La bPI à l'usage, 1978-1995

analyse comparée des profils et des pratiques des usagers de la BPI du Centre Georges Pompidou

par Martine Poulain

Christophe Evans

Paris : Bibliothèque publique d'information, 1998. 184 p. ; 21 cm. (Études et recherche). ISBN 2-84246-028-6. ISSN 0993-8958. 95 F

En 1995, la Bibliothèque publique d'information (BPI), fidèle à ce qui est devenu une tradition, lançait sa quatrième grande enquête auprès de son public.

Inaugurées peu après l'ouverture, dès 1978, les enquêtes générales auprès des publics ont été renouvelées en 1982, 1988 et 1995, contribuant à la fondation d'une sociologie des publics des bibliothèques. Cette constance autorise un bilan de près de 20 ans de fréquentation et d'usage des services de cette grande bibliothèque, auquel se livre Christophe Evans.

Ces grandes enquêtes ont été accompagnées de nombreuses autres, plus ciblées ou plus qualitatives (sur les usagers des bases de données, sur le recours au service de réponses par téléphone, sur le rapport aux classifications ou à l'espace, etc.). C'est nourri de toutes ces enquêtes que Christophe Evans propose son analyse.

Une bibliothèque publique étudiante

Un chiffre, que rappelle opportunément Christophe Evans dans une note, est, en soi, exemplaire : 13 % des Français auraient, selon une enquête du CREDOC, fréquenté à un moment de leur vie, la BPI. Voilà une preuve de l'importance nationale (et historique) de cette bibliothèque.

Celle-ci est devenue, au fil du temps, et malgré elle, une bibliothèque étudiante : les étudiants représentent aujourd'hui plus de 72 % du public (55 % à l'ouverture). Cette tendance à un investissement massif de la BPI par les étudiants s'est donc largement renforcée au fil des ans. On en connaît les causes : massification de la population étudiante (autour de 2 millions d'étudiants aujourd'hui), lacunes dans l'offre de bibliothèques universitaires en Ile-de-France. Ce qui n'empêche pas les bibliothèques universitaires elles-mêmes d'avoir vu leur fréquentation s'accroître de manière vertigineuse, on le sait. Mais les besoins sont immenses Les lycéens, eux, déjà peu nombreux à l'ouverture, ont vu leur part décroître pour ne plus représenter que 4,5 % des usagers aujourd'hui. Autre problème, inverse...

Mais on préférera l'expression bibliothèque étudiante à celle de bibliothèque universitaire, pour au moins trois raisons. Les étudiants ne viennent pas à la BPI seulement pour étudier : ils y viennent aussi dans le cadre d'autres activités, liées à leur culture personnelle ou à des besoins de documentation ou de loisir autres. Les collections et services proposés par la bibliothèque s'efforcent de ne pas ressembler à ceux d'une bibliothèque universitaire. Et c'est bien malgré elle que la BPI a subi cette évolution, la volonté successive des différents directeurs et des équipes en place ayant toujours été de préserver et amplifier la vocation de lecture publique de cet établissement. 23 % des usagers appartiennent encore aux différents groupes sociaux formant la population française et fréquentent avec assiduité cette bibliothèque, associée ou non à la fréquentation d'autres bibliothèques d'Ile-de-France.

La population, d'autre part, s'est féminisée, tendance cette fois inverse de celle qui avait longtemps prévalu, qui en faisait un lieu à dominante masculine. L'usager type de la bibliothèque est aujourd'hui une jeune femme, « étudiante, de niveau bac + 3 ou 4, ayant suivi une formation de type lettres ou sciences humaines, de nationalité française, résidant à Paris, venue avec un motif précis et ayant passé près de trois heures dans l'enceinte de la bibliothèque ».

Assidus, amateurs d'imprimés

Cette sur-représentation étudiante n'est pas sans marquer les modalités d'usage de la bibliothèque. La force de la prescription liée au travail universitaire a des conséquences sur l'usage de la bibliothèque, plus studieux que jamais, et, par conséquent recentré de plus en plus sur l'imprimé : le pari multimédia de la BPI est ainsi mis à rude épreuve, quand bien même cette offre là aussi est très utilisée et objet de constants soins d'actualisation et de modernisation. Le plus fort taux d'attraction va toujours aux sciences sociales, aux arts et loisirs (classe 7 de la CDU) et aux sciences et techniques. Mais la littérature et l'histoire sont également très consultées, la littérature étrangère par exemple étant aujourd'hui plus consultée que par le passé, fait encourageant pour une bibliothèque qui a fait l'effort d'acquérir des collections importantes de littérature du monde entier. Les périodiques sont eux aussi l'objet d'un usage intensif, 20 % des usagers y ayant recours.

La fréquentation devient de plus en plus ciblée, liée à des objectifs et nécessités du cursus universitaire et la venue l'esprit libre, sans intention préalable, dans la seule idée de se laisser tenter par l'offre, apparaît obligatoirement en reflux chez tous les usagers. La fréquentation de la bibliothèque est plus contrainte qu'autrefois.

Mais si, par exemple, 31 % des usagers y viennent pour travailler sur leurs propres documents, seuls 11 % s'en contentent, les autres se laissant tenter par l'offre une fois entrés dans le lieu, ce qui est le but même d'une bibliothèque. Christophe Evans souligne ainsi le rôle d'acculturation de la bibliothèque, lieu aussi de sociabilité et de socialisation.

On le sait maintenant, les bonheurs du libre accès n'invalident pas le besoin de médiation : le tiers des usagers de la BPI avait utilisé les catalogues informatiques le jour de l'enquête, les deux tiers s'en étant servi lors d'une de leurs précédentes visites ; et le quart avait demandé des renseignements aux bibliothécaires le jour de l'enquête, les deux tiers y ayant eu recours lors d'une visite précédente. L'usage des catalogues serait donc plutôt en croissance, témoignant d'une forme de conquête d'une autonomie et d'un savoir-faire. Une conquête toujours socialement différenciée : ce sont les plus diplômés qui en sont les plus experts, les jeunes les utilisant peu. D'où l'importance, à la BPI comme ailleurs, de la formation des utilisateurs.

Christophe Evans a dressé là un portrait fidèle, tout en nuances, porté par un style agréable et clair. Nul doute que la bibliothèque s'est appuyée sur les résultats de cette étude pour repenser son offre à la réouverture en l'an 2000. Les usages et les publics ont certes, pour une part, résisté à l'utopie. Mais, depuis vingt ans, la BPI aura familiarisé des centaines de milliers de personnes avec l'idée même de bibliothèque moderne, ouverte à tous et à tous les besoins.