Les bibliothèques pour enfants en suède
Kerstin Rydsjö
En Suède, où les bibliothèques publiques donnent la priorité aux enfants, les livres et la lecture ont toujours été le pivot des sections jeunesse. Dès le début des années 70, les bibliothécaires ont eu l'ambition d'atteindre chaque enfant, et pour ce faire, ont utilisé des méthodes de travail spécifiques. Dans les années 90, toutes les activités financées par l'administration locale ont été gravement touchées par la récession économique. Pour en contrebalancer les effets sur les bibliothèques pour enfants et les bibliothèques scolaires, pour stimuler la lecture et l'achat de livres pour enfants, l'État a mis en place en 1997 un nouveau système d'attribution de subventions. Durant la même décennie, l'apparition de l'informatique a notablement et de diverses façons transformé les services et les activités offerts par les bibliothèques pour enfants.
Children are given priority in Sweden's public libraries and books and reading have always been at the hub of children's libraries. The goal is to reach out to every child and since the beginning of the seventies children's librarians have developed a whole battery of methods to fulfill this ambition. During the nineties all local government financed activities have been seriously hit by economic cut-backs. To counteract the effects of these in children's libraries and school libraries, and to stimulate reading and the purchase of books for children, a new system for state subsidies was decided upon in 1997. During the nineties the introduction of computers has visibly renewed services and activities in children's libraries in different ways.
In Schweden, wo die öffentlichen Bibliotheken den Kindern Vorrang geben, waren Bücher und Lesen schon immer Dreh- und Angelpunkt der Abteilungen für Jugendliche. Seit Anfang der 70er Jahre haben die Bibliothekare als Ziel jedes Kind anzusprechen und haben hierzu spezifische Arbeitsmethoden eingesetzt. In den 90er Jahren wurden alle durch die lokale Verwaltung finanzierten Aktivitäten schwer durch den wirstschaftlichen Rückgang getroffen. Um den Auswirkungen auf die Jugend- und Schulbibliotheken entgegenzuwirken und das Lesen und den Ankauf von Büchern anzuregen, hat der Staat 1997 ein neues Zuwendungssystem eingeführt. Während des gleichen Jahrzents hat das Erscheinen der Informatik, die in den Bibliotheken angebotenen Dienste und Aktivitäten auf vielfältige und beträchtliche Art und Weise verändert.
La bibliothèque pour enfants qui passe pour avoir été la première à mériter pleinement ce nom en Suède fut ouverte au public par un après-midi de décembre 1911 à Stockholm, dans Drottninggatan (la rue de la Reine). Les personnes présentes à l'inauguration ont laissé des témoignages éblouis sur cette salle superbement éclairée, décorée d'œuvres d'art, de fleurs, et dotée, bien sûr, de quantité d'ouvrages rangés sur des rayonnages accessibles au jeune public. Des dames aimables et bien éduquées, « amoureuses des livres » aidaient et guidaient les enfants, vérifiaient qu'ils avaient les mains propres et que chacun n'empruntait pas plus de deux titres à la fois, dont un « utile ».
Cette bibliothèque aura vu le jour grâce au travail, à l'enthousiasme et au dévouement d'une femme, Valfrid Palmgren. Ayant eu l'occasion de visiter des bibliothèques publiques américaines lors d'un voyage d'études effectué en 1907, elle était rentrée des États-Unis avec l'envie de créer dans son pays une bibliothèque pour enfants. Les sommes qu'elle put réunir en faisant appel à des donateurs privés lui permirent de concrétiser son projet (1).
Si les efforts de Valfrid Palmgren ont abouti à cette bibliothèque expressément conçue à l'intention du jeune public, les origines des bibliothèques suédoises pour enfants remontent en fait beaucoup plus loin dans le temps, aux bibliothèques des paroisses, des écoles et des clubs. C'est de là qu'il convient de partir pour rendre compte de la longue tradition de la lecture publique en Suède et, en ce qui concerne plus précisément les enfants, de la foi en les vertus éducatives de la lecture, même si, à cet égard, les positions n'ont pas toujours été homogènes (2).
Assez vite, la bibliothèque pour enfants de Stockholm fit des émules à Göteborg et à Malmö, deuxième et troisième villes du pays. Ces établissements pionniers servirent à la fois de modèles et de sources d'inspiration à d'autres communes plus modestes, malgré une évolution assez lente. Au début des années cinquante, alors que la Suède comptait plus de 2 500 communes, elle ne disposait encore que de 46 bibliothèques pour enfants.
Après avoir esquissé à grands traits l'histoire des bibliothèques pour enfants en Suède, je m'attacherai surtout, dans les pages qui suivent, à en retracer le développement au cours des quarante dernières années. Si les années soixante et soixante-dix apparaissent comme les décennies de l'expansion, les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix furent pour leur part celles du déclin, puis du redressement. A l'instar des autres activités financées par les pouvoirs publics, la culture en général et les bibliothèques en particulier, y compris celles pour enfants, ont alors beaucoup souffert de la diminution des budgets. Je reviendrai un peu plus loin sur les conséquences de cette politique. Les bibliothèques pour enfants étant indissociables de la littérature pour la jeunesse, je commencerai par exposer brièvement les grandes étapes qu'a connues cette dernière dans notre pays.
L'essor de la littérature pour enfants
1945 fut pour l'Europe entière l'année de l'espoir et de la paix retrouvée. En Suède, elle marque également le début du deuxième « âge d'or » de la littérature pour enfants. Les connaissances nouvellement acquises sur le développement de l'enfant, jointes à l'attitude plus libérale adoptée en matière d'éducation et de pédagogie, inspirèrent des œuvres entièrement nouvelles, plus audacieuses, plus complexes et accordant une large place à l'humour. L'histoire de Fifi Brindacier, publiée en 1945, illustre de façon exemplaire le changement intervenu. Avec ses taches de rousseur et ses nattes rousses, cette petite fille reste le porte-parole du discours anti-autoritaire à l'égard des enfants, inspirateur d'une littérature qui abordait les plus jeunes avec respect, sans se contenter de leur décrire un monde idyllique ou de leur inculquer les vertus morales. L'auteur, Astrid Lindgren, a réjoui, encouragé et fait rêver les enfants du monde entier. On ne saurait trop insister sur l'importance qu'a eue, dans le domaine de la littérature pour enfants en Suède, cette pionnière aussi convaincue que dévouée à sa cause. Elle occupe une place unique (3).
Lennart Hellsing et Tove Jansson, qui ont publié à la même époque, ont, eux aussi, beaucoup œuvré au développement de la littérature pour la jeunesse. Chacun d’eux, à sa manière, a renouvelé le genre et tous deux ont largement mérité leur renommée internationale. Aujourd'hui, bien des écrivains, des illustrateurs et même des personnages de livres pour enfants sont connus hors des frontières de la Suède ; citons, pour nous en tenir à ces quelques exemples, Linnea, qui visite le jardin de Monet à Giverny, Castor et la petite sœur de Cricri-Lapin.
Après la seconde guerre mondiale, le gouvernement se lança dans une politique de réforme qui visait, entre autres, à améliorer les conditions de vie des ménages avec enfants. Ces familles bénéficièrent ainsi d'une augmentation des allocations qui, directement ou indirectement, eut un effet positif sur le développement et la consommation de la littérature pour la jeunesse. Les maison d'édition créèrent des collections spécifiquement destinées au jeune public ; elles instituèrent des concours afin de découvrir de nouveaux auteurs suédois et, parallèlement, développèrent leurs contacts à l'étranger, acquirent les droits de livres pour enfants qu'elles publièrent en traduction. De 1940 à 1950, le nombre de titres parus dans le domaine en Suède fut multiplié par deux, et on en recensait environ 400 en 1950. Quarante ans plus tard, ce chiffre était passé à 1 000 par an, avec un tirage moyen avoisinant les 9 000 exemplaires par titre, mais qui prend aussi bien en compte les best-sellers (autour de 20 000 exemplaires) que les éditions courantes, entre 3 000 et 8 000 exemplaires (4).
Cet essor de la littérature pour enfants s'explique aussi par le développement concomitant des bibliothèques pour enfants. Bien que ce genre d'ouvrages soit essentiellement vendu en librairie et par l'intermédiaire des clubs du livre, les achats des bibliothèques jouent également un rôle important, aussi bien en ce qui concerne le pourcentage des ventes que dans la mesure où elles font office de « vitrines » de la production littéraire pour la jeunesse.
Le développement des bibliothèques pour enfants
Les années soixante et le début des années soixante-dix sont parfois considérés comme les « années records » de l'histoire suédoise de la deuxième moitié du siècle. La très forte croissance économique qui les accompagna permit à de nombreuses municipalités de s'équiper d'une bibliothèque publique flambant neuve.
A l'époque, plutôt que de séparer les sections pour enfants et pour adultes, on les intégrait la plupart du temps l'une à l'autre en fonction d'un modèle ouvert et souple, conçu pour l'accueil d'un public « familial ». Les plans ménageaient bien sûr la possibilité de repenser et d'intensifier les activités pour enfants mais, en la matière, l'événement qui aura le plus pesé fut la Déclaration de politique culturelle nationale adoptée par le Parlement suédois en 1974. Pour le sujet qui nous intéresse, ce texte se fixait notamment les objectifs suivants :
– concourir à préserver la liberté de parole et à créer les conditions nécessaires à l'expression de cette liberté ;
– offrir aux individus des occasions d'épanouir leur créativité propre et les encourager à se rencontrer ;
– prendre en compte les expériences et les besoins spécifiques des groupes sociaux défavorisés ;
– combattre les effets négatifs du mercantilisme dans le secteur culturel.
Ces objectifs étaient certes assignés à la politique culturelle nationale au sens large, mais ils n'en eurent pas moins une influence décisive sur l'évolution des bibliothèques municipales (5). Et bien qu'il n'y fût pas explicitement question de la jeunesse, les bibliothécaires pour enfants, regroupés en une section distincte au sein de l'Association des bibliothécaires suédois (SAB), s'appuyèrent sur la Déclaration de politique culturelle pour redéfinir la mission de leurs établissements. Le premier article des buts qu'ils se fixèrent alors précise : « Une bibliothèque pour enfants doit s'adresser à tous les enfants sans exception ». Pour y parvenir, les bibliothèques s'employèrent activement à prendre contact, et à coopérer avec des adultes travaillant dans les écoles maternelles, les établissements scolaires d'enseignement général (accueillant les élèves de sept à seize ans), et autres institutions et organismes créés à l'intention des enfants. Elles s'efforcèrent de toucher les enfants qui « pour des raisons physiques, mentales, linguistiques ou sociales, ne fréquentent pas la bibliothèque ». Le choix des documents, et essentiellement des livres, privilégiait la qualité et les différents moyens de neutraliser « les effets négatifs du mercantilisme » (6).
Le Conseil national des affaires culturelles a été fondé en 1974 ; il centralise, aux niveaux national et régional, les efforts engagés par l'État dans le secteur des bibliothèques. Les décisions prises dans le domaine culturel se sont, entre autres choses, traduites par la nomination, dans chacun des comtés du pays, d'un « conseiller des bibliothèques pour enfants », à qui il incombe de stimuler le développement de ces établissements et de convaincre les municipalités de recruter des spécialistes de la lecture enfantine. Malgré la réorganisation administrative qui avait ramené à 274 seulement les innombrables petites communes suédoises, les postes de bibliothécaires pour enfants n'excédaient pas la centaine.
Cette période vit aussi se produire un certain nombre d'autres changements structurels importants. Débutant après la seconde guerre mondiale, l'entrée sur le territoire d'étrangers en quête d'un travail (en provenance surtout des autres pays nordiques et de l'Europe du Sud) s'accéléra essentiellement au cours des années soixante et au début des années soixante-dix. Au même moment, les mouvements migratoires intérieurs s'intensifièrent, déplaçant une partie non négligeable de la population des régions septentrionales et autres zones faiblement peuplées vers les grandes villes et, de manière générale, vers les lieux où l'offre d'emploi était importante. Les modèles familiaux se modifièrent simultanément : maintenant qu'ils travaillaient tous les deux, les parents confiaient souvent leurs enfants à la garderie ou à la maternelle. Quand les bibliothécaires pour enfants commencèrent à élaborer les méthodes devant leur permettre de « s'adresser à tous les enfants sans exception », ces mutations sociales battaient leur plein.
La réalisation des objectifs
Les objectifs dont il a été question plus haut ont également orienté les mesures prises par les autorités régionales ou municipales, lesquelles donnèrent généralement la priorité aux enfants, en particulier aux plus jeunes.
Cet intérêt accordé aux enfants en bas âge et à leurs parents pour tout ce qui touche aux livres, à la lecture et aux bibliothèques peut s'expliquer de plusieurs manières, entre autres par l’acquisition du langage et l'apprentissage de la lecture chez l'enfant. Ce processus est conditionné par une maturation bien antérieure à la scolarisation, et de nombreuses recherches ont montré l'importance décisive d'une mise en contact précoce avec l'écrit. Les parents sont des modèles pour leurs enfants ; s'ils lisent, ces derniers comprennent l'usage qu'ils pourront eux aussi faire de l'écrit. Quand, pour prendre un exemple, un adulte lit un livre à un petit enfant, celui-ci va d'expérience apprendre de plus en plus de choses sur les livres et la structure textuelle : il saura qu'il faut tourner les pages une à une, que le texte se déroule de gauche à droite et de haut en bas. Il saisit également les liens qui rattachent le texte aux images, où il apprend à reconnaître des gens, des situations et des objets venus d'ailleurs (7).
Les bibliothécaires pour enfants s'appuient sur ce savoir, aussi bien dans les activités à vocation sociale que dans celles organisées à l'intérieur de la bibliothèque, telles que l'heure du conte ou les jeux à partir de livres (8). Nombreuses sont les communes où le bibliothécaire pour enfants travaille en liaison avec les services de pédiatrie (BVC) et les crèches ; il arrive ainsi à faire connaître l'existence des livres, de la bibliothèque et de ses services à de très jeunes enfants et à leurs parents. En Suède, les services de pédiatrie suivent régulièrement la quasi-totalité des enfants, de la naissance à six ans. Et 67 % des enfants âgés de quinze mois à six ans ont une place dans les crèches ou les garderies municipales d’après les données de 1995 (9).
Pour toucher les enfants et leurs parents, la petite commune de Markaryd, au sud du pays, a mis au point, en 1984, un système original d'activités extérieures, « BokNalle », devenu depuis une référence. Une bibliothécaire de la section enfantine propose à toute personne venant d'avoir un enfant un rendez-vous à domicile. Elle amène avec elle un large choix d'ouvrages disponibles en prêt, ainsi qu'un livre qu'elle offre en cadeau au bébé. Avec le ou les parents, elle parle de l'acquisition du langage, des livres, de la lecture, et invite toute la famille à se rendre à la bibliothèque.
Un certain nombre d'autres services sont apparus à la suite de « BokNalle ». Les tests d'évaluation pratiqués dans des groupes comparables montrent que les enfants de Markaryd connaissent et comprennent plus de mots et lisent plus que les autres enfants de leur âge (10). L'initiative de Markaryd a été reprise un peu partout en Suède ; elle est ainsi à l'origine du « Hässleboken » de Borås, où les bibliothécaires pour enfants effectuent des visites à domicile dans un quartier peuplé en majorité de réfugiés et d'immigrés (11).
Il faut repenser en permanence les méthodes et les services proposés, afin de s’ajuster aux conditions et aux besoins nouveaux apparus au niveau local. Le Conseil suédois des affaires culturelles soutient à l'heure actuelle (1997-1999) le projet « Lingonberry Children », dont le but est d'améliorer et de développer les activités des bibliothèques en direction des enfants. Tout un comté, le comté de Jönköping, au sud de la Suède, participe à ce projet avec treize autorités locales (12).
Le congrès de l'IFLA (International Federation of Library Associations and Institutions) qui a eu lieu à Copenhague en 1997 fut pour les bibliothécaires suédois l'occasion d'affirmer, devant des participants venus du monde entier, la priorité qu'ils accordent à la petite enfance. L'exposition « Les bibliothèques pour enfants dans les pays nordiques » illustrait cette position en présentant plusieurs exemples, repris pour partie dans cet article.
Aussi est-ce avec une certaine fierté que l'on peut affirmer que les bibliothèques suédoises ont – presque – réalisé l'ambition de « s'adresser à tous les enfants sans exception ». Voilà des années que les enfants sont les lecteurs les plus assidus de nos bibliothèques (cf. tableau 1 ci-dessus) (13, 14).
Les nouvelles formes de soutien de l'État
La première moitié des années quatre-vingt-dix fut, pour les municipalités suédoises, une période de graves difficultés économiques. Les enfants, et les jeunes en général, subirent le contrecoup des restrictions budgétaires alors imposées aux écoles et aux crèches, en même temps que l'écart entre communes « riches » et « pauvres » s'accusait de façon spectaculaire. L'amputation des crédits toucha aussi largement les bibliothèques pour enfants. Alors que les établissements de lecture publique doivent être facilement accessibles à tous, en quatre ans, – de 1990 à 1994 –, 10 % des annexes furent supprimées, de même que 14 % des bibliobus. Parallèlement, les acquisitions de livres pour enfants diminuèrent du quart et les services des bibliothèques en direction des écoles maternelles et des crèches disparurent totalement dans vingt communes (15).
Un rapport remis au gouvernement en 1996 mettait en lumière les conséquences de ces mesures. Dès l'année suivante, l'État décida d'aider les bibliothèques publiques et les bibliothèques scolaires en allouant chaque année 25 millions de couronnes (225 millions d’euros) à l'achat des livres pour les enfants et les jeunes. Ce soutien restait toutefois conditionnel : pour en bénéficier, les autorités lo-cales devaient présenter un projet détaillant les moyens qu'elles comptaient mettre en œuvre pour encourager la lecture, et s'engager à ne pas amputer la part de leur budget destiné à la littérature jeunesse (16). En 1997, le Parlement suédois vota pour la première fois de son histoire une loi sur les bibliothèques ; la responsabilité de ces dernières à l'égard des enfants et des jeunes générations y est précisée comme suit : « Les bibliothèques publiques et les bibliothèques scolaires doivent prêter une attention particulière aux enfants et aux jeunes en mettant à leur disposition des livres, des moyens technologiques et tous les autres supports d'information adaptés à leurs besoins, afin de favoriser le développement du langage et d'encourager la lecture », loi sur les bibliothèques, alinéa 9 (17).
Bibliothèques pour enfants et bibliothèques scolaires
Qu'est-ce qu'un enfant d'âge scolaire peut trouver dans une bibliothèque conçue pour lui et comment est-il amené à la fréquenter ? Répondre à cette question impose quelques remarques préalables sur les bibliothèques scolaires suédoises. A la différence des bibliothèques publiques, elles ont un caractère obligatoire qui explique qu'une très large majorité des enfants y soient inscrits, même si elles sont souvent d'un niveau assez médiocre. Dans les années soixante et soixante-dix, alors que les bibliothèques publiques et leurs sections pour enfants vivaient une époque faste, les bibliothèques scolaires sont restées plus ou moins en l'état.
Il existe aujourd'hui quelque cinq mille établissements d'enseignement général en Suède. La plupart abritent une bibliothèque scolaire, mais on observe encore de fortes disparités. A côté de celles, bien équipées, qui proposent des services de qualité, d'autres se composent en tout et pour tout d'une salle pourvue de livres. Il faut en outre préciser qu'en Suède, une bibliothèque scolaire sur quatre environ est intégrée à la bibliothèque municipale (18).
L'enseignement dispensé en Suède privilégie la culture générale. Tout au long de la scolarité, les programmes accordent une large place à la capacité à comprendre et analyser l'information ainsi qu'à la lecture de romans. La fréquentation d'une bibliothèque est donc indispensable pour apprendre à utiliser différentes sources d'information.
Il faut par ailleurs que cet établissement propose un choix d'ouvrages assez consistant pour que les élèves puissent y trouver les œuvres de fiction à même d'illustrer tel ou tel cas, et susceptibles de développer leurs aptitudes à la lecture, quel que soit leur âge. Du fait des insuffisances des bibliothèques scolaires, les bibliothèques publiques de nombreuses municipalités s'avèrent à cet égard indispensables, aussi bien pour les professeurs que pour les élèves.
Or cette situation est génératrice de conflits, dans la mesure où les bibliothèques publiques et les bibliothèques scolaires n'ont pas les mêmes raisons d'être. Brièvement résumée, la finalité des secondes consiste à épauler l'enseignement en offrant aux maîtres et aux élèves la documentation dont ils ont besoin. La bibliothèque publique et sa section pour enfants, quant à elles, s'adressent à des groupes très diversifiés de par leurs exigences en matière de savoir et de lectures, distrayantes ou instructives, raison pour laquelle la bibliothèque conçoit ses services à partir de ses usagers.
Louise Limberg a analysé les points de ressemblance et de divergence entre les bibliothèques pour enfants et les bibliothèques scolaires dans un article intitulé « Svensk bibliotecsforskning » ; si, souligne-t-elle, les livres distrayants et les livres instructifs ont leur place dans ces deux catégories d'établissement, le travail qui s'effectue dans une bibliothèque scolaire s'articule autour des programmes de cours, en fonction des groupes constitués par les classes, alors que les services d'une bibliothèque publique sont conçus pour les individus qui viennent s'y inscrire de leur plein gré. Se référant aux travaux de Birgitta Qvarsell, pédagogue et chercheur qui a montré l'importance des distinctions établies par les enfants entre le temps de l'étude et le temps des loisirs, Louise Limberg souligne qu'en cherchant à pallier les lacunes des bibliothèques scolaires, les bibliothèques pour enfants risquent en réalité d'aller à l'encontre du but recherché : il n'est pas exclu, en effet, que les enfants qui les fréquentent spontanément pour lire et s'instruire cessent d'y voir des espaces de détente, propices au déploiement de l'imagination (19).
Autant de problèmes qui, selon moi, sont aussi intéressants qu'importants, mais qui excèdent le cadre de cette présentation. La tendance actuelle va plutôt vers une collaboration aussi étroite que possible entre bibliothèques scolaires et bibliothèques pour enfants, en ce qui concerne la lecture en général et l'accès aux livres. Un rapport international publié il y a quelques années établissait que le niveau de compréhension textuelle des élèves suédois était l'un des meilleurs du monde (20).
Aujourd'hui, la Suède vit à son tour à l'heure des études alarmantes sur la maîtrise insuffisante de l'écrit par les jeunes et leur manque de goût pour la lecture. Les crédits débloqués par le gouvernement pour l'achat de livres pour enfants dont il a été question ci-dessus sont, jusqu'à présent, essentiellement allés aux bibliothèques scolaires ; tel est le constat établi par Siv Hågård, membre du Conseil national des affaires culturelles, dans un récent rapport sur l'utilisation de ces fonds. Dans le même temps, la coopération entre bibliothèques pour enfants et bibliothèques scolaires s'est intensifiée (21). Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que l'imagination et la détente en sont désormais bannies ! D'innombrables articles insistent au contraire sur la créativité et le plaisir que procure la lecture. Les enfants se chargent eux-mêmes de choisir les ouvrages commandés, ils organisent des discussions sur des livres à l'intention des plus jeunes et élisent le « meilleur livre de l'année » à l'occasion d'un concours international, « The book jury ».
Le livre et la lecture
Malgré les restrictions budgétaires, le livre et la lecture en tant qu'activité restent toujours la raison d'être des bibliothèques pour enfants suédoises, qui n'ont pas renoncé à l'ambition de « s'adresser à tous les enfants sans exception ». L'offre de livres-cassettes proposés à côté des livres imprimés est un bon moyen de fidéliser ceux qui ont des difficultés à lire – souvent lorsque leurs parents sont immigrés (22). Maintes bibliothèques travaillent expressément en direction d'enfants atteints de handicaps, comme la « Bibliothèque Pomme » de Härnösand, abritée dans la section enfantine de la bibliothèque centrale du comté, et équipée pour accueillir des enfants handicapés (23).
Il ne fait pas de doute pour le personnel des bibliothèques suédoises que sa mission consiste notamment à encourager les enfants à devenir des lecteurs. Dans son article, « Bibliothèques en mutation », où il décrit une étude en cours, le professeur Lars Höglund cite les réponses envoyées par les conservateurs, les bibliothécaires et les agents techniques des établissements contactés. Tous ces professionnels aux postes bien différents soulignent à l'unanimité que la promotion de la lecture auprès des enfants est un des aspects essentiels du travail de la bibliothèque (24)
Remarques d'un observateur français
Il y a dix ans, un étudiant français, Benoît Tuleu, le premier Français à avoir participé à notre programme de coopération Erasmus, a visité plusieurs de nos bibliothèques afin d'étudier « le modèle suédois ». Dans son mémoire, « L'interrogation d'un modèle : les bibliothèques pour enfants en Suède », il souligne en conclusion que « les bibliothèques suédoises ont des pratiques parfaitement adaptées à leurs objectifs encore empreints de tradition religieuse, morale, pédagogique et égalitaire ». Selon lui, cet arrière-plan et le contexte que connaissaient alors ces bibliothèques constituent des conditions spécifiques qui, en tant que telles, ne permettent pas l'exportation du « modèle » (25).
S'agissant de la valeur accordée à l'écrit, Benoît Tuleu signale les différences évidentes entre la Suède, « où le livre est sacralisé », et la France : alors que, dans ce dernier pays, les bibliothèques sont, dit-il, des médiathèques, les collections des bibliothèques suédoises comprennent au total moins de 1 % de supports autres que le livre (documents sonores, cassettes vidéo, etc.). Benoît Tuleu, me semble-t-il, analyse de façon très claire le travail réalisé par les bibliothèques suédoises en direction des enfants, ainsi que la priorité qu'elles accordent au livre et à la lecture, et j'espère que cet article aura montré que l'image qu'il en donne est toujours d'actualité.
Les bibliothèques pour enfants d'aujourd'hui
Si Benoît Tuleu revenait maintenant en Suède, je suis persuadée qu'il reconnaîtrait les bibliothèques pour enfants, toujours bien équipées, agréables et parfaitement adaptées à leur mission. Ceci étant, quelques changements se sont produits.
Le plus notable est peut-être l'entrée en masse de l'ordinateur dans ces bibliothèques. Si, jusqu'à présent, ce nouvel outil a coexisté avec les autres supports, des voix s'élèvent pour en prôner un usage plus interactif et certaines bibliothèques étudient déjà d'autres moyens de l'utiliser dans leur section enfantine. De nombreux établissements possèdent aujourd'hui un fonds de cédéroms interactifs, ainsi que des bases de données pour la recherche documentaire ; quelques-unes ont élaboré des catalogues informatiques adaptés aux enfants (26). Dans le même ordre d'idées, des bibliothèques pour enfants ont créé leur page d'accueil sur le réseau Internet. C'est le cas, par exemple, de la « Barnens Bibliotek » (La bibliothèque pour enfants), qui propose, sur son site, de l’information et des liens adaptés aux enfants. Ceux-ci peuvent participer d’une façon interactive avec les ordinateurs et ont la possibilité, par exemple, d’échanger leurs réactions sur leurs livres préférés ou encore d’écrire des histoires, etc. (27). Un autre exemple est celui de la « Barnens Polarbibliotek » (La bibliothèque de littérature policière pour enfants), qui ambitionne de devenir « une bibliothèque modèle pour une région multiculturelle ; une bibliothèque où la technologie de l'information prendra une part importante au côté des livres, des revues et autres publications, des documents audiovisuels et des cédéroms » (28). Ce projet, lancé au départ par la bibliothèque du comté de Norrbotten, s'est d'ores et déjà étendu à la Norvège et à la Finlande et il devrait même, dans l'avenir, trouver des relais en Russie.
Benoît Tuleu ne manquerait pas non plus de remarquer que les enfants ont maintenant une autre approche de la bibliothèque. Ils se servent beaucoup plus que par le passé de ses équipements et sont séduits par les nouveaux supports.
Trois souhaits pour l'avenir
L’objectif du tableau ci-dessus est de montrer le changement dans les usages de la bibliothèque chez les enfants de 9 à 14 ans. On peut, bien sûr, en tirer différentes conclusions. Personnellement, je les exprimerai dans les trois souhaits suivants.
Le livre et la lecture forment à eux deux le pivot de la bibliothèque pour enfants. Je souhaite que les bibliothécaires pour enfants puisent la force et l'inspiration de développer leur action dans trois domaines, tous essentiels pour le livre – et pour la lecture.
Mon premier souhait est que ces bibliothèques soient des lieux où les enfants se rendent spontanément, en quête d'un savoir qui émane de leur curiosité et de leur goût de découvrir.
Mon deuxième souhait est qu'elles deviennent de merveilleux endroits où les enfants se retrouvent pendant leur temps libre, et qui leur procurent de quoi prolonger leurs joies et leurs rêves.
Mon troisième souhait est qu'elles parviennent à saisir et à nourrir les expériences des enfants, leurs désirs, leurs exigences, sollicitent leurs avis, les associent à leur devenir en tant que partenaires et acteurs.
Mars 1999