ASLIB Proceedings
ASLIB (Association of Special Libraries and Information Bureau), créée en 1924, n’est pas une association professionnelle de bibliothécaires ou de documentalistes, mais un organisme de service, non lucratif, qui a pour but une bonne gestion de l’information. Son nom actuel est explicite : « ASLIB, l’association pour la gestion de l’information ». Les « académiques », universités, centres de recherche et bibliothèques, représentent un peu moins de 30 % de la totalité des membres.
ASLIB a plusieurs axes d’action : le lobbying auprès des instances politiques pour promouvoir des textes législatifs favorisant la gestion et la circulation de l’information à tous les niveaux (local, régional, national et international), la « consultance » auprès des entreprises et des collectivités, la formation professionnelle, l’aide au recrutement de spécialistes de l’information, la réalisation de produits Internet, et des publications, monographies et périodiques, dont ASLIB Proceedings : New Information Perspectives, revue mensuelle qui paraît sous ce titre depuis 1992.
La revue
La revue comporte 10 numéros par an. Chaque année forme un volume, chaque numéro compte en moyenne 4 articles de 8 à 15 pages, la pagination est continue d’un numéro à l’autre. Chaque numéro offre, sans ordre apparent, des articles sur des sujets très différents, il n’y a pas d’éditorial et pas d’analyses bibliographiques. Une consultation rapide des catalogues collectifs français permet de constater que, si beaucoup de bibliothèques en France possèdent quelques numéros de cette revue, rares sont les collections complètes et en cours.
Pour coller au plus près aux évolutions du champ de l’information, la revue déclare chercher ses auteurs parmi les praticiens : gestionnaires, fournisseurs, metteurs en forme et consommateurs d’informations. Sont plus particulièrement recherchés les auteurs appartenant au monde du journalisme, de l’édition électronique et d’Internet. Les articles doivent être courts, percutants et très informatifs, afin de répondre au mieux aux besoins d’utilisateurs compétents mais pressés. Ils sont soumis à un comité éditorial interdisciplinaire qui doit donner un avis rapide, afin que les articles proposés, théoriquement à la pointe des sujets traités, ne soient pas dévalués par une publication retardée. On peut toutefois regretter que, comme dans de nombreuses revues scientifiques, la date de soumission des textes ne soit pas communiquée.
Comité éditorial, auteurs et articles
La revue s’appuie très fortement sur le département des sciences de l’information de la City University de Londres. Le responsable éditorial est le directeur du département et l’ensemble de l’équipe éditoriale appartient également à la City University. Malgré l’ambition annoncée d’avoir un comité éditorial très ouvert, la moitié des membres appartiennent au monde universitaire anglo-saxon ou anglophone. Le comité compte un seul étranger et un seul journaliste « actif », les autres étant soit enseignants, soit responsables d’une bibliothèque de journal.
Comme pour le comité éditorial, on constate un décalage entre les ambitions annoncées d’ouverture au monde des professionnels d’Internet et de la documentation et la réalité : en effet, plus de la moitié des auteurs appartiennent au monde universitaire, et, parmi eux, les universitaires de la City University sont de loin les plus nombreux.
Il n’est pas évident de déterminer une ligne éditoriale très claire, les articles n’engageant que leurs auteurs. Les articles vont de réflexions très générales, parfois même amusées, sur des thèmes liés à l’information, par exemple les changements de noms des organisations professionnelles, à des études très précises et même spécialisées, comme les projets d’indexation automatique dans Medline.
Certes, Internet est presque omniprésent, soit dans les articles qui en traitent directement (13 sur 37 articles publiés en 2000), soit par les effets induits. Mais quel que soit le thème traité, les aspects techniques et économiques de l’information ne sont pas ou peu pris en compte. On examine surtout l’impact possible d’Internet sur les pratiques de recherche d’information de certaines catégories, comme les journalistes ou les médecins, mais l’étude reste très comportementale, les aspects économiques et qualitatifs de l’information ne sont pas évoqués.
Par exemple, il est très caractéristique du ton général que, dans un article consacré à l’évaluation d’un système d’aide à la recherche d’information par sujet, on parle davantage de la répartition des utilisateurs par sexe, par âge, par niveau scolaire, et de leur familiarité avec Internet que de la qualité de l’aide apportée par le système en matière de pertinence des réponses…
Les auteurs visent surtout à donner des éléments d’appréciation pour construire des modèles d’analyse, ou à donner des explications sociologiques des comportements des usagers. Ils se fondent souvent sur des enquêtes, mais celles-ci restent la plupart du temps, explicitement et volontairement, très empiriques. À l’extrême, un article peut se fonder sur quelques entretiens avec des utilisateurs connus de l’auteur.
Le refus de la mode
Les auteurs sont en général très méfiants vis-à-vis de ce qui peut passer pour un emballement lié à la mode. Un exemple très caractéristique de cette approche est un article sur XML. On trouve actuellement dans la presse spécialisée et dans la presse professionnelle nombre d’articles sur les avantages et les bienfaits de l’adoption de ce langage. La conclusion de l’article publié dans ASLIB Proceedings est beaucoup plus nuancée, du genre : « Il y a certainement du bon dans XML, mais méfiez-vous du matraquage médiatique, et il vaut mieux attendre et voir »… Il semble aussi y avoir un courant parmi les auteurs pour réinscrire ce qui pourrait paraître comme totalement novateur et en rupture dans une continuité historique. Il est fréquent de trouver la « révolution » d’Internet comparée à la « révolution » de l’imprimerie, en concluant que la révolution n’est pas si révolutionnaire qu’il y paraît.
La revue fait place à quelques articles écrits par des universitaires autres qu’anglais ou originaires de pays en voie de développement. Elle publie aussi quelques articles sur l’impact d’Internet dans les pays en voie de développement, et plus particulièrement les pays africains anglophones, dans un axe plutôt favorable au libéralisme économique dans le domaine des télécommunications. Toutefois, la revue reste très centrée sur l’Angleterre.
Les articles sont toujours accompagnés d’une bibliographie, la plupart du temps récente et abondante. Le taux de citation interne est très faible, ce qui montre une réelle ouverture. On constate aussi que certains articles ont essentiellement comme bibliographie des références à des textes disponibles sur des sites Internet, dont la plupart des adresses sont, quelques mois plus tard, erronées.
ASLIB Proceedings est une revue ambitieuse dans son propos, mais dont la réalisation s’avère assez décevante pour des bibliothécaires professionnels. Très clairement, les bibliothèques ne sont ni le sujet ni le public de la revue. Dans un des articles, la disparition du rôle des bibliothèques dans la diffusion de la connaissance scientifique et technique est même envisagée. Malgré les déclarations de principe, le public visé n’est pas vraiment celui des professionnels économiques de l’information (éditeurs, journalistes, fournisseurs de système), mais plutôt celui des spécialistes universitaires de l’information, enseignants et sociologues.
Le service public de l’information n’est guère pris en compte. On peut cependant estimer que le grand nombre d’articles à tendance sociologique et comportementale peut permettre à des bibliothécaires de mieux connaître les attitudes et les attentes de leurs lecteurs, mais dans ce domaine, la revue est très anglo-saxonne, ce qui explique peut-être sa présence presque confidentielle dans les collections françaises 1.