Editorial

Bertrand Calenge

Si Mark Twain considérait que les statistiques sont une des formes du mensonge, les institutions publiques ont cependant besoin de données mesurables pour conduire leurs activités. Et, si peu fiables soient-elles, ces données correspondent bien à des résultats ou à des moyens. Mètres carrés, agents, ressources financières représentent ce que les gestionnaires appellent les « inputs », les distinguant ainsi des résultats (qualifiés d’« outputs »). Il est de bon ton de mettre en évidence les résultats, comme fruit du travail accompli, et de subir les moyens – en déplorant leur insuffisance. Ces moyens appellent pourtant une réflexion spécifique, qui peut battre en brèche quelques idées convenues.

Par exemple, la mesure des moyens de fonctionnement des bibliothèques s’appuie sur deux piliers : les ressources financières, et les ressources en personnels, les deux n’étant que peu confondues dans les services publics. Toutes deux connaissent aujourd’hui certains bouleversements structurels. Côté finances, on interroge par exemple les bibliothèques sur la possibilité de rechercher des ressources complémentaires auprès de leurs publics, au prétexte du succès qu’elles connaissent : étrange position qui dit vouloir ponctionner les utilisateurs alors que le discours constant est de prétendre rendre la lecture et l’information plus accessibles ! Côté personnels, la situation présente d’autres formes d’originalité : la multiplicité et la variété des agents dans les bibliothèques, nées de la récente « porosité sociale » de ces dernières, rendent paradoxalement impossible aujourd’hui le décompte de l’ensemble des acteurs (le BBF a dû renoncer à présenter une telle synthèse dans ce dossier).

Dans ces conditions, comment s’étonner que les programmes dits de « planification stratégique », associant à des objectifs précis des moyens non moins précis dans un projet pluriannuel, aient tant de difficultés à voir le jour dans notre pays ? Plus prosaïquement, ces questions amènent à s’interroger sur les modèles économiques des bibliothèques de service public aujourd’hui. N’est-ce pas là le sens premier du mot bibliothéconomie, à savoir l’économie des bibliothèques ?