La foire du livre de Brive
Bernard Murat
La Foire du livre de Brive fêtera cette année son quinzième anniversaire. Après un bref historique des origines et de l'organisation de cette manifestation, fondée sur la concertation et le partenariat entre les libraires, les Amis du livre, les éditeurs et la collectivité locale, l'auteur en décrit l'évolution au fil des années et s'interroge sur son avenir.
The Brive book fair is going to celebrate its 15th anniversary. After a short history of the origins and organization of this event, based on dialogue and partnership between the booksellers, the association Les Amis du livre, the publishers and the local authority, the author gives a description of its development as the years go by and wonders about its future.
Die Briver Büchermesse wird dieses Jahr ihren fünfzehnten Geburtstag feiern. Nach einem kurzen Rückblick über deren Ursprung und Veranstaltung, beschreibt der Verfasser deren Entwicklung im Lauf der Jahre: die Grundsätze dieser Messe sind ja Übereinstimmung und Partnerschaft zwischen den Buchhändlern, den « Buchfreunden » (ein Briver Verband), Verlegern und örtlichen Behörden. Endlich muß man sich einige Fragen über deren Zukunft stellen.
Les 8, 9, et 10 novembre prochains, la Foire du livre de Brive fêtera son 15e anniversaire. Cette longévité, qui s’appuie sur un succès croissant, qui ne s’est et n’a jamais été démenti, est tout à fait réconfortante à l’heure où certains s'inquiètent des conséquences de l’apparition de l’écrit électronique, s’interrogent sur les effets ou les influences des multimédias, pensant même que ces nouveaux moyens technologiques risquent de rendre archaïque et désuet le livre lui-même.
Que les pessimistes se rassurent. Les jeunes élèves participant à un jeu « Lisons en tandem », organisé conjointement au prix 12/17 (concernant la littérature pour la jeunesse), ont déclaré que, pour eux, « le multimédia sert à donner envie de lire. Avec un livre, on peut écrire, surligner, et puis, c’est un objet précieux »...
Sortir des rayonnages
N’est-ce donc pas justement une raison supplémentaire de sortir le livre de ses rayonnages ? C’est sur ce principe que se sont fondés des bibliothécaires et quelques passionnés du livre, dans les années 70 déjà, à Brive. Ils avaient, à cette époque, pensé que, pour promouvoir le livre, la plus simple des solutions était de le sortir dans la rue, de le mettre à l’étalage sur le marché, plaçant ainsi au même rang nourriture terrestre et nourriture spirituelle.
Cette tentative, pour laquelle les organisateurs ne disposaient ni d’une halle couverte et fermée, ni de moyens minimaux indispensables, fut assez vite abandonnée, mais... pas complètement oubliée.
Parmi les quelques auteurs ayant accepté spontanément d’être derrière « l’étal », certains s’en souviennent non sans humour. Ainsi Yves Courrière qui, répondant à l’invitation de se joindre aux écrivains dits « régionaux », se rappelle à ce propos : “C’était en novembre, par un froid sibérien qui distribuait ses courants d’air glacial avec une prodigalité que ne manifestaient guère les chalands à l’égard de nos bouquins ! Les ménagères nous regardaient comme des bêtes curieuses venues d’un autre monde. Nous terminâmes transis et les responsables de l’initiative déçus... Mais ce souvenir réfrigérant reste dans ma mémoire l’un des plus beaux de ma carrière ».
Dynamisme et cohérence
1982 fut une année clef. Jean Charbonnel, maire de Brive, mettait en place les grandes lignes d’une nouvelle politique culturelle dynamique et cohérente. Considérant le développement culturel comme l’une des conditions essentielles de tout progrès social, le droit à la culture, généralement perçu comme accessoire, était reconnu prioritaire. Tout en prenant en compte les réalités historiques, économiques et culturelles existant sur le plan local, cette politique voulait promouvoir, dans l’ensemble des champs culturels, la création, l’animation, la formation et la diffusion.
Dans le domaine de la lecture publique, la ville se fixait ainsi quatre lignes d’action :
– l’agrandissement de la bibliothèque centrale, dont les superficies s’avéraient nettement insuffisantes ;
– la mise en place d’un bibliobus pour créer des points de relais ;
– la création d’annexes dans certains quartiers ;
– enfin, dans le domaine de l’animation, la relance de la Foire du livre, considérée comme le point fort des diverses initiatives de sensibilisation menées chaque année.
L’objectif, qui paraissait ambitieux à l’époque, était précis : il s’agissait, pour la bibliothèque, de doubler le nombre de volumes prêtés, lequel était en 1981 de 150 000. Sans songer un seul instant à une quelconque médiatisation, sans arrière-pensée de communication, les responsables n’avaient réfléchi qu’au développement de la lecture.
Concertation et partenariat
Dès cette date, dans un souci de concertation et de partenariat, sont associés les huit libraires de la ville, les Amis du livre (association de passionnés bénévoles), et les éditeurs, la collectivité locale assurant la coordination, le support logistique et le financement.
Le lieu choisi pour cette manifestation est le marché, vaste halle couverte et fermée de 1 500 m2, située en plein cœur de la cité, où maraîchers, agriculteurs, forains, chalands, et lecteurs cohabitent naturellement, le samedi matin. La Foire du livre se veut généraliste, refuse la spécialisation : toutes les catégories d’ouvrages y seront présentées. Pour évoquer la fête, des kiosques sont spécialement créés, en forme de manèges ; gérés directement par les libraires, ils sont mis à disposition des éditeurs pour la présence de leurs auteurs.
Dès cette première année de la nouvelle version de la Foire du livre de Brive, les résultats furent jugés positifs et encourageants, incitant les organisateurs à reconduire cette expérience. Conscients de la nécessité d’une remise en cause permanente qui permette d'éviter toute lassitude tant du public que des participants, les animateurs cherchent, chaque année, à susciter l’événement afin de ne pas figer la manifestation.
Des variantes dans l’organisation sont donc imaginées et créées annuellement. Parmi les principales, citons le train du livre en 1985 et, pour la première fois, la même année, la présence de l'académie Goncourt venue proclamer sa dernière sélection en direct du château de Colette ; en 1986, la création du prix de la Langue de France, chargé de défendre le mode d’expression du génie du français, dont le jury était composé d’académiciens français, de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et d’académiciens Goncourt.
Parmi les lauréats prestigieux, figurèrent successivement Jean Tardieu, Jacqueline de Romilly, Pascal Quignard, Alain Rey, Yves Berger, Hector Bianciotti. En 1989, pour accentuer la défense de la langue française, la Foire du livre fut jumelée avec le Salon du livre de Montréal, grâce auquel, depuis, chaque année, quelques auteurs québécois participent à ces journées de rencontres.
En 1991, en collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale, et afin de concrétiser une action en profondeur entreprise dans les établissements scolaires, fut créée la « journée jeunes lecteurs ». Cette initiative était consacrée aux animations et jeux littéraires imaginés et réalisés par les élèves et étudiants, dont le succès se confirma dès l’année suivante avec la participation de 6 000 jeunes.
Faire découvrir
En outre, au principe fondamental de mise en relation auteurs/lecteurs, il fut décidé d'ajouter un autre principe essentiel, celui de faire découvrir. Dans cet esprit, furent organisées des expositions uniques des fonds des plus grandes maisons d’édition françaises, Gallimard, Les Presses de la Cité, Fayard, Le Seuil, auxquelles s’ajoutèrent Le Monde des livres et Le Figaro littéraire.
Par ce développement, Brive se trouve unie dans une grande entreprise culturelle de décentralisation qui suscite et favorise un nouveau centre d’intérêt national, crée un point d’attraction et de rayonnement qui amène au livre, familièrement, un nouveau public.
Les médias apportent leur complicité. La délocalisation de certaines émissions littéraires, le partenariat avec des grandes radios et chaînes de télévision n’est pas, on s’en doute, sans incidence. Qui ne se souvient, à Brive, du bain de foule pris par Bernard Pivot, surnommé, ce jour-là, « le roi lire » par Robert Sabatier ? Se sont associés à cette entreprise des journalistes spécialisés, tels François Gonnet, Pierre Assouline, Philippe Caloni, Jérôme Garcin, Philippe Vallet.
Depuis 1982, la Foire du livre enregistre un nombre croissant de visiteurs et la progression régulière des achats de livres, du nombre des auteurs présents, confirme l’incidence réelle de cette manifestation sur le développement de la lecture (cf. tableau page précédente).
On peut aisément penser que déjà les premiers résultats, l’ambiance conviviale et chaleureuse, dont le milieu littéraire et la presse se firent rapidement et largement l’écho, sont pour quelque chose dans l’engouement que ce genre de manifestation littéraire connut par la suite au niveau national. Rares sont les passionnés de telle ou telle cité, grande ou petite, rares sont les municipalités qui ne souhaitent pas avoir, une fois l’an, un « lot » d’écrivains.
Mais ce n’est pas parce que l’on connaît la recette du « soufflé », qu’on le réussit parfaitement, joliment gonflé et doré à souhait ! Il est vrai aussi que, pour de nombreux responsables ou organisateurs, il s’agit plus souvent d’une opération de communication plutôt que d’une réelle action culturelle.
Peut-être cette ambiguïté, regrettable, et un manque de réelle et sincère motivation culturelle – le culturel n’étant quelquefois qu’un alibi politique pour certains élus – sont-ils à l’origine de quelques insuccès, de lassitude, voire d’abandon ? Malgré une officialisation qui voulait provoquer la « fureur », laquelle a fait son « temps ».
Retombées imprévues et inattendues
Sans négliger l’influence qu’a pu avoir cette Foire du livre sur la multiplication de ce type d’action, il est intéressant, d’une part, d’apporter quelques explications à ce que certains veulent bien appeler « la légende et le mystère de Brive » et, d’autre part, de connaître et d’analyser quelques retombées imprévues et inattendues à l’origine.
Brive, devenue « la Gaillarde » (la résistante), partagée jusqu’à la fin du XVIIIe siècle entre Quercy et Périgord, est à l’intersection de quatre régions : l’Auvergne, à l’Est, l’Aquitaine, à l’Ouest, le Limousin, au Nord, le Midi-Pyrénées, au Sud. Cette situation géographique, assez exceptionnelle, lui donne un rayonnement naturel, délimité approximativement par Tulle, Donzenac/Uzerche, Terrasson, Sarlat, Souillac, qui se traduit démographiquement par une population élargie à 200 000 habitants, alors que la cité comprend 50 000 Brivistes intra-muros.
S’il est peu connu que l’origine de la bibliothèque municipale date de la période révolutionnaire (l’existence du dépôt littéraire du district de Brive est attestée par une délibération du conseil municipal datée de 1798), en revanche, il est inutile de rappeler que cette terre de Corrèze est une pépinière d’écrivains. Citons parmi eux un premier groupe, appelé « école de Brive » par Jacques Duquesne : Claude Michelet, Michel Peyramaure, Denis Tillinac, Christian Signol. Font égale- ment partie de cette école Gilbert Bordes, Claude Duneton, Alain Galan, Xavier Patier et quelques autres. Une telle floraison d’auteurs est un atout majeur pour la sensibilisation à la lecture.
Dans le domaine des retombées, très vite – outre l’aspect événementiel pour ne pas dire médiatique, non négligeable, puisque jusqu’alors Brive-la-Gaillarde était plus connue pour le rugby ou le foie gras –, il fut possible de constater que la culture devenait une économie. Ce qui impliqua un nouveau vocabulaire, à savoir qu’il ne s'agissait plus de dépenses, avec le sens de superflu, ou de notion péjorative que certains se complaisent à donner à ce mot, mais d’investissement.
Il a été ainsi prouvé, par l’analyse des sommes engagées directement ou indirectement, que les répercussions sur l’économie locale correspondaient au rapport de 1 = 3,5. Ont été pris en considération les sommes réglées aux fournisseurs locaux, les dépenses des participants et visiteurs dans la ville, le chiffre d’affaires des libraires, l’évaluation de la promotion de la ville par le rédactionnel dans la presse.
Enfin, ce sont les résultats obtenus et enregistrés par rapport à l’objectif général concernant le développement de la lecture et défini par la municipalité qui semblent être l’essentiel. En effet, les ventes, lors de la Foire du livre, sont importantes et croissantes ; la répartition par genre laisse apparaître une part remarquable de la littérature :
Les statistiques du service municipal de lecture publique montrent à l’évidence la croissance du prêt depuis la naissance de la Foire du livre et la construction de la nouvelle bibliothèque (Cf. tableau ci-dessus).
Pour conclure, en sachant que tout succès est fragile, l’aspect qui semble devoir être retenu est avant tout celui de la rencontre « auteurs/lecteurs ».
Devenir et avenir
On peut s’interroger, toutefois, sur le devenir et l’avenir de ce genre d’opérations. Ne faudrait-il pas déjà imaginer de nouvelles formes de sensibilisation, tout en gardant à l’esprit une formule déjà utilisée dans le domaine de l’enseignement de la musique : « faire aimer » avant de « faire apprendre » ?
Mais déjà, pour accueillir les auteurs lors du 15e anniversaire, je leur souhaiterai de ressentir, auprès de leurs lecteurs, la convivialité chaleureuse qui se conjugue avec leur avidité de connaître celles et ceux auxquels, grâce à leurs ouvrages, ils apportent cet irremplaçable bonheur qu’est la lecture.
Avril 1996