De la presse écrite à la presse électronique
vers un nouveau média ?
Cristina Marino
La notion de « journal électronique », que l'on associe un peu abusivement au développement du réseau Internet, semble ces derniers temps « faire fortune », et susciter un engouement... médiatique peu étonnant, tant il est vrai que la presse a souvent tendance à se nourrir d'elle-même pour faire de l'information.
Le travail réalisé ici est la version améliorée d'un mémoire de fin d'études soutenu à l'Institut d'études politiques de Paris. L'auteur, dans un cursus spécialisé en sciences de l'information, a pu compléter cette approche avec une perspective sans doute plus large et qui n'est pas sans intérêt.
Cette étude s'intéresse avant tout à la presse quotidienne et aux magazines dits d'actualité. La notion de « presse électronique » s'appliquera aux versions électroniques de journaux papier et à la presse conçue pour et uniquement diffusée via un média électronique.
Évolution de l'information de presse
Dans une première partie, est retracée à grands traits l'évolution technologique du monde de la presse : de l'invention de l'imprimerie à « l'âge d'or » des journaux papier jusqu'à « l'ère de l'audiovisuel » (ou supposée telle), pour finir par le « nouvel âge » (sic) « informatique », où bases de données, réseaux, multimédia et hypertexte ont depuis longtemps révolutionné la conception et la fabrication de la presse.
Pour l'auteur, l'évolution de l'information de presse elle-même a connu pratiquement les mêmes avatars : de (l'inévitable) Gazette de ce bon Théophraste Renaudot à la presse en version électronique, les spécificités d'élaboration et de présentation de l'information changent et évoluent de manière radicale. La première diffusion de la presse sous forme électronique a été la mise à disposition de bases de données en texte intégral, sur des serveurs professionnels ou vidéotex, ou encore sur CD-ROM. Ces bases avaient (ont) avant tout une fonction d'archive, et l'évolution vers la mise à disposition simultanée de versions papier et électronique d'un même support de presse est récente, et abordée avec méfiance par nombre de patrons de presse.
« La naissance d'une presse 100 % électronique » revêt, telle que présentée, une allure contrastée : là où Libération ne propose (sur son serveur Web) que le « Cahier multimédia », d'autres, comme Le Monde, proposent l'intégralité du journal... moyennant un abonnement. Quant aux journaux comme Cybersphère, leur caractère embryonnaire ne permet pas d'en tirer de conclusions, et il faut juger trop hâtives celles de Cristina Marino, qui considère l'attribution d'un issn (International Standard Serial Number) comme gage « du sérieux de la démarche », oubliant sans doute que celui-ci est obligatoire pour les publications en série « parues » en France (décret ndeg. 81-1068 du 3 décembre 1981).
Les avantages de la presse électronique
L'auteur s'attache ensuite à présenter les avantages de la presse électronique pour la diffusion d'informations. La création de liens hypertexte, l'absence de contraintes en terme de place ou de présentation, l'interactivité possible avec le lecteur « semblent à même de pouvoir renouveler de manière significative les formes d'écriture et d'organisation de l'information ». Mais ces avancées ont leurs revers, comme l'obsolescence rapide des techniques de marquage ou de compression ou, comme toujours, le problème jamais résolu de la lecture sur écran, à la fois en terme d'inconfort visuel et d'absence de référents typographiques ou autres.
Une prospective sur les publics potentiels de la presse électronique nous vaut l'inévitable comparaison avec les pratiques « états-uniennes » en la matière : notre 1 % d'ordinateurs « communicants » (et nos Minitel ?) fait piètre figure par rapport aux fiers 15 % d'outre-Atlantique. Les chercheurs, les documentalistes, les chefs d'entreprise et... les journalistes eux-mêmes constituent semble-t-il le « coeur de cible » de la presse électronique : on se réjouira ou non de ces rapprochements.
La rentabilité de ce secteur n'est pas assurée, loin de là, mais se dessine une évolution intéressante : la volonté des producteurs d'information (groupes de presse) de s'adresser directement à leur lectorat, en s'affranchissant, grâce aux progrès de l'informatique, du recours aux serveurs, intermédiaires pesants et que beaucoup estiment surpayés.
Un manque de stabilité
En conclusion, l'auteur souligne avec lucidité que le secteur de la presse électronique est bien loin d'être stabilisé : pas de lectorat identifié, pas de logique économique, des évolutions techniques d'une rapidité décourageante, des incertitudes juridiques flagrantes, des avantages indéniables mais peu exploités.
En témoigne à l'envi la très intéressante annexe où l'auteur présente de manière détaillée une dizaine de journaux électroniques accessibles via Internet : peu d'entre eux présentent tout à la fois un caractère innovant et une qualité de consultation satisfaisante, pour qu'on puisse (ou non) les comparer à leurs équivalents papier. D'autres annexes, très fouillées, proposent éléments bibliographiques, journaux sur CD-ROM, vidéotex, etc.
Cristina Marino a eu le scrupule de se limiter à explorer « l'information de presse » sous forme électronique, se privant par là d'une étude approfondie sur la diffusion électronique des journaux scientifiques et techniques qui, sans doute, aurait apporté une dimension plus stimulante à un panorama honnêtement présenté - mais peu alléchant.