Politique culturelle et décentralisation

par Anne-Marie Bertrand

Pierre Moulinier

Paris : Ed. du CNFPT, 1995. - 303 p. ; 24 cm. - (Culture).ISBN 2-84143-042-1. 170 F

Dans la collection Culture, destinée à présenter des synthèses ou des manuels à l'usage des futurs praticiens ou des non-praticiens de la culture, les Éditions du CNFPT viennent de faire paraître un nouvel et imposant volume.

L'auteur, Pierre Moulinier, qui a longtemps travaillé au Département des Études et de la Prospective (DEP) du ministère de la Culture, y a pour ambition de faire le point sur un sujet à la fois sensible et mal connu : la décentralisation culturelle. Son analyse s'articule en quatre parties, qui examinent tour à tour les « domaines et objectifs » de la culture, la « culture à quatre niveaux » [des collectivités publiques], la décentralisation et la coopération, avant de se clore sur un ambitieux chapitre de « Perspectives ».

Des politiques culturelles...

L'apport principal de cet ouvrage tient sans doute à un effort de clarification sur la réalité même des politiques culturelles aujourd'hui. Il indique le champ dans lequel elles travaillent, les textes qui les régissent, les acteurs qui s'expriment, les rôles respectifs des différentes collectivités, les budgets mobilisés, etc.

On y trouve aussi un rappel de l'évolution de la place de la culture dans la société, évoluant du « supplément d'âme » à la stratégie de sortie de crise, ou de l'affirmation multiculturelle à la politique d'intégration sociale. Une analyse subtile et nouvelle est menée par l'auteur sur les trois décentralisations culturelles, qu'il baptise décentralisation artistique (ou « déparisianisation culturelle »), décentralisation politico-administrative (pour le transfert de compétences) et décentralisation civique (pour la participation des usagers à la gestion des affaires culturelles). Enfin, d'autres développements utiles concernent la Fonction publique territoriale, les lois de décentralisation ou la politique contractuelle de l'État.

... à la politique culturelle ?

On ne peut cependant que rester perplexe devant l'angle adopté pour le traitement de cette question. Car, si l'ouvrage s'intitule Politique culturelle et décentralisation, à en lire le contenu il aurait été plus juste de l'intituler La politique culturelle de l'État et la décentralisation.

Ainsi, sur les sept chapitres de l'ouvrage, trois concernent exclusivement la politique culturelle de l'État et un quatrième sa politique contractuelle. Pour définir les limites du domaine culturel, ce sont les lignes budgétaires du ministère de la Culture qui sont convoquées. L'État (c'est-à-dire le ministère et les DRAC-Directions régionales des affaires culturelles) est ici tour à tour modeste, instituteur social, aménageur du territoire, incitateur, contrôleur, il possède le monopole de l'expertise, crée des référentiels, aide la création, distingue les jeunes talents ou les porteurs de projets intéressants, aurait un « droit d'ingérence culturelle »... Bref, hors de l'État, point de salut ! Curieuse approche centralisatrice pour un ouvrage qui se dit favorable à la décentralisation.

Un exemple parmi beaucoup d'autres : « Parmi les questions qui restent à résoudre (...), aucun texte ne précise à qui, l'État ou la collectivité locale, revient la définition et donc le contrôle de la politique même de la lecture publique, du service public de la lecture ». Faut-il comprendre que l'État (ou certains de ses fonctionnaires) s'interrogerait sur la possibilité de définir (puis contrôler), à la place des villes, la politique des services municipaux que sont les bibliothèques municipales ? étrange question, en vérité, qui est toute résolue !

L'aménagement culturel du territoire

Cette faiblesse (coupable, forcément coupable) laisse d'autant plus de regrets que cet ouvrage aborde des sujets d'importance et les abordent intelligemment.

Ainsi, sur l'aménagement du territoire, l'analyse est fine et bien vue. Car, de deux choses l'une : ou « l'État, au nom de l'intérêt général ou de la justice sociale, doit intervenir pour suppléer les carences des collectivités locales et des acteurs culturels », ou bien sa non-intervention prend acte de l'inégalité des volontés politiques et reconnaît le « droit à l'inaction » « . L'État, dit encore Pierre Moulinier, « peut redouter l'inégalité qui résultera de la liberté d'agir, ou de ne pas agir, des collectivités ; il peut craindre le gel d'une situation marquée par l'inégale implantation sur le territoire des talents, des équipements, des services culturels, des volontés politiques, et par l'inégale richesse des collectivités territoriales... ». On est bien là au coeur de la contradiction entre décentralisation et aménagement du territoire... Il aurait été bien intéressant d'avoir sur ce sujet non seulement les points de vue des « responsables du ministère » ou des DRAC 1, mais aussi ceux des élus locaux. Car, après tout, pour décentraliser comme pour aménager, il faut être (au moins) deux.

  1. (retour)↑  Face à la montée en puissance des collectivités territoriales, le directeur cité craint une limitation de son pouvoir, une « sous-préfectorisation », dit-il. La décentralisation demande à la fois, on le voit, de l'abnégation et un peu moins de morgue.