métiers. C’est une période de transition, période de concurrence dynamique où les frontières évoluent sans cesse. Il serait difficile d’aborder dans le détail toutes ces évolutions, qui sont loin d’être rectilignes. Un simple article n’y suffirait pas. C’est pourquoi nous préférons aborder quelques aspects plus en profondeur.
Les bibliothèques face aux bases de publications et aux éditeurs
Dans les « collèges invisibles », les chercheurs sont progressivement passés de l’envoi de projets d’articles par courrier postal à l’utilisation de la messagerie électronique, puis, afin de diminuer le transfert de fichiers sur les réseaux, au dépôt de ces prépublications dans un répertoire informatique, accessible à tous. Les chercheurs désirant consulter ces documents peuvent aller les copier. Les bases de prépublications ainsi formées se sont peu à peu améliorées, bénéficiant d’une ergonomie plus adaptée des outils d’accès et du regroupement éventuel pour une même discipline des publications de plusieurs laboratoires. Nous avons là l’exemple d’une nouvelle édition-diffusion qui permet d’assurer la communication scientifique. Dans ce monde où tous désirent que tout se fasse très vite, le temps écoulé entre la soumission d’un article et sa publication paraît bien long comparé à l’instantanéité de la mise à disposition de ce même article par l’intermédiaire du web.
Parallèlement, les éditeurs de périodiques scientifiques ont continué d’augmenter leurs prix dans des proportions sans commune mesure avec l’accroissement des budgets des bibliothèques. Les périodiques, en passant du papier au numérique, n’ont pas amélioré la diffusion des connaissances scientifiques, car les tarifs pratiqués par les éditeurs et les contrôles d’accès sont autant de nouveaux obstacles 1.
Les bibliothèques se trouvent contraintes à acheter de moins en moins de revues. Les chercheurs privilégient de plus en plus les bases de prépublications libres d’accès et gratuites. D’une manière abrupte, on peut constater que la transmission de la connaissance ne passe plus par l’intermédiaire des périodiques, qui ne servent qu’à assurer la notoriété des chercheurs et à en permettre l’évaluation. De nouveaux acteurs tels que SPARC 2 ou HighWire Press 3 font leur apparition, provoquant la naissance de nouvelles revues savantes numériques, ou permettant à de petits éditeurs de passer au numérique pour leurs périodiques. Ces deux initiatives, parmi d’autres, comme naturellement les bases de prépublications, l’autopublication, les sites web spécialisés, entrent en concurrence avec les productions des grands éditeurs commerciaux.
Ces derniers ont tenté d’obtenir que les auteurs suppriment des bases de prépublications les articles publiés. Mais une grande majorité de chercheurs considèrent qu’ils ont le droit de diffuser librement le résultat de leur recherche, même après cession explicite du copyright. Ils sont soutenus en cela par des juristes (le développement de leurs arguments dépasse le propos de cet article). L’objectif de la plupart des créateurs de bases de prépublications comme en France, le CCSD 4 n’est cependant pas de voir disparaître les revues avec évaluation par les pairs ; celles-ci gardent un rôle important dans le processus éditorial des sciences. Le mouvement des archives ouvertes veut permettre aux chercheurs de pouvoir continuer à avoir accès gratuitement à leurs articles, pour lesquels ils ne bénéficient d’aucune rémunération spécifique. L’OAI, Open Archives Initiative 5, se concrétise peu à peu. La proposition est faite aux bases de prépublications d’adopter un modèle de notice minimale et des normes communes. L’accès à leurs catalogues permettra d’échanger les données sans véritables modifications locales.
Par ailleurs, les bibliothèques se trouvent en concurrence avec d’autres acteurs fournissant également un accès aux revues sous forme numérique. Sans entrer dans le détail des différentes organisations, nous pouvons citer : les éditeurs qui proposent directement leurs revues ; les services intermédiaires qui créent des sites passerelles donnant accès aux périodiques de différents éditeurs ; les producteurs d’informations secondaires qui, grâce aux systèmes d’accès mis en place sur le web, lient leurs bases bibliographiques au texte intégral des articles.
Une autre préoccupation est de pouvoir continuer à consulter les numéros anciens, puisque l’abonnement à une revue, en passant du papier à l’électronique, a transformé la possession d’un objet en un simple droit de consultation.
Pour convaincre les éditeurs de renoncer à leurs droits sur les articles ayant plus de six mois ou un an d’ancienneté, de nombreux chercheurs se sont joints à la pétition lancée par The Public Library of Science (PLS), et ont menacé de boycotter les revues qui refuseraient. Leur objectif est de permettre la constitution de bases d’archives centralisées en libre accès. Certains éditeurs fournissent l’accès aux périodiques, même après arrêt de l’abonnement, pour les années souscrites. Des intermédiaires tels OCLC 6 proposent des offres d’archivage. JSTOR 7 a entrepris de numériser des revues savantes fondamentales. Il est essentiel que les documents numériques puissent être conservés dans un lieu indépendant des éditeurs, des auteurs et de leurs organismes d’affiliation, si l’on ne veut pas craindre de mettre en danger dans le futur la préservation du patrimoine scientifique et culturel. Celle-ci a été jusqu’à maintenant une mission traditionnelle des bibliothèques.
En fait, dans cette rivalité avec les éditeurs, deux mouvements principaux s’expriment. D’une part, les chercheurs qui tiennent à avoir accès librement aux connaissances scientifiques afin de pouvoir exercer efficacement leur métier. Certains chercheurs, cependant, envisageraient bien de se dispenser des bibliothèques. D’autre part, il y a les bibliothécaires. Ceux-ci critiquent vivement les tarifs pratiqués par les éditeurs de revues, qui les obligent à diminuer le nombre de leurs abonnements. Les éditeurs, quant à eux, se passeraient bien des bibliothèques dont le « défaut » est de mettre gratuitement à disposition ce qu’eux-mêmes vendent... cher. Depuis de nombreuses années, les bibliothèques ont cherché à mettre à la disposition de leurs utilisateurs, en complément du fonds d’ouvrages et de périodiques, des rapports de recherche de diverses origines sur support papier. Il semble logique que le même service puisse continuer d’être fourni sous la forme numérique. Mais pourquoi les bibliothécaires deviendraient-ils éditeurs ? La bibliothèque avait pour mission de fournir des documents d’origines diverses à une population déterminée. En devenant éditeur, elle propose des documents d’origine déterminée à une population indéfinie. Elle inverse son rôle [19 ; 20]. Voulant conjuguer les deux charges, elle offre deux types de service en concurrence. Est-ce la mission d’une bibliothèque, d’un centre de documentation de faire de la PAO (publication assistée par ordinateur), de l’accompagnement à la réalisation de documents, de définir des présentations et la typographie ? Il existe encore dans certains lieux des presses universitaires ou des services d’édition d’organismes dont c’est le métier.
Les bases de prépublications se sont dans un premier temps passées des compétences documentaires, mais elles perçoivent qu’il ne suffit pas de stocker une grande masse de documents pour permettre d’en profiter aisément. Une indexation auteur ne suffit pas, et l’addition de mots-clés est envisagée. Le fait qu’un signalement doive accompagner une publication numérique ne justifie pas de confondre bibliothèque et service d’édition. Les bibliothécaires-documentalistes ont à apporter leur savoir-faire pour maîtriser ces grandes bases d’information, mais éventuellement dans un autre cadre que celui des bibliothèques.
Bibliothèques, portails, services de références
La mission d’une bibliothèque est de fournir un accès à l’information libre et égal pour tous, de promouvoir la connaissance artistique, scientifique et technique. Ce qu’elle doit proposer, aujourd’hui comme hier, ce sont des documents, de l’information. Sur le web, les portails identifient, mettent des liens (au lieu d’acquérir), traitent, rendent l’information plus facilement accessible. N’est-ce pas là une voie pour l’avenir numérique des bibliothèques ? Sélectionner des sources, les analyser, les indexer, les regrouper par thème, pour constituer une collection, correspond bien au savoir-faire des bibliothécaires [15 ; 21]. C’est un de leurs atouts spécifiques. Ils apportent une valeur ajoutée bien supérieure à celle des nouveaux outils de recherche, qui indexent d’une manière automatique les ressources sans sélection. Encore faut-il ne pas oublier de coopérer, de se coordonner, conditions d’une meilleure visibilité et d’une meilleure efficacité. Alors que ces travaux nécessitent la mobilisation de moyens non négligeables, on voit se développer des actions redondantes. Des bibliothèques, au motif que les URL 8 ne sont pas stables, ne se satisfont pas de donner simplement accès aux documents numériques, mais les recopient sur leur propre serveur. On catalogue les mêmes ressources. On refait dans une bibliothèque du nord ce qui était déjà accessible dans une bibliothèque du sud, à l’est ce qui existait à l’ouest. Paradoxe étonnant : bien que la localisation importe peu, grâce à Internet, des bibliothèques du même pays, ou quelquefois du même organisme, entrent en concurrence ! Concurrentes au lieu d’être concourantes !
Les bibliothèques doivent assurer leurs missions dans le monde du document numérique. Il s’agit de savoir innover en utilisant les nouvelles technologies, tout en poursuivant la tradition du travail en réseau. Les consortiums de bibliothèques, créés pour négocier avec les éditeurs et revoir les conditions d’abonnement aux revues paticipent de cette volonté. Nous noterons au passage, que, dans cette pratique, les agences d’abonnement sont court-circuitées. La Bibliothèque du Congrès [9] notamment et bien d’autres [22] assurent un service de références performant, opérationnel 24 heures sur 24, en faisant collaborer divers établissements à travers le monde. Ici aussi, il y a concurrence de divers types de « service d’experts » sur le web [2], mais nous sommes bien ainsi au cœur des missions des bibliothèques, qui consistent à orienter vers leurs ressources traditionnelles ou nouvelles, imprimées ou numériques.
Bibliothèques et patrimoine
Le cas de la numérisation de certains fonds, bien que constituant un travail d’édition, a son originalité. Les bibliothèques désirent bien naturellement être visibles sur le web. Elles disposent souvent de documents rares, voire uniques. La numérisation permet l’accès à ces documents souvent fragiles ou précieux à un public plus nombreux et éventuellement éloigné. Ce faisant, il y a choix, concurrence, entre les documents, entre les utilisateurs actuels ou potentiels 9. Une première difficulté réside dans des moyens financiers évidemment limités. Il s’agit de faire des choix, peut-être au détriment des ressources papier, et de convaincre les décideurs et les utilisateurs du bien-fondé de ces choix. Il est nécessaire de faire œuvre utile en sélectionnant un fonds donnant de meilleurs outils aux chercheurs, qui devront donc être associés à ce travail de sélection. Ces choix doivent également s’inscrire dans une politique d’ensemble de numérisation et de préservation. Ici encore, collaboration et coordination doivent prendre le pas sur la concurrence.
Quelques autres concurrences
Ce développement sur le triangle éditeurs-chercheurs-bibliothèques peut paraître assez long, mais ce n’est pourtant qu’à grands traits que nous avons décrit l’évolution de ces dernières années. La situation est beaucoup plus variée et nuancée. Sans entrer dans les détails, voici d’autres concurrences qui touchent les métiers du livre.
Les éditeurs sont de types souvent fort différents et se positionnent de manières diverses face au document numérique [18]. Certaines maisons d’édition traditionnelles utilisent ce nouveau média pour publier des ouvrages dont le tirage resterait faible. Certaines entreprises produisent exclusivement des livres numériques. La diversification des supports et des services proposés a tendance à entraîner une concurrence avec les supports traditionnels. En proposant leurs livres sur le web, les éditeurs sont des concurrents directs des distributeurs que sont les libraires. Les libraires traditionnels, qui offrent un contact humain et personnalisé, ainsi qu’un contact physique avec les livres, sont concurrencés par les libraires présents sur le web, qui proposent des possibilités de recherche automatique et l’accès immédiat à domicile de l’ouvrage acheté.
L’imprimé a trouvé un rival dans le texte numérique, en premier lieu avec le cédérom, dont la distribution reste voisine de celle des livres, et en second lieu avec Internet et le web. Le livre électronique, « e-book », sera-t-il une concurrence supplémentaire ? Le numérique, toutefois, dépend d’un appareillage, tandis que l’imprimé se suffit à lui seul. Il est indiscutable, que pour un certain temps encore, de nombreux ouvrages seront préférés sous la forme imprimée et que beaucoup d’utilisateurs choisiront d’imprimer les textes plutôt que de les lire à l’écran.
L’extrême facilité de l’auto-édition sur le web provoque une prolifération de documents que les bibliothèques auront de plus en plus de mal à traiter, documents dont la validité est d’ailleurs incertaine. Le filtre constitué par le passage chez l’éditeur, avec notamment la lecture par un comité de sélection, est un gage de qualité. La notion de collection, en devenant virtuelle, tend à croître indéfiniment [7]. Le défi est de ne retenir qu’une faible part, mais essentielle, de l’ensemble des sources disponibles. D’une certaine façon, il y a concurrence entre les documents pertinents et les textes banals ou temporaires.
En guise de conclusion
J’ai utilisé le terme « bibliothèques » d’une manière générale. Celles-ci sont cependant très diverses. Les objectifs d’une bibliothèque publique sont évidemment bien différents de ceux d’une bibliothèque-service de documentation d’une université ou d’un institut de recherche, mais les grands principes sont les mêmes : il s’agit de ne pas se laisser noyer par la quantité d’informations disponibles, de connaître les utilisateurs que l’on doit servir – sur Internet se mêlent chercheurs, étudiants et néophytes – et de savoir préciser les limites et les critères de sélection. C’est à ces conditions que l’on constitue et alimente une collection.
Face aux concurrences diverses, les bibliothèques peuvent avoir l’impression d’être en état de siège. Certains ne croient plus à leur existence et encore moins à celle des bibliothécaires, que l’on cantonnerait bien en gardiens du patrimoine papier. Un des risques serait de penser que le seul salut est dans la fuite, hors des bibliothèques et centres de documentation. L’essentiel, au contraire, est de défendre la nécessité de ces services, hybrides et numériques. Non pas en adoptant une attitude frileuse ou de repli, mais en montrant une dynamique qui mette en lumière ce que les bibliothèques continuent d’apporter d’indispensable au XXIe siècle. Les réseaux documentaires existaient avant Internet et les nouvelles technologies n’ont fait que faciliter leurs coopérations.
Il n’y a rien à gagner à tenir des positions de rivalité ou de concurrence. C’est dans la paix que l’on prospère. Privilégions les partenariats entre bibliothèques, entre bibliothèques et éditeurs. Ceci suppose l’utilisation de normes, de métadonnées, de formats, de protocoles communs. La difficulté est certes qu’il n’y a plus de séparation nette entre l’édition et la diffusion de documents, que la littérature grise a tendance à se confondre avec les publications éditoriales. Le monde des publications scientifiques est particulièrement en effervescence et il est bien difficile de savoir vers quel modèle stabilisé nous nous dirigeons. Face aux innovations, les obstacles psychologiques sont parfois inattendus.
Il est cependant indispensable, pour prendre des décisions sensées, de garder à l’esprit que l’information a un coût. Celui-ci doit, d’une manière ou d’une autre, être pris en charge par l’auteur, le lecteur ou par la puissance publique à travers les laboratoires ou les bibliothèques [19 ; 20]. Qui financera la conservation des ressources numériques dans ce nouveau système où les habitants du monde entier en sont les clients potentiels ? Coopération, coordination, financement, après un temps d’expérimentation, une politique définie, au moins au niveau national, s’avère nécessaire.
N’oublions pas, enfin, que les outils technologiques ne sont que des moyens, la primauté devant rester à la gestion des contenus culturels ou scientifiques.
Septembre 2001