L'espace pour les enfants dans les bibliothèques publiques
Pierre Riboulet
Pour favoriser la fréquentation des bibliothèques et la pratique du livre et de la lecture, le premier public à atteindre est celui des enfants. Il est donc nécessaire de prévoir, à l'intérieur du bâtiment bibliothèque, un espace particulier qui puisse les accueillir de la meilleure façon et où ils trouvent leur place. Pierre Riboulet, qui ne propose pas de recette toute prête chaque projet doit être l'occasion de développer une recherche spécifique, a traité de cette question à trois reprises : lors de la construction de la bibliothèque pour enfants de la Joie par les livres, à Clamart, et de celles de l'hôpital Robert Debré et de la Bibliothèque francophone multimédia, à Limoges.
To encourage the frequentation of libraries and the practice of reading, the first audience to attend to is children. It is necessay therefore to foresee, inside the library building, a particular space which can receive them in the best fashion possible and where they can find their place. Pierre Riboulet, who does not offer a ready-made recipe each project must be the occasion for developing specific research, has considered this question in three cases: that of the construction of the library for children at Clamart, that of the Robert Debré hospital and that of the Francophone multimedia library at Limoges.
Um den Publikumsverkehr in den Bibliotheken und die Buch- und Lesepraxis zu fördern, bilden die Kinder das erste Publikum, das es anzusprechen gilt. Deshalb ist es notwendig, innerhalb des Bibliotheksgebäudes einen angemessenen Raum vorzusehen, in dem man sie aufs Beste empfangen kann, und wo sie ihren Platz finden. Pierre Riboulet, der kein Patentrezept zur Verfügung hat, jedes Projekt bietet Anlass spezifische Nachforschungen anzustellen, hat diese Frage zu drei verschiedenen Gelegenheiten behandelt: zur Erbauung der Kinderbibliothek « La Joie par les livres » in Clamart, zu der des Krankenhauses Robert Debré und der frankophonen Mediathek in Limoges.
Au cours des dernières Assises des bibliothèques pour la jeunesse, certaines voix exprimaient l'idée que les enfants ne devaient pas avoir de lieu qui leur soit spécialement affecté dans la bibliothèque, mais qu'au contraire, ils devaient pouvoir aller partout, librement, et que c'était là le meilleur moyen pour les habituer à fréquenter cet établissement. Si l'on peut comprendre assez bien cette position au plan théorique – et, en effet, toute ségrégation, même purement fonctionnelle, entraîne de mauvais rapports entre les personnes, une perte de substance intellectuelle et sociale –, on peut être plus réservé quant à son application pratique. J'aurais pour ma part, sur cette question, un avis plus nuancé.
Il me paraît clair qu'il faut favoriser par tous les moyens la fréquentation des bibliothèques publiques et la pratique du livre, spécialement aujourd'hui où l'on assiste au déferlement de technologies nouvelles, plus ou moins virtuelles, apparemment plus « faciles », quasi instantanées et qui risquent de mettre à mal le support imprimé dans ce qu'il a de plus essentiel. La première chose est de s'adresser aux enfants. S'ils trouvent le chemin de la bibliothèque et des livres, on peut espérer qu'ils en garderont une habitude féconde et que leur vie d'adultes en sera enrichie.
Un lieu à soi
C'est précisément pour atteindre cet objectif qu'il me semble nécessaire de prévoir pour eux, dans le bâtiment, des endroits capables de les accueillir de la meilleure façon. S'agit-il de lieux coupés du reste de l’équipement ? Évidemment non. Il est indispensable, par exemple, que l'entrée soit la même pour tout le monde, aussi bien que l'accueil et les différents services communs. Il est également indispensable que les enfants « voient » toutes les parties de la bibliothèque, en particulier les salles de lecture des adultes sans pour autant avoir à les traverser, ce qui garantit le silence et la tranquillité. Il serait bon qu'ils voient aussi les magasins, les zones de travail et de manutention (mais ceci serait vrai pour les adultes eux-mêmes), tout ceci afin de prendre conscience, progressivement, de la complexité de l'édifice, de sa richesse fabuleuse.
Il n'empêche qu'au terme de ce parcours, de cette traversée, l'enfant doit trouver sa place dans la bibliothèque, un endroit qui soit fait pour lui, dans lequel il se sente comme dans sa maison, dans son monde. C'est là un sentiment – un besoin (?), bien que ce terme soit très ambigu – qu'il me semble absolument indispensable de satisfaire. Avoir un lieu à soi, une attache. A l'inverse, combien de fois a-t-on pu constater les effets néfastes de ce manque, de l'inadaptation de l'espace aux facultés d'épanouissement des individus ? En même temps, l'espace des enfants doit appartenir pleinement à la bibliothèque.
La plus grande erreur serait, selon moi, « d'infantiliser » les lieux qui leur sont consacrés. Il ne s'agit pas par exemple de construire des maisons de poupées, de réduire artificiellement toutes les dimensions, de développer des décors « bébêtes » sous prétexte de se mettre « à la hauteur » des enfants. Il se trouve que ceux-ci, avant qu'ils ne soient modelés par le système éducatif, ont une perception spontanée beaucoup plus juste d'eux-mêmes et des autres, du monde dans lequel ils sont, sans le réduire ni l'abaisser et qu'ils ont surtout une capacité créatrice stupéfiante pour bâtir leur propre monde, le décrire et le représenter notamment par les dessins.
Les enfants inventent perpétuellement des histoires seuls ou en groupe, et ce monde imaginaire a pour eux la même réalité que le monde réel qu'ils ré-enchantent en permanence. On voit bien tout ce que le livre peut leur apporter dans ce domaine, comment ils sont immédiatement en accord et de plain-pied avec lui. La bibliothèque qui leur est destinée doit être le lieu privilégié de ce rapport.
Pour ce faire, il n'y a évidemment pas de recette toute prête. Chaque projet doit être l'occasion de développer une recherche spécifique qui devra faire apparaître une solution adaptée au site, au contexte, à l'âge des enfants, car il y a bien évidemment de grandes différences entre les tout-petits et les pré-adolescents. Ce sera à chaque fois une question de proportions, de lumière et d'ombres, d'échelle, de matériaux, toutes choses ou catégories qui appartiennent précisément au langage de l'architecture. On aura soin, en plus des espaces de lecture, de prévoir un atelier où les enfants pourront peindre et dessiner, un endroit pour lire des histoires, des rayonnages de toutes sortes, un magasin de préférence visible et visitable. Il y a là de grandes possibilités d'agencements et de combinaisons, permettant toute la diversité nécessaire, les transitions, les passages.
Des espaces intimes et protecteurs
J'ai eu l'occasion, à deux ou trois reprises, au cours de mon activité professionnelle, de traiter cette question.
La première fois au sein de notre atelier de Montrouge, dans les années 60, lors de la construction de la bibliothèque pour enfants de La Joie par les livres, dans la cité de La Plaine à Clamart. C'était la première construction de ce genre, qui s'adressait – qui s'adresse toujours – aux enfants, un édifice qui leur soit spécialement dédié, au sein de cette immense cité de plusieurs centaines de logements réalisée par Robert Auzelle. Gérard Thurnauer qui, au sein de notre atelier, conduisait ce projet, a eu la magnifique intuition de proposer une construction formée d'un assemblage de cylindres de différents diamètres emboîtés les uns dans les autres et créant à chaque fois, que ce soit pour les pièces fermées ou les lieux ouverts ou encore les jardins protégés par des murs, courbes eux aussi, des espaces intimes et protecteurs, enveloppants, dans lesquels les enfants ont immédiatement trouvé leur place.
Si la métaphore de la courbe, évoquant la protection maternelle par excellence, le giron, les bras qui doucement se referment, montrant qu'aucun danger extérieur n'est plus à craindre, peut sembler un peu littérale, voire convenue, il se trouve que l'espace qu'elle engendre fonctionne toujours très bien pour les enfants, aussi bien peut-être que pour les adultes qui ne sont pas non plus à l'abri de quelque frayeur existentielle.
Je l'ai reprise, moi-même, à plus grande échelle, pour cette immense construction de l'hôpital pour enfants Robert-Debré à Paris. Cette grande courbe qui, d'un seul mouvement, compose tout le site fait que l'on se sent ici en sécurité, par la simple raison peut-être, qu'en regardant par la fenêtre, on aperçoit au-dehors le bâtiment dans lequel on se trouve et que la coupure intérieur-extérieur, toujours inquiétante, s'en trouve effacée. Dans ce programme aussi, il y avait une bibliothèque pour les enfants malades, quelque 40 m2 utiles dans un ensemble qui avoisinait 40 000 m2 ! J'ai choisi de les extraire de cet anonymat dans lequel ils auraient pu se perdre, pour les placer dans une position exemplaire, le long de la galerie publique, proche de l'entrée, en face du petit café ouvert au public et activement fréquenté. La bibliothèque est ici comme une vitrine qui rayonne dans tout l'hôpital, même en dehors de ses heures d'ouverture. Elle diffuse son message dans les chambres pour les enfants immobilisés. Elle est l'un des éléments essentiels de la Maison de l'enfant dont l'importance, réelle et symbolique dans un tel milieu, dépasse largement sa mesure quantitative, qui est minuscule. Il est normal qu'il en aille ainsi, c'est bien l'enfant, toujours, qui est porteur d'avenir.
La bibliothèque multimédia de Limoges
Enfin et plus récemment à Limoges, au sein de la grande bibliothèque multimédia, qui est en service depuis septembre 1998. Il s'agit là d'un projet ambitieux pour la ville et la région. Dès le stade du concours d'architecture en 1993, à la suite d'un excellent travail de programmation, la bibliothèque pour les enfants était parfaitement définie, dans le sens même que nous venons d'évoquer ici au plan général, comme une unité indépendante, mais non séparée de l'ensemble.
La bibliothèque occupe une place remarquable au centre de la ville, jouxtant l'hôtel de ville et incorporant un bâtiment historique, développant une longue façade du XVIIIe siècle. Le tout est fondé sur une partie de l'ancien forum romain. Le bâtiment neuf forme un rectangle en plan dont les deux tiers environ sont occupés par la grande salle de lecture organisée en deux niveaux, avec mezzanine. Le restant du plan est occupé, au rez-de-chaussée par le hall d'accueil, les expositions temporaires et un petit café, la bibliothèque des enfants est située au premier étage au-dessus de ces mêmes éléments (cf. plans page ci-contre).
Un vaste plateau vitré
La bibliothèque pour enfants occupe un vaste plateau intégralement vitré sur ses trois façades qui forment une sorte de proue s'avançant vers la ville. La ville, – c'est-à-dire ses avenues, ses lumières, ses signaux, son mouvement, c'est-à-dire la vie même –, est directement présente dans la bibliothèque (bien protégée du bruit, évidemment, par des glaces épaisses). À l'inverse, depuis la rue, l'entrée, les quartiers alentour, la bibliothèque pour les enfants est le signe de la bibliothèque tout entière. Le rapport de réciprocité est essentiel, les enfants sont la vie même (cf. photo ci-dessus).
On y accède directement par un escalier droit à partir du contrôle du prêt central, sans avoir à traverser la bibliothèque des adultes, mais en étant en communication visuelle avec elle. Les deux escaliers se font face, la pratique de la bibliothèque est d'une grande simplicité et d'une grande évidence. Le bâtiment tout entier montre le chemin des livres, ouvre littéralement les bras. Cette disposition architecturale semble confirmée par le grand succès public qui marque l'édifice depuis son ouverture.
Le plateau vitré des enfants est un rectangle dont le centre en plan est occupé par une forme elliptique regroupant la salle du conte et la salle d'animation-atelier. Ces deux salles communicantes disposent d'un éclairage zénithal et d'une frise continue de châssis vitrés en imposte. De cette manière, ce volume intérieur n'est pas coupé du plateau, mais donne à ce dernier une structure sous forme d'un parcours organisé par le mobilier, sans rompre l'unité de l'ensemble. Le parti retenu ici est une progression selon les âges : en face de l'accueil, les petits, puis les moyens, les grands et enfin les adolescents, telle une spirale s'enroulant autour des salles centrales. Dans l'organisation générale, il n'y a pas de séparation entre les âges. Les étagères et les tables de lecture « rayonnent » autour du centre. Le mobilier marque une évolution adaptée à chaque catégorie, mais il est dessiné selon le même principe que celui de la bibliothèque multimédia et utilise les mêmes matériaux, bois de bouleau et acier laqué noir, de façon à ne pas différencier la section jeunesse du reste du bâtiment. Les rayonnages, décollés du sol, comportent des tablettes et des montants métalliques, dans de grands cadres en bois clair (cf. plan ci-dessous).
Les tables sont formées d'un grand plateau épais de 2,40 m x 1,40 m en bouleau et de pieds métalliques. Elles sont disposées le long des façades afin de bénéficier de l'éclairage naturel direct et de la vue sur l'extérieur. Le sol est revêtu d'une moquette gris bleuté.
On aura compris que le mobilier joue un rôle important pour caractériser la bibliothèque des enfants. Il fait littéralement partie de l'architecture, et ne devrait pas être traité séparément comme cela est souvent le cas pour des raisons administratives ou des questions de crédits. Ici, nous avons eu la chance d'être chargés de cette mission. Frédérique Keller et Bruno Huerre, architectes, membres de mon équipe, ont donc pu dessiner l'ensemble de ces meubles et en suivre la réalisation.
La banque d'accueil, située en face de l'arrivée du grand escalier est identique aux autres banques, mais elle est plus basse et sa hauteur est adaptée aux enfants.
Des petits aux grands enfants
Pour les petits enfants qui ne savent pas encore lire, la découverte du livre s'apparente à un jeu. Ils doivent pouvoir bouger, toucher... On a imaginé ici un « podium » formé d'une quarantaine de coussins de 60 cm x 60 cm, de trois hauteurs, 15, 30 et 45 cm et de trois couleurs, attachés entre eux par des bandes« Velcro », et qui peuvent être déplacés et assemblés de façons différentes, comme un jeu de cubes. Entre les coussins, sont disposés des bacs en bois, également de 60 cm x 60 cm, avec des séparations en bois pour recevoir livres et albums. Cet aménagement crée un jeu autour du livre, les enfants pouvant évoluer dans toutes les positions, au contact du tissu et du bois (cf. plan et photo ci-dessus).
Autour de ce podium, des chauffeuses sont disposées pour les parents. Les petits enfants, évidemment, ne sont jamais seuls dans la bibliothèque, l'accueil des parents est donc très important.
Les plus « grands » des petits trouvent ensuite les livres dans de petits bacs sur pieds : ces bacs sont du même bois que l'ensemble des rayonnages, cloisonnés aux dimensions des albums ; ils sont munis de fonds en caoutchouc, faciles à nettoyer. A proximité, on trouve des tables basses et des tabourets. Dans cette zone est également installé un poste de consultations « OPAC BAMBINS » pour familiariser les petits avec l'outil informatique. L'écran est fixé sur une table basse avec un clavier intégré au plateau de la table.
Pour les moyens et les grands, les premiers rayonnages sont disposés dans la continuité de l'espace des petits. On a dit qu'il n'y a jamais de frontière nette entre les zones, les enfants doivent pouvoir aller partout et à tout âge. Ces rayonnages ont une hauteur adaptée : 1,40 m pour les moyens, 1,60 m pour les plus grands. En tête de chaque rayonnage dans cette zone, des vitrines avec éclairage intégré permettent de mettre le livre en scène et de créer des expositions thématiques (cf. photos ci-dessous et page ci-contre). Le livre est ici utilisé comme objet et support d'image autant que de texte à lire. L'exposition se prolonge et se développe sur la cimaise formée par la paroi extérieure de la salle elliptique, paroi entièrement revêtue de bois clair, à laquelle les vitrines font face. Les tables de lecture sont situées en façade, dans le prolongement des rayonnages. Plusieurs postes de consultation informatique sont implantés au milieu des livres, disposés sur des plateaux intégrés aux rayonnages. Les étagères basses sont élargies pour devenir places de consultation.
Les adolescents
Pour les adolescents enfin, l'aménagement se rapproche de celui des adultes. Les rayonnages ont deux mètres de hauteur. En plus des tables de lecture, une zone de bacs avec des tables basses et des chauffeuses est aménagée pour lire les bandes dessinées dans une ambiance moins studieuse.
Il est à noter que cette section est en liaison directe avec la bibliothèque des adultes située à quelques mètres, au même niveau. C'est là que l'on trouve en particulier la discothèque et le petit auditorium pour l'écoute des disques. La transition est toute naturelle.
Au centre du plateau, la salle de l'heure du conte est équipée comme une salle de spectacle, avec écran et estrade, le tout étant amovible. Sur le pourtour, un banc en bois, filant et fixe, permet, si l'on veut libérer l'espace central de la salle, de ranger au-dessous les coussins de couleur. Les murs sont revêtus de bois perforé permettant d'obtenir les performances acoustiques requises, pour l'absorption et l'isolement.
La salle d'animation est simplement équipée de tables de travail mobiles permettant des dispositions variables pour les séances de travail en groupe. Sur la périphérie, des rayonnages courbes accueillent les usuels (cf. plan ci-dessus).
Il y a lieu d'indiquer, pour refermer la boucle, que l'espace compris entre les adolescents et la banque d'accueil est traité en espace ouvert et libre. On trouve là l'escalier qui mène aux bureaux des bibliothécaires et au magasin, centre de ressources pédagogiques. Ce lieu est dédié aux expositions temporaires, aux animations diverses. Par exemple, des peintres et des graphistes viennent y travailler avec et pour les enfants. Il va sans dire que nous n'avons pas élaboré ce projet à partir de nos propres idées. C'est le fruit d'un travail collectif et d'une collaboration étroite, permanente et fructueuse avec tous les utilisateurs, en particulier la directrice de la section jeunesse et le directeur de la bibliothèque multimédia, depuis l'élaboration du programme détaillé jusqu'à la mise au point des dessins et des prototypes. Il ne peut en aller autrement.
Je me suis permis de citer assez longuement ici cette expérience de Limoges, non pas, bien évidemment, pour en faire un modèle, mais au contraire pour montrer l'exemple d'un travail adapté à un lieu, à une époque, à un moment de l'évolution des esprits, en espérant que sa relation pourra être utile à d'autres réalisations.
J'espère avoir montré combien la question des bibliothèques pour les enfants est importante aujourd'hui. Sans nier la force quasi irrépressible des nouveaux moyens de communication, nous ne devons pas nous résigner, me semble-t-il, au déclin – et moins encore à la disparition du livre dans ce qu'il a d'irremplaçable. C'est en nous adressant aux enfants que nous avons la meilleure chance d'y parvenir.
Mars 1999