Le droit d'auteur

par Gabriel Frossard

François Dessemontet

Lausanne : Centre du droit de l'entreprise de l'université de Lausanne, 1999. - LXXIV-1 067 p.; 24 cm. - (Publication Cedidac; 39). ISBN 2-88197-038-9. 620 FF/94,51 euros.

Aux compétences scientifiques du niveau le plus élevé, le professeur François Dessemontet allie une capacité de travail et un esprit d'entreprise qui forcent l'admiration. On reconnaîtra ces qualités – et bien d'autres encore – dans le monumental traité du droit d'auteur qu'il a publié récemment.

Une approche comparative et internationale

La somme d'informations que renferme cet ouvrage appelle deux remarques préalables. Tout d'abord, même s'il centre son étude sur le droit suisse, François Dessemontet fait largement référence aux solutions ou à des exemples de droit étranger, notamment français, allemand et américain. En outre, l'auteur réserve d'abondants développements aux questions de droit d'auteur traitées au sein de la Communauté européenne, de même que dans le cadre des accords ADPIC 1.

Cette approche largement comparative et internationale confère à ce traité le caractère d'ouvrage de référence, dont la consultation s'avère hautement utile non seulement aux praticiens du droit suisse, mais également, bien au-delà des étroites frontières nationales, à toute personne travaillant dans les matières du droit d'auteur. Ajoutons à cela que l'ouvrage ne se limite pas à une présentation du seul droit positif : il renferme des analyses particulièrement claires et des réflexions d'une convaincante sagacité sur les plus épineuses questions qui se posent actuellement en matière de propriété littéraire et artistique.

Des exemples jurisprudentiels

Par ailleurs, l'ouvrage de François Dessemontet fourmille d'exemples tirés de la jurisprudence. Il va de soi que les décisions des tribunaux suisses sont passées « au peigne fin », particulièrement celles rendues par le Tribunal fédéral, cour suprême et seule instance de recours pour les actions civiles en matière de propriété intellectuelle en Suisse. Mais l'auteur ne s'est pas arrêté là. En effet, nombre de cas de figure qui ont occupé des cours cantonales (premier et unique degré de juridiction civile en matière de droit d'auteur, toujours selon la législation suisse) sont largement évoqués au titre d'illustrations des analyses ou des critiques avancées. Cette mise en valeur de la jurisprudence cantonale s'avère d'autant plus appréciable que, généralement, les auteurs délaissent et ignorent cette source d'informations pourtant d'une étonnante richesse. Et plus encore : lorsque le fonds jurisprudentiel national s'avère lacunaire d'exemples pertinents ou à propos, l'ouvrage se réfère largement aux solutions dégagées par des juridictions étrangères; celles-ci sont également méthodiquement citées lorsqu'elles ont rendu des décisions qui contribuent à la compréhension, tant des principes fondamentaux que des situations liées aux problèmes de l'heure, singulièrement à l'application du droit d'auteur dans le cadre des nouvelles technologies de l'information.

Le souci constant de présenter le droit d'auteur à travers des exemples jurisprudentiels fait donc du traité de François Dessemontet un ouvrage de référence. Pratiquée avec clarté, la méthode par l'exemple emporte également un avantage d'une grande portée didactique. En effet, même les non-spécialistes et les personnes qui sont confrontées dans leurs activités personnelles ou professionnelles à des questions de droit d'auteur – sans pour autant être au bénéfice d'une formation juridique – y trouvent leur compte : jusque dans ses développements les plus subtils, le texte reste parlant et les analyses largement accessibles même si leur complexité intrinsèque les rend parfois difficiles à saisir, surtout pour les profanes.

Toutes les questions inhérentes au droit d'auteur

Il va sans dire que ce traité – qui compte plus de mille pages! – aborde méthodiquement et de manière exhaustive toutes les questions inhérentes au droit d'auteur : l'objet du droit d'auteur, la nature et l'étendue des prérogatives de l'auteur, la durée de la protection, les exceptions du droit d'auteur, la gestion collective, les voies de droit, les contrats, rien ne manque. Un simple regret du point de vue de la systématique réside dans le fait que les notions d'œuvres dérivées et de recueils ne sont pas traitées pour elles-mêmes dans le chapitre sur l'objet du droit d'auteur. La compréhension de ces notions s'avère pourtant essentielle lorsqu'il s'agit d'analyser de manière claire et méthodique les questions relatives à la protection des bases de données et des œuvres multimédias, ce que l'auteur ne manque d'ailleurs pas de faire avec tout le talent qu'on lui connaît.

Si l'ouvrage brille par le très large débat d'idées qu'il engage sur tous les sujets abordés, il paraît néanmoins quelque peu tronqué sur le thème précis du droit de prêt dans les bibliothèques. Les seules considérations économiques relatives aux fondements de cette prérogative, de même que la relation des travaux préparatoires et des péripéties parlementaires concernant cet objet, apparaissent trop formelles pour étayer le bien-fondé d'un droit de prêt généralisé que François Dessemontet semble préconiser; il l'avait d'ailleurs soutenu à l'époque où il présidait la commission d'experts chargée de préparer l'avant-projet (le troisième!) de la nouvelle loi suisse sur le droit d'auteur adoptée en 1992. Parallèlement, la place réservée à l'argumentaire des bibliothèques aurait mérité d'être plus substantielle, puisqu'il avait finalement convaincu les autorités politiques et le parlement en particulier.

Les quelques rares et – ô combien – légères faiblesses que l'on peut déceler de manière ponctuelle ne ternissent en rien la très grande valeur de l'ouvrage. Absentes de tout dogmatisme, un grand nombre des analyses que propose François Dessemontet revêtent un intérêt tout particulier pour des lecteurs d'autres pays, car le droit suisse a su développer dans certains domaines des institutions efficaces et un savoir-faire rationnel, empreints d'un pragmatisme qui s'adaptent bien aux multiples situations d'utilisation des œuvres : copies privées ou reproduction d'œuvres dans le cadre d'activités scolaires ou pédagogiques, notamment, trouvent en droit suisse des solutions qui méritent de retenir l'attention.

Dans ce même ordre d'idées, on soulignera quelques exemples significatifs des développements propres à éclairer les débats animés auxquels l'évolution actuelle du droit d'auteur donne lieu, tant en Europe qu'aux États-Unis.

Tout d'abord, l'analyse et les critiques concernant l'organisation et le fonctionnement des sociétés de perception mettent en évidence la nécessité incontournable des systèmes de gestion collective, et les précautions indispensables à prendre afin d'en assurer un développement harmonieux.

Les contrats des auteurs et artistes interprètes

Par ailleurs, François Dessemontet accorde une place de choix aux contrats des auteurs et artistes interprètes. En relation avec ce domaine, on signalera l'approche intéressante que réalise la théorie dite de la finalité : celle-ci permet de dégager des solutions équitables dans l'appréciation de l'étendue des droits cédés contractuellement par un auteur. Entre la réalité mouvante dans laquelle s'opèrent l'utilisation et la diffusion des œuvres, d'une part, et les formules lapidaires si ce n'est franchement lacunaires que véhiculent – en pratique – les contrats d'auteur, d'autre part, la maîtrise du fil conducteur de la théorie de la finalité permet une approche pragmatique et circonstanciée des prétentions raisonnables des parties; de même, elle assure une protection justifiée des auteurs qui se trouvent souvent en position de faiblesse au moment des négociations contractuelles de cession de leurs droits.

Une parfaite maîtrise des principes et des techniques juridiques

La liste des exemples qui pourraient et mériteraient d'être évoqués ne s'arrête pas ici, loin s'en faut! Diffusion des œuvres sur les réseaux, notamment Internet, droit applicable aux situations qui, de plus en plus, mettent en état de concurrence ou de superposition plusieurs ordres juridiques nationaux et bien d'autres encore représentent autant de sujets que l'ouvrage traite de manière exemplaire. Indiscutablement, le traité de François Dessemontet fera date dans la doctrine du droit d'auteur. L'élévation de l'œuvre tient à la parfaite maîtrise des principes et des techniques juridiques, ainsi qu'à une profonde connaissance des questions concrètes et actuelles en matière de propriété littéraire et artistique, singulièrement lorsqu'elles sont liées aux mécanismes commerciaux. Pour tous ceux qui se soucient ou se préoccupent de l'avenir des droits d'auteurs – et cela quel que soit le pays où ils déploient leur activité –, le traité de François Dessemontet s'affirme comme une œuvre de référence incontournable, surtout par la richesse des analyses qu'il contient et le foisonnement d'idées, de critiques ou de solutions que son auteur invite de manière très convaincante à partager avec lui.

  1. (retour)↑  Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (annexé à l'Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce, 1994).