Carré Livres d'art(istes)
Martine Pringuet
Les 16 et 17 juin 2001 ont vu se dérouler, à Nîmes, le premier salon du livre d’artiste(s) de Languedoc-Roussillon, « Carré Livres d’art(istes) ». Plus de trente exposants étaient réunis dans le vaste hall du Carré d’art, éditeurs, artistes, relieurs ayant contribué à la création de livres rares, livres singuliers dont la dénomination restera toujours aléatoire (ponctuée de parenthèses), indéfinissable espace éditorial, pourtant aisément repérable, essentielle composante de l’édition et de l’histoire du livre.
Saluer l’initiative
Avant tout, saluons l’initiative : créer un salon du livre n’est pas une petite affaire. Car, même soutenue par les élus et une équipe municipale, une telle manifestation, passionnante, est lourde à concevoir, à organiser, à gérer. En région, les occasions de rencontres et de découvertes sont précieuses pour le réseau professionnel du livre, surtout lorsqu’elles sont, comme celle-ci, ciblées sur un aspect précis de travail éditorial qui exige d’être « regardé ».
D’un autre côté, le Carré d’art, cette belle construction, lieu dédié en partie à la création contemporaine et en partie aux livres et à tous les supports de la connaissance, trouve, en programmant une manifestation dédiée à la création contemporaine dans les livres, la justification évidente et harmonieuse de la mise en complémentarité de ses différentes missions. Venir au Carré d’art pour un salon du livre d’artiste sonne juste… au point qu’il semblait, en entrant dans le bâtiment ce jour-là, que tout était exactement là comme il convient que ce soit…
Il faut dire que, d’emblée en entrant, le visiteur apercevait Bernard Noël, présence discrète et solide auprès de nombreux exposants, présence « attentive », Jean-Pierre Sintive entouré des livres aux couvertures blanches des éditions Unes, Michel Nitabah…
Expérience intéressante pour l’organisation d’un tel projet, une édition préparatoire, comme un numéro 0 de revue, avait été organisée en octobre 2000. Cette rencontre initiale avait permis à l’équipe organisatrice réunie autour de Benoît Lecoq, directeur des bibliothèques de la ville de Nîmes, d’apprécier concrètement l’envie pour les exposants de venir… et revenir, l’implication de chaque membre et de chaque partie de l’ensemble organisateur pour prendre sa place et connaître ses responsabilités, à tous de se tester sur ce projet. Reste la grande inconnue… la présence du public, son intérêt, son regard sur les livres « singuliers », pas de manifestation réussie sans les rencontres provoquées autour des livres.
Le lieu est donc exactement approprié à ce projet et la municipalité nîmoise ne peut qu’être enchantée de la complémentarité absolue entre musée et bibliothèque à travers cette manifestation. Mais il y a cependant des contraintes : le vaste hall ne permet pas d’accueillir un plus grand nombre d’exposants…, et l’architecte a des exigences impératives quant à l’éclairage, à la signalétique, à la mise en espace de la manifestation, ce qui génère des conditions de présence parfois lourdes pour certains exposants…
À souligner : la satisfaction, pour des professionnels du livre qui s’interrogent sur la communication et la mise en relation des documents et des lecteurs, de construire un événement favorisant et provoquant ces rencontres.
Un sens fort
Quand elle est entreprise par des bibliothécaires, au cœur de leur établissement, la démarche prend un sens fort, qui leur permet un entrecroisement avec celle des exposants, celle des usagers… c’est fructueux… et toujours plus riche d’évidence et de simple complémentarité qu’une même manifestation organisée loin de la bibliothèque. Impossible que les lecteurs, de passage au Carré d’art Bibliothèque pour y choisir leurs lectures du moment, ne se soient pas attirés par les livres exposés dans le hall lorsqu’ils le traversent…
Des choix ont dû être faits : 33 exposants et sans doute un nombre supérieur de refus… Voici une difficulté importante pour les organisateurs : comment expliquer un refus, particulièrement quand la proposition se renouvelle d’année en année ? Il faudra sans aucun doute, pour crédibiliser et rendre solide la politique de sélection des exposants, constituer un comité qui, au fil de réunions préparatoires, arbitrera, en commun et collégialement, les choix à opérer. Enfin, ce projet de bibliothécaires s’installe aussi dans la durée à travers le catalogue réalisé pour la manifestation : livre carré de 14 cm x 14 cm et 43 pages, il assemble les exposants présents au Carré d’art. Sa couverture est une œuvre de Jacques Clauzel, artiste du livre à l’honneur cette année 2001 1. Il est, comme il se doit, trace et mémoire, publication qui fixe les événements, les installant dans une pérennité intéressante. Il est aussi un outil de référence permettant de trouver, retrouver, repérer les propositions éditoriales des créateurs qui donnent à l’espace du livre d’imprévisibles propositions 2.
Lectures et interventions ont ponctué ces deux jours (avec Christian Prigent, pour les éditions Cadex en ouverture le vendredi soir), renforçant ainsi judicieusement le propos du salon et affirmant son implantation dans l’espace régional. On imagine pour les années suivantes, les colloques et débats, conférences et installations qui pourraient être programmés.
Voici une initiative qui a tous les atouts pour devenir une référence dans le domaine avec, de plus, un contexte régional riche pour l’édition de prospection et de création. Il faut lui donner les moyens de mûrir et de s’affirmer, le temps de trouver et de créer son public : tous, néophytes, curieux, amateurs et professionnels trouveront le chemin du Carré d’art si les prémices affirmées cette année se consolident en 2002.