Les plans d'achats

Bibliothèque municipale de Brest

Yannick Lucéa

La bibliothèque municipale de Brest qui comprend onze établissements a contribué à renforcer la cohésion de son réseau par la formalisation de ses achats. Cet article décrit la méthode et les moyens mis en uvre pour atteindre ce but, notamment l'évaluation des collections. Aujourd'hui, toutes les sections du réseau rédigent des plans d'achats qui fixent pour un an des objectifs quantitatifs et qualitatifs. L'utilisation concrète de ces plans d'achat est expliquée, comme sont annoncées les améliorations à venir.

Brest Public Library, which comprises eleven sites, has contributed to reinforcing the cohesion of its network by formalizing its acquisitions. This article describes the method and the means used to attain this goal, notably the evaluation of its collections. Today, all sections of the network report acquisition plans which fix their qualitative and quantitative objectives for one year. The concrete use of these acquisition plans is explained, as are announcements on future improvements.

Die Stadtbibliothek Brest, die elf Einrichtungen umfaßt, hat durch die Systematisierung ihrer Erwerbungen dazu beigetragen die Kohäsion ihres Netzes zu verstärken. Dieser Artikel beschreibt die zur Erreichung des Ziels eingesetzten Methoden und Mittel, insbesondere die Evaluierung der Bestände. Gegenwärtig erstellen alle vernetzten Abteilungen Erwerbungspläne, die für ein Jahr quantitative und qualitative Ziele festlegen. Die konkrete Verwendung dieser Erwerbungspläne wird erläutert, genauso wie die zukünftigen Verbesserungen angekündigt werden.

Voici quatre ans, la bibliothèque municipale de Brest a choisi de repenser les modalités de sa politique d’acquisition. Cette décision, juste antérieure à la sortie du livre de Bertrand Calenge 1, peut s’expliquer par la nature même du réseau de lecture publique brestois – composé de onze établissements répartis sur la ville –, et par les problèmes particuliers qu’il pose. L’harmonisation des achats, la mise en cohérence des fonds sont en effet des éléments forts permettant de mieux relier entre elles les bibliothèques d’un réseau.

Comme le montre le tableau ci-contre, les niveaux d’activité du réseau sont élevés, et notamment les prêts. Leur nombre important, mis en rapport avec un budget d’acquisition relativement faible, induit un vieillissement accru du fonds qui justifiait peut-être ici plus qu’ailleurs une vérification minutieuse de la pertinence des achats effectués.

Mise en place d’une politique documentaire

En 1994, un groupe de travail fut constitué qui avait pour tâche d’examiner les achats, leurs motivations, leurs conditions et leurs conséquences. Le constat fut le suivant :

– dix sections adultes et neuf sections jeunesse achètent indépendamment les unes des autres ;

– à l’exception de la bibliothèque d’étude, les achats s’effectuent sans distinction de grade. Sur le réseau, une cinquantaine d’agents et d’assistants achètent régulièrement pour leur section ;

– les achats ont lieu dans les principales librairies brestoises. Chaque équipe se déplace selon ses disponibilités ;

– pour des raisons administratives, les achats s’achèvent fin octobre ;

– les achats, à quelques rares exceptions près, ne sont pas formalisés. Ils relèvent de pratiques répétées et transmises, de présupposés qui n’ont jamais été mis par écrit. Seules deux ou trois sections rédigent des documents servant à cadrer les achats ;

– les outils d’évaluation, comme les taux de rotation, restent marginaux. Les statistiques délivrées par le système informatique, faute de temps, sont inégalement consultées ;

– quelques fonds thématiques (romans policiers, littérature contemporaine, emploi-formation) ont été développés dans certaines bibliothèques du réseau. Cependant, d’une manière générale, une forme de saupoudrage encyclopédique prévaut. Des genres, tels que la bande dessinée ou la science-fiction, sont encore mal représentés, notamment en section Jeunesse.

De cette étude, il est ressorti qu’un certain nombre de points pouvaient – et devaient – être améliorés, ce, même si l’empirisme suivi jusqu’ici avait produit des résultats flatteurs.

Les objectifs

La volonté de formaliser et d’harmoniser les achats s’est déclinée en objectifs précis :

– élaborer des plans d’achats simples et souples d’utilisation. Après avoir confronté nos avis à la méthode préconisée par Bertrand Calenge, nous avons décidé de rédiger une charte des collections et de mettre au point des plans d’achats annuels répondant à nos exigences et nos contraintes propres ;

– développer des fonds thématiques, véritables points forts, dans chaque bibliothèque de quartier ;

– améliorer les conditions d’achat et améliorer la formation des bibliothécaires ;

– partager les compétences. Une bibliothèque ne doit pas se trouver bloquée dans ses achats sous prétexte que l’équipe en poste n’est pas compétente dans un domaine donné. Nous souhaitions que, sur le réseau, des personnes passionnées par un sujet ou un genre littéraire s’affirment comme telles et soient, à ce titre, connues de l’ensemble des équipes pour guider et conseiller.

Les enjeux

La formalisation des achats, du point de vue des bibliothécaires, n’est évidemment pas neutre : elle touche aux habitudes, au savoir-faire, au cœur même de notre métier.

C’est pourquoi elle suscite des inquiétudes, de la méfiance, voire de l’hostilité, auxquelles il convient de répondre en indiquant que sont seulement créés des outils.

Les plans d’achats, qui ne valent que par ceux qui les rédigent et les utilisent, peuvent prolonger des pratiques anciennes comme en arrêter fermement les dérives. Leur mérite réside essentiellement dans le suivi qu’ils imposent. Ils dégagent, certes, des objectifs, mais, surtout, donnent aux bibliothèques le moyen de les atteindre.

Les plans d’achats – correctement rédigés s’entend, c’est-à-dire ajustés aux missions de la bibliothèque – sont tout à la fois des justificatifs, des garanties et des garde-fous. Ils sont le gage d’une plus grande rigueur. Dans ces conditions, comment le recadrage des achats pourrait-il être contesté lorsqu’il a pour but, entre autres, d’accorder moins de place aux goûts personnels, aux modes stupides, au politiquement correct, au prêt-à-penser, au tiède et au médiocre ?

Enfin, qu’on ne s’y trompe pas, une telle démarche est également liée aux ressources financières de la bibliothèque. En effet, un document acheté mal à propos, sans qu’il suscite l’envie d’être lu, sans qu’il réponde à des buts clairs et précis, n’est qu’une somme d’argent perdu. Voici un luxe que peu de bibliothèques municipales peuvent se permettre.

Les moyens

Pour atteindre les buts précédemment décrits, diverses actions ont été lancées :

– la fonction de responsable de la politique documentaire a été créée et attribuée à un conservateur ;

– un marché a été passé, découpé en lots, qui, avec leurs montants, sont des éléments primordiaux dans la mise en place d’une politique documentaire. En tant que choix, ils la préfigurent ;

– le système des achats en librairie a été réformé au profit d’une livraison des nouveautés par office à la bibliothèque. Les offices, qui sont livrés par les titulaires du marché, doivent représenter le plus fidèlement possible la variété de la production éditoriale. Parallèlement, un poste de responsable des offices et des relations avec les fournisseurs a été créé ;

– les achats ont été prolongés jusqu’à la mi-décembre.

La méthode

Afin de rédiger sa charte des collections, la bibliothèque a défini et écrit ses missions après les avoir soumises à son autorité de tutelle.

Définir ses missions

Définir ses missions est un exercice passionnant qui oblige à se poser des questions cruciales. Les réponses apportées ont une incidence immédiate sur les achats. Par exemple, si l’on affirme qu’une bibliothèque lutte contre l’illettrisme et favorise la mise à jour des acquis scolaires et professionnels, on s’engage simultanément à développer un fonds documentaire d’autoformation.

Connaître son public et ses collections

Comme chacun sait, le succès d’une bibliothèque tient à la rencontre d’un public et d’un fonds. Il paraît impossible de définir une poli- tique documentaire efficace sans connaître au mieux ces deux éléments.

Une étude sociologique menée en 1995-1996 par Christine Loquet 2 à partir du dépouillement de plusieurs centaines de questionnaires nous a permis d’en savoir plus sur notre lectorat.

La connaissance et l’évaluation des fonds se sont fondées, quant à elles, sur l’utilisation d’outils statistiques et analytiques. Les taux de rotation sont, par exemple, couramment utilisés. Des synthèses comme le tableau 2 ci-contre, réalisées avec un recul de plusieurs années pour certaines annexes, s’avèrent fort utiles.

Différentes méthodes permettent d’évaluer le niveau de ses collections, leur pertinence et la qualité des informations contenues. En 1995, Brest a mis au point des codes d’évaluation destinés à ses fonds de lecture publique. Chaque code, numéroté de 0 à 4 suivant le niveau, peut être assorti d’un corpus d’auteurs types (cf. tableau 3 et 4 ci-contre).

En plus de l’évaluation du niveau du fonds, les personnes chargées de cette tâche avaient la possibilité de consigner leurs remarques. L’état du fonds était également codé en fonction de la méthode IOUPI (ouvrages Incorrects, Ordinaires, superficiels ou médiocres, Usés, laids ou détériorés, Périmés, Inadaptés au fonds) (cf. tableau 5 ci-dessus).

Ce travail délicat, quelles que soient les garanties dont il s’entoure, n’en demeure pas moins partiellement subjectif. Il a cependant mis en valeur :

– l’ancienneté des fonds et, pour les documentaires, la présence d’ouvrages délivrant des informations dépassées, voire dangereuses (santé, droit...) ;

– des catégories d’ouvrages très développées (violons d’Ingres d’un bibliothécaire – par exemple, équitation, arts martiaux, aquarelle –, collections complètes achetées en bloc lors de l’ouverture du service, livres liés à telle ou telle mode éditoriale...) ;

– des catégories d’ouvrages absentes (mangas...) ;

– le niveau relativement homogène des documentaires, quelle que soit la bibliothèque et, au contraire, des différences parfois marquées entre les fonds de fiction, particulièrement de romans et de bandes dessinées ;

– la volonté de répondre aux demandes des lecteurs et de constituer des fonds documentaires généralistes.

Les plans d’achats

Des plans d’achats ont été réalisés dès 1995 dans deux bibliothèques pilotes. L’ensemble du réseau brestois fonctionne aujourd’hui avec ces outils. Ils ne concernent, pour l’instant, que les livres (fictions et documentaires).

Les plans d’achats sont discutés section par section en début d’année et validés par le conservateur responsable de la politique documentaire. Les budgets d’acquisition sont découpés par lots d’abord, puis par bibliothèque, et enfin par section. Chaque section sait en début d’année quelle sera la somme affectée à l’achat de documentaires et de fictions. Un prix moyen estimé des documentaires et des fictions permet de savoir approximativement quel sera le nombre d’ouvrages achetés dans l’année (par exemple, une section Adultes doit dépenser 32 400 F en documentaires ; si le prix moyen d’un documentaire est de 80 F, la section sait qu’elle achètera un peu plus de 400 ouvrages).

Les plans d’achats fixent donc pour l’année des objectifs quantitatifs (nombre d’ouvrages à acheter par classes et sous-classes Dewey ou par genre de fictions). Chaque ouvrage à acheter est représenté sous forme d’une case que l’on coche dès que le livre est effectivement réceptionné. A n’importe quel moment de l’année, il est possible de savoir si les objectifs fixés sont en passe d’être atteints ou non. Les plans d’achats sont utilisables et lisibles par tous.

Le but du jeu est évidemment de fixer également des objectifs qualitatifs en étant le plus précis possible sur le type d’ouvrages à acheter, le niveau, les éditeurs, les collections… On peut ainsi arriver au résultat décrit dans le tableau 6.

Cette procédure est déclinée pour toutes les classes et sous-classes Dewey dans lesquelles il est prévu d’acheter des livres. La même chose est faite pour les fictions, avec une répartition par genre (romans, romans policiers, science-fiction/fantastique, contes, poésie, théâtre, bandes dessinées...). Des rubriques « Divers » peuvent être créées pour faire face aux achats initialement non prévus.

Avec un recul de quatre années, le bilan nous conforte dans les choix qui ont été faits. Toutes les bibliothèques du réseau brestois travaillent à présent avec des plans d’achats. Les supports autres que le livre devraient peu à peu s’y intégrer, en particulier les vidéos et les disques compacts. Les plans d’achats de vidéos ne différeront pas fondamentalement de ceux utilisés pour les livres (séparation fictions/documentaires). Les disques compacts, en revanche, nous obligeront à inventer un modèle différent, probablement fondé sur une version simplifiée de la classification systématique utilisée pour leur indexation.

C’est un réel motif de satisfaction que de voir comment les agents et assistants des bibliothèques les plus familiarisées avec les plans d’achats se sont appropriés ces outils pour les intégrer à leur travail quotidien. Par ailleurs, les effets d’une politique documentaire raisonnée sont maintenant visibles sur les rayonnages des annexes utilisant les plans d’achats depuis plusieurs années.

Nous réfléchissons actuellement à un document unique qui présenterait sur la même page, pour chaque sous-classe Dewey ou type de fiction, les achats à effectuer (toujours selon la méthode décrite ci-dessus) ainsi que le nombre d’ouvrages à désherber.

Janvier 1999

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Tableau 1. Brest : son réseau de bibliothèques

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Tableau 2. Médiathèque de Lambézellec : fictions « jeunesse » (extraits)

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Tableau 3. Sections « adultes »

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Tableau 4. Sections « jeunesse »

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Tableau 5. Évaluation du fonds de la bibliothèque de Saint-Marc (extraits)

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Tableau 6. 004 Informatique, Internet

  1. (retour)↑  Bertrand Calenge, Les Politiques d’acquisition, Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 1994 (Bibliothèques).
  2. (retour)↑  Christine Loquet, L’Espace bibliothèque ; enquête sur les usagers du réseau de lecture publique brestois, mémoire de maîtrise, Université de Haute-Bretagne, Rennes 2, juin 1996.