Droit de prêt et projet de loi sur les bibliothèques
Agnès Marcetteau-Paul
Entre autres débats sur le droit de prêt et le projet de loi sur les bibliothèques, à défaut de la consultation nationale qu’auraient méritée de tels sujets, s’est tenue le 30 mars dernier à Nantes une journée d’étude organisée par le groupe régional de l’abf (Association des bibliothécaires français).
Droit de prêt
La matinée fut tout entière consacrée au droit de prêt. Le Syndicat national de l’édition ayant décliné l’invitation des organisateurs dans l’attente du rapport demandé à Jean-Marie Borzeix, le débat fut introduit par Claudine Belayche, de l’abf, et Baptiste-Marrey, écrivain.
La première présenta la position de l’abf à partir d’un exposé historique et juridique mettant en évidence les points suivants : l’absence de toute mention de droit de prêt dans la législation sur la propriété littéraire jusqu’aux textes concernant les vidéogrammes ; l’investissement par les éditeurs du champ de la directive européenne de 1992, alors qu’elle recommande l’instauration d’un droit de prêt en faveur des auteurs et prévoit la possibilité d’exceptions pour les établissements éducatifs et culturels.
Fut en outre esquissée une comparaison entre la proposition du Syndicat national de l’édition de percevoir cinq francs par prêt et les systèmes en vigueur dans les autres pays européens : perception au niveau gouvernemental sur la base des prêts pratiqués par une centaine d’établissements jugés représentatifs en Angleterre 1 ; formule proche en Suède ; répartition du droit de prêt entre usagers et administration en Allemagne et aux Pays-Bas ; absence de droit de prêt dans les pays du sud.
Claudine Belayche ajouta que le débat sur le droit de prêt ne pouvait ignorer que les éditeurs français bénéficient grâce au Centre national du livre d’un système et d’un volume d’aides non négligeables et peu répandus.
Baptiste-Marrey apporta ensuite le point de vue, sinon des auteurs du moins d’un auteur, et ouvrit de fort intéressantes perspectives en soulevant le problème des sociétés de perception « plus ou moins bien gérées » et en replaçant le débat dans le contexte plus général de l’évolution du marché du livre. Il rappela combien le champ culturel de l’édition française s’était à la fois rétréci et transformé depuis vingt ans, avec l’apparition des grandes surfaces du livre et la « tyrannie de la nouveauté ».
Interpellant les bibliothécaires sur leurs responsabilités en la matière, et en particulier sur leurs relations avec les libraires, il plaida pour la défense de la qualité et de la création, et les invita à mieux s’intégrer dans la chaîne du livre. Sans épuiser la question du droit de prêt, cette intervention eut le mérite – tout en rejoignant l’attachement à la gratuité réaffirmé par les bibliothécaires – de lui donner toute sa dimension culturelle et d’introduire un intéressant débat sur les politiques d’acquisition. Un échange eut notamment lieu entre les bibliothécaires, Baptiste-Marrey et un libraire présent dans la salle, sur le recours aux centrales d’achat pratiquant des remises importantes aux dépens de la qualité et de la proximité des services rendus par les libraires.
Les intervenants et participants regrettèrent enfin le silence des partis politiques, des associations de maires et des présidents de conseils généraux, pourtant en charge des bibliothèques publiques, sur ce dossier.
Projet de loi
Si la rencontre de l’après-midi ne donna pas l’occasion d’approfondir la question du droit de prêt, les représentants de la Direction du livre et de la lecture – Marc-André Wagner et Jean-Claude Van Dam – se retranchant comme le Syndicat national de l’édition derrière la mission de Jean-Marie Borzeix, elle permit une présentation générale du projet de loi sur les bibliothèques.
Les thèmes de réflexion retenus furent d’une part exposés : accessibilité et pérennité du service public ; constitution des collections ; échanges et coopération ; financement ; contrôle scientifique et technique ; professionnalisation et formation ; statut des fonds patrimoniaux et règles d’élimination ; bibliothèques à vocation régionale et bibliothèques patrimoniales. Il fut en outre précisé que la loi ne saurait être seulement une réponse circonstancielle à la censure dont furent récemment victimes certaines bibliothèques et, qu’ayant vocation à s’appliquer à l’ensemble des bibliothèques, elle nécessiterait des accords interministériels qui n’avaient pas encore fait l’objet de concertations, aucun calendrier précis ne pouvant être donné en conséquence.
Après avoir recueilli l’avis des participants sur différents points techniques tels que le retard des bibliothèques en matière d’éliminations, les intervenants furent surtout questionnés sur la pertinence des notions de neutralité idéologique et du pluralisme des collections.
De ces échanges et de la perplexité de plus d’un participant ressortirent nettement la complexité d’un projet de loi abordant dans un même texte questions techniques et problèmes éthiques, et le souhait des « responsables de terrain » d’être davantage associés à la réflexion en cours.